David Hockney, 83 ans. C’est toujours un peintre intéressant. « Une remarque !» (comme dirait Monsieur X) : Ce n’est pas à proprement parler de la peinture, puisque Hockney se sert d’un iPad — spécialement trafiqué par un ami mathématicien, ce qui lui a permis d’élargir largement les possibilités des logiciels. Donc, si vous possédez un iPad, ce n’est pas la peine d’essayer, vous ne ferez pas du Hockney. Bref. Ce n’est pas de la peinture, mais on continue à dire qu’ici, en l’occurrence, dans ses productions issues d’abord de son iPhone, puis de son iPad, Hockney “peint”. Mais, encore une fois, ce n’est pas de la peinture. Qu’est-ce donc alors ? De l’art digital ? Si on dit qu’il s’agit d’art digital, on risque de faire régresser Hockney dans la catégorie catastrophique de ces “artistes” qui “font” des trucs bizarres et souvent très moches, voire abominables, parce que, déjà, à la base, ce ne sont ni des peintres ni des dessinateurs ; ils n’ont pas l’intelligence de la main (Aristote, Les Parties des Animaux, §10). Et j’attends encore d’être ébaubi face à une production digitale, ou NFT, comme on dit aussi… Bien sûr, ce n’est pas ce que nous constatons avec Hockney ; il ne devient pas un tâcheron ou artiste raté dès qu’il s’empare de sa tablette. Au contraire, il prolonge le geste du peintre dans le medium, et, le prolongeant, il continue tout de même d’inventer. Et c’est bien pour cela que les “images”, les tirages à partir de ces “peintures” sont intéressantes
Regardez, par exemple, l’ombre des feuilles des pommiers (?) au sol… Pas grand chose à voir. Regardez autour et au dessus : Que représente ou dépicte donc ce treillage blanc dans le vert de l’herbe ? Les brins d’herbe deux-mêmes ? Mais un brin d’herbe est-il blanc ? Après réflexion, et re-réflexion : je ne sais pas. Je ne sais pas ce que signifie ce treillage blanc. « Et alors ?», comme dirait le capitaine Smollett. Alors ? Eh bien cela me plaît bien, de constater qu’à son âge (pardon), Hockney pose encore des énigmes dans le “peint”.
Au moment où j’écris ces lignes de silicium, Hockney expose sa dernière série à la Royal Academy of Arts, London, qui, sur son site, le décrit comme « l’un des peintres britanniques les plus importants du 20è siècle — et [il] demeure l’un des plus inventifs.» Il est intéressant de noter l’adjectif « inventif » (‘inventive’), car on a souvent dit que l’art contemporain ne consistait plus à inventer ; c’est, du moins, l’une des leçons du philosophe de l’art, Arthur Danto. Or, bien entendu, l’art contemporain a aussi inventé des façons absolument infinies de produire de l’art. Ce qui est remarquable, ici, avec Hockney, c’est que, dans sa très longue vie de peintre, il continue de chercher, et de trouver. David Hockney a commencé de peindre à l’iPad en 2010, et, on peut le dire, il a fait des progrès. Si je navigue adéquatement sur son site, l’une des premières “peintures” iPad de cette année est celle-ci :
On voit l’évolution. On passe d’une sorte de primitivisme digital à une bien plus grande sophistication. Ceci noté, remarquons que cette sophistication était déjà présente dans les dessins antérieurs, tel celui-ci :
Cela me fait penser à un dessin de Van Gogh, tel le “Portrait de Patience Escalier” (1888). “Fait penser”, non pas en tant qu’inspiré de…, mais dans l’aspect tourbillonnaire et hétérogène de la touche de fusain chez Van Gogh. Rétrospectivement, et uchroniquement, le portrait d’Escalier n’est plus un portrait, c’est un paysage. Il est assez fascinant qu’après tant d’années un artiste cherche, par un autre moyen, de transcrire le réel, n’est-ce pas ? même si, pour un artiste, c’est naturel. Considérant le format d’un iPad, on peut estimer que, même si bien sûr le tirage est en plus grand format, Hockney produit des miniatures, d’une grande délicatesse et variété, et, si la génialité en est peut-être absente, il est assez indéniable que la fraîcheur y est bien présente, ce qui, comparé à certains jeunes artistes, tient toujours d’une certaine leçon de peinture.
Léon Mychkine