Ce qui m’a très étonné, quand j’ai rencontré Clément Montolio, à la galerie Cécile Dufay, ça a été sa façon d’expliquer comment, au fil des années, alors qu’il insérait dans ses paysages la figure humaine, il s’en est peu à peu débarrassé, jugeant redondant l’association figure humaine + paysage :« Le paysage est resté, parce qu’il exprimait, à lui seul, la présence de cette figure. Donc c’était une sorte de redondance, de duplication que de mettre les deux. Et donc je t’ai parlé du paysage comme d’une personne, et qui était à même d’accueillir le regardeur. C’est pour ça que la plupart des peintures laissent une impression de vide, de vacuité, pour accueillir celui qui regarde le tableau. Et il y a aussi cette influence de certains livres, je t’avais parlé de livre de Roberto Calasso, La Folie qui vient des nymphes, et qui est révélateur de ce que je cherche à exprimer. Il s’agit de la retranscription de l’hymne homérique, dans lequel Apollon s’adresse à un site, et immédiatement on comprend que ce site est une personne ; c’est une nymphe. Et cette lecture m’a troublé, parce que je me suis dit que c’est exactement ce que je ressens quand je travaille une peinture.» Montolio m’explique qu’il y a toujours un laps de temps entre le moment de voir un paysage, et de comprendre ce que l’on voit, et c’est par la peinture, en « transformant, en modifiant le paysage », qu’il exprime ce qu’il voit : « Je ne transcris pas quelque chose que je vois, je le modifie, je le corrige, si je puis dire ; pour enfin le voir ; tout simplement. Pour le voir vraiment. » Ça rejoint un peu le mot de Gœthe, qui disait ce que je dessine je le vois. Et ça rejoint aussi la vision de Baudelaire qui, dans L’invitation au Voyage, dit que l’art est supérieur à la Nature.
LM: Et il y a ce tableau où l’on voit des formes tomber au premier plan d’un paysage. Qu’est-ce que c’est ? CM : Ces formes m’aident à construire l’effondrement du temps, du temps qui passe. Toutes ces traces qui s’interposent entre le paysage et le spectateur, c’est une manière d’établir comme une grille entre les deux interlocuteurs, le paysage, et le spectateur. Entre le paysage dans lequel je veux me projeter et moi, il y a ces intersignes, ces choses, qui n’ont pas d’autre sens que ça, qui ont une fonction presque phatique. Et j’ai découvert par hasard ces peintures du XVe siècle, destinées à la prière, et qui ont des traces de brûlures, laissées par les cierges, et ces formes correspondaient exactement à celles que je faisais. LM: Incroyable !
Cet entretien m’a laissé du grain mental à moudre. Ça se fait, à son rythme ; on ne peut pas accélérer les processus, les artistes le savent très bien, ainsi que les alchimistes.
Entretien enregistré au téléphone et postproduit par Léon Mychkine
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