David Hockney iPad Suite #2

Y a-t-il une peinture plus fraîche que celle de David Hockney ? (Probablement, mais je ne veux rendre jaloux personne).

David Hockney, “N°.299, 29th April 2020

Je ne sais, et n’en suis pas certain, d’ailleurs. Il faut y réfléchir, encore. Une image “dessinée” sur iPad est-elle une peinture ? J’ai déjà un peu répondu dans la partie #1, mais peut-être pas assez profondément. En quelque sorte, qu’est-ce que cela change ? Prenons l’exemple d’un écrivain qui ne peut plus écrire que sur un ordinateur ; il a besoin de ce rapport technologique, tout en se souvenant que la plupart des outils ne sont que des prolongations du corps biologique (du percuteur en silex à SpaceX). Du coup, quand on parle d’“écriture”, pour un écrivain qui n’a plus, de fait, de calligraphie, d’empreinte personnelle dans la graphie, peut-on encore parler d’écriture ? Pourquoi pas ? Ce qui compte, n’est-ce pas le résultat ? L’écriture d’un écrivain, c’est bien cela que l’on lit, sur un support quelconque, et non pas à partir de ces feuillets (excepté quelques chercheurs). De fait, n’y aurait-il pas ici la trace un peu attardée d’un certain romantisme si d’aucuns critiquaient Hockney parce qu’il n’emploie plus de pigment, au sens de matière poussée et écrasée par un pinceau, c’est-à-dire, en un sens, plus de main sur la toile en tierce (1 la toile, 2 les outils et pigments)? Si, certainement. Encore une fois, ce qui compte, c’est le résultat, et, on peut ajouter tout de suite qu’il faut bien imprimer l’image “peinte” depuis l’écran, et je suppose qu’Hockney est très attentif et pointilleux quant à la qualité de l’impression, n’est-il pas ? Si, c’est sûr. D’un certain autre côté (de la réalité interprétée) on pourrait certainement trouver sans aucun intérêt ce paysage. Si quelqu’un d’autre que Hockney l’avait produit, nous serions-nous attardés ? Mais là, nous retombons peut-être dans le biais de la prolixité créative : Hockney a produit des centaines de “peintures” à l’iPad. Or, de la même manière que tout autre medium, la multiplication des œuvres n’est pas une garantie d’une égale qualité des pains (pour reprendre un célèbre exemple miraculeux). On constate quand assez souvent que, si un peintre se met à produire quasiment à un rythme industriel des peintures, et, de surcroît, des motifs assez similaires, le résultat est rarement probant et pertinent. Mais bon!, comme chantait l’autre, Y’a pas de mal à s’faire du bien. Oui, si tant est que nous ne cherchions que le plaisir égocentrique… Cependant, voyez, ces trois arbres, je ne sais pas, ils campent quelque chose, à travers eux. Camper la campagne ? En tout cas, ce “tableau” peut être vu comme une sorte de gradation in vivo de comment Hockney pose sa touche et ses couleurs. Hockney est, historiquement, un peintre de la couleur :

David Hockney, “Still Life with Bowl of Fruit”, 1951, oil on paper, 9 3+4 x 11 1/8 in

Nous sommes en 1951. Cela reste une nature morte assez somme toute classique. Cependant, voyez ; je parie que le rouge en fond n’était pas dans la scène originelle. On n’imagine pas une espèce de mur peint à moitié rouge, ni l’adjonction d’un support de la sorte. Ainsi, je postule que Hockney a ajouté ce fond rouge rien que pour que cela pète davantage. Sinon, cela ne veut rien dire. Il peint ce fond rouge “à l’arrache”, et, vu comme c’est exécuté, il l’a sûrement ajouté après avoir peint sa nature morte proprement dite. La preuve : c’est peint n’importe comment. Mais peu importe. Ce qui importe, c’est que ça tape. Et, effectivement, difficile de faire abstraction de ce rouge sanguinaire !

On peut supposer, ce que je fais, que Hockney a commencé de trouver son style à partir des années 60.

David Hockney, “Picture of a Hollywood Swimming-Pool”, 1964, acrylic on canvas, 36 x 48 in.

Là, on dit : C’est un Hockney ! Cette manière de ne retenir que le saillant dans ce que lui propose le réel, qu’il interprète, d’une manière presque symbolique (et l’ami Guillaume Mary saura s’en souvenir, non ?). Les reflets de l’eau, la forme vague des arbres, le matelas qui ondoie, la plante presque interlope, et, sinon, le vide ; cette sorte de blanc-cassé qui recueille les arbres… What is it ? Il faut poser la question, parce que, voyez, on dirait qu’il est artificiel, ce fond, comme un décor ajouté à la réalité. Regardez comment Hockney termine le bas de son fond blanc-cassé ; en retrait par rapport au bleu délavé juste en dessous… Comment est-ce possible ? Il y a bien une réelle sensation de volume, de relief. Et alors, serait-ce un mur sur lequel on a peint des arbres ? Cela paraît peu probable. Et comment cette eau monte vers le “mur”, sans perspective aucune, Hockney s’en moque complètement (souvenir et acquis matissien). Il est libre. Voyez, encore une fois, comment en peignant tout de même sous une forme assez minimale le réel, un peintre parvient à la fois à en restituer la moëlle (je n’ai pas dit “substantifique”) et, en même temps, à déjouer la recopie du réel littéral, recopie qui, dès Diderot, déjà, était une garantie de fourvoiement majeur (on ne dira jamais assez à quel point notre Denis national était moderne !).

David Hockney, “The Arrival of Spring in Woldgate, East Yorkshire in 2011”, iPad, et impression sur papier, 144,1 x 108 cm

« Rien dans un tableau n’appelle comme la couleur vraie » (Diderot). Qu’eut dit Denis devant ceci ? Sont-ce des couleurs vraies ? Probablement. Mais comment, spécialement ces roses, ces bleus, sont-ils produits ? Je ne sais. Hockney n’a-t-il pas rehaussé un tantinet  ? Sur ce non-savoir, je m’en tiendrai là.

 

Léon Mychkine

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