Christophe Robe. Entretien (1er volet sur 3)

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NBB. Les détails ci-dessous sont tous issus du même tableau inséré en ce même lieu.

 

Léon Mychkine: J’ai regardé ce qu’on écrit sur toi, notamment dans le livre, et il y a quelque chose qui m’interroge. Par exemple, tu dis que tu veux “imaginer ton rapport au monde”, et tu parles de “perception du monde”. Donc, qu’est-ce cela veut dire, “rapport au monde”, et “perception du monde”? L’expression “rapport au monde” est un peu une tarte à la crème dans les récits actuels du monde de l’art contemporain, alors qu’est-ce que cela veut dire, pour toi, “rapport au monde”?  

Christophe Robe : Quand je dis ça, c’est pour indiquer que j’ai le sentiment d’être dans une sorte d’amnésie généralisée ; de ne pas avoir de mémoire ; de ne pas trop savoir comment je suis traversé par les choses, par le monde qui m’entoure. La peinture, est une sorte de caisse de résonance, d’enregistreur, de ce qui m’a traversé. Ça resurgit quand je dessine et quand je peins. Je veux parler à la fois de ce qui reste des objets culturels que j’ai regardés et des traces que laisse mon quotidien. J’ai l’impression de ne pas très bien savoir comment cela se joue pour moi toute cette affaire. J’ai l’impression que la peinture me permet de découvrir comment cela fonctionne, de me le dévoiler et de le donner à voir, par une sorte de distance qui est opérée par le fait de peindre. C’est cela que je veux dire, ce n’est pas très compliqué. 

LM : Eh bien, ça peut être compliqué pour le quidam, qui regarde un de tes tableaux, et qui se dit: “Comment dois-je comprendre cette perception du monde” ? 

 

 

CR Oui, mais il ne s’agit pas de dire “Le tableau représente ma perception du monde”. J’aurais une espèce de vision clairvoyante, ou de pensée précise « sur comment ça se joue » ou ce que j’ai à dire de ce rapport là, et puis je viendrais l’énoncer par la peinture, en essayant de trouver la meilleure image possible. Ce n’est pas du tout comme cela que ça marche. Je ne sais pas, en fait. Je ne sais pas comment ça marche. Je ne sais pas très bien quel est le rapport entre moi et le monde, quelle est cette espèce de porosité entre moi et les choses qui m’entourent, entre mon intériorité et mon extériorité, qu’est-ce que c’est que cette relation ? Comment ça se met en place ? Comment ça se tisse et se défait en permanence ? Comment ça se joue ? Et c’est cela en fait qui m’intéresse. Quand je me mets à peindre, ou à dessiner, je ne sais pas du tout ce que je vais faire mais je pense que lorsque je peins se remet en scène ma façon de penser, d’agir, d’être au monde .

LM : Tout à l’heure tu as dit que tu avais l’impression de ne pas avoir de mémoire

CR Ce n’est pas que je n’ai pas de mémoire au sens strict, mon sentiment c’est que  la peinture a plus de la mémoire que moi, en quelque sorte. 

LM : Est-ce que le fait de ne pas avoir de mémoire, fait qu’effectivement, quand on regarde un peu ton travail, mais c’est mon impression, on ne trouve pas vraiment de “style” identifiable.

CR La question du style, pour moi, n’en est pas une. Ce n’est pas mon problème.

LM : Si je comprends ce que tu me dis, j’ai l’impression que chaque tableau est unique. À chaque fois c’est un recommencement, bien qu’évidemment tu aies une pratique, depuis des années, mais chaque fois que tu peins ou que tu dessines, c’est comme si tu recommençais quelque chose à nouveau, non ?

CROui, il y a cet aspect là cependant il serait totalement illusoire de l’affirmer complètement. Au fil du temps s’est installé une sorte de rituel, des habitudes qui traversent la pratique. Tu peux dire que tu n’as pas de mémoire, mais il y a la mémoire du corps, des gestes qui reviennent ; avec lesquels tu fais et contre lesquels tu fais, pour aller chercher ailleurs. Quoiqu’il en soit quand je commence un tableau, je ne sais pas du tout où je vais aller. D’une certaine façon, c’est un travail sans projet ; le projet, c’est de ne surtout pas en avoir, et de se   rendre disponible, et d’attraper, au fur et à mesure, ce qui va arriver. Donc effectivement, chaque dessin, tableau, sculpture, est une sorte d’aventure qui démarre, et peu à peu va s’établir un dialogue.  

