Carole Benzaken (chez Nathalie Obadia)

Écrire sur un tableau, de Carole Benzaken (née en 1964).  “Portée d’ombres 6”. A priori, de la peinture au scotch, c’est-à-dire que l’artiste a placé un adhésif à chaque fois pour obtenir de belles bandes indépendantes. Mais, si la technique est archi-classique, que pouvons-nous tirer de cette pratique; plutôt, que pouvons-nous déduire à partir de ce geste ? Des fragments irréguliers (5) alimentent la lecture (droite gauche, gauche droite ?). L’espace est décalé, et donc le Temps, de fait. Trois larges bandes, non égales, et deux plus minces. Forcément, l’œil se concentre sur une des cinq. Obligé. Tout porte à croire qu’il s’agit ici d’ombres de branches d’arbre sur le sol. D’un seul ensemble, peut-être, subséquemment (bel adverbe), découpé en stries chromatiques. Benzaken joue avec le réel, proposant sa réalité; d’un seul ensemble, peut-être. Parce que, si l’on suit de gauche à droite, les éléments se suivent, comme un puzzle, jusqu’au troisième panneau; après, ça ne va plus. Il semble que le quatrième panneau soit originellement contigu au premier. Benzaken; une peinture génétique ? Dans un texte perdu depuis longtemps (après 2003), j’avais, pour une communication, écrit sur la  philosophie de Whitehead et la génétique, et comment, en définitive, la génétique, en quelque sorte, c’est l’art biologique de faire des bonds, et de les lier. Par exemple, si les stries expriment des gènes, dans la cas de notre peinture, on peut avoir ABCAC. Où l’on voit que le “premier” A est lié morphologiquement au second A, mais que ce second A n’est pas subséquent au premier. Néanmoins, ça tient, parce que ce sont des meme. Les amateurs verront ici que je rebondis, avec ce qualificatif issu de Richard Dawkins, hors génétique pure, pour entrer dans la culture : Ce que de droit.

Carole Benzaken, “Portée d’ombres 6”, 2018, peinture à l’huile sur papier non tissé, 170 x 127 cm, crédit photo courtesy Galerie Nathalie Obadia

À regarder encore, il y a ce rouge dans le troisième panneau — en partant de la gauche autant que de la droite, et donc au milieu, en fait. Que s’est-il passé ? Drame ? Saigne-t-il ? Sang absorbé et dilué sur le côté droit ?

Carole Benzaken, lauréate du Prix Marcel Duchamp 2004 (entre autres traits remarquables), expose chez Nathalie Obadia jusqu’au 23 février 2019 dans les deux espaces. Je remercie la galerie Obadia pour les visuels.

NB : J’ai mentionné le couple réel/réalité. Beaucoup confondent ce couple, le faisant se chevaucher, s’entrecroiser, se calquer, se confondre; voire, s’annuler. Or le réel, ce n’est pas la réalité. Le réel est nu, sans interprétation; tandis que la réalité est une construction mentale, a minima.

Référence : Richard Dawkins, The Selfish Gene, Oxford University Press, 1999


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