LM : Ce que j’apprécie dans ton travail, c’est que le fait que la question du “style” ne se posant pas, te donne une grande liberté.

CRSans doute, pour l’extérieur, pas pour moi-même ; je suis en lutte permanente pour accéder à ce que les choses se déplacent. 

LM : Cherchant des illustrations, je m’intéresse à celle page 83, dans ton livre. Alors, question piège : peux-tu me parler de ce tableau ?

 

Christophe Robe, sans titre, 2017, acrylique sur toile, 220 x 185 cm, Galerie Jean Fournier

 

CR : [rire détonnant]. Ce qui m’intéressait dans ce tableau, c’est cet espace un peu bizarre, ce rapport d’échelle : on ne sait pas dans quelle échelle on est, en fait. On ne sait pas si on est dans un monde microscopique, ou si on est dans un monde macroscopique, de planètes. C’est ça qui m’intéressait dans ce tableau, ce rapport d’échelles, et de formes. Mais je ne peux pas te dire “ça serait cela exactement” 

LM : Oui, bien sûr.

CR :  Il y a des tableaux dont je sais à quoi ça renvoie, mais je ne le dis jamais.

LM : Ah bon ?

CR : Parce que ça ferme la lecture du tableau. Et puis, en fait, je n’en suis jamais sûr, ce sont des hypothèses d’interprétations.

LM : J’ai plusieurs fois lu que ta peinture est faite de beaucoup de paysages, mais il n’y a pas tant de paysages que ça dans ta peinture…

CR : Si quand même, il y a un corpus. Quand tu prends le bouquin, je pense que 70% des tableaux renvoie à quelque chose de l’ordre du paysage. 

LM : Ah bon ?

CR : Non ? Celui qui est à côté, c’est un paysage ; lorsque tu poursuis dans le livre tu es dans la feuille, dans des étoiles, après tu as les arbres, après tu es presque dans le coquillage et la peinture chinoise, ensuite tu as une sorte de nuage ; le grand jaune, tu es à la fois dans une sorte de grand fond doré qui est à la fois cosmique ou aquatique. Il y a une sorte de ligne ; pour moi, c’est un jeu avec la référence pariétale ; mais, comme pour la plupart des autres paysages, ce n’est pas un paysage au sens d’une représentation précise de tel endroit à tel moment. Ce sont plutôt évidemment des paysages mentaux. 

LM : Ah oui, là c’est évident. Mais, et je pense au lecteur lambda, on peut dire “oui c’est un paysage, mais qu’est-ce que c’est que ce fond violet avec ces grandes stries mauves ?” Il peut y avoir un problème de compréhension. On pourrait très bien se dire qu’il y a une idée du “collage” chez toi, non ?

CR : Bien sûr ! Complètement. En fait ça relève de la sensation de la traversée du paysage. C’est comme des bribes de choses qui viennent s’agréger sur la surface du tableau. Le cubisme a été extrêmement  important ; l’invention de cet espace particulier qui a été créé par le cubisme, les notions de collage, c’est quelque chose qui m’a énormément intéressé. Et en fait, ce que je fais, c’est d’agencer des restes qui viennent s’agglutiner, s’agencer, se retrouver à la surface du tableau.

LM : Et le dessin, est-ce autre chose ou une continuité ?

CR : Il y a une quinzaine d’années,  je pense, à un moment donné, je me suis retrouvé bloqué, parce que j’avais l’impression d’avoir installé une sorte de vocabulaire, qui se fige. Je voulais beaucoup plus contrôler les choses à ce moment-là. Cette attitude a fini par bloquer ma pratique, et par ailleurs cela mettait à distance le spectateur, ça le rejetait un peu du tableau. Et cela me gênait. Donc j’ai repris le dessin, pendant une bonne année, sans rien montrer. Je me suis dit “je vais me remettre au dessin, pour faire tourner ma cervelle autrement ; je vais ramener l’intuition au premier plan”. 

LM : Donc tu t’es remis au dessin pour te débloquer, pour ainsi dire

CR : Oui, tout à fait.

 

Entretien réalisé au téléphone, retranscrit par votre serviteur, relu et amendé par l’artiste.

 

Léon Mychkine

critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant

 

 


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