Dernière exposition du POCTB rue des Curés

Jeudi 6 octobre, c’était le vernissage de la dernière exposition du Pays Où le Ciel est Toujours Bleu (POCTB) Espace d’Art Contemporain, aux Ateliers Oulan Bator. Cette dernière exposition rue des Curés, s’intitule Le mouvement de la Terre et du Soleil. Pour les prochaines, dont la première sera celle de Bernard Joubert (Simultané, vernissage le mercredi 16 novembre 2016 à 18h30), il faudra se rendre au 5, rue des Grands-Champs, toujours à Orléans. Nous aurons le loisir de découvrir un nouveau lieu, entièrement refait à neuf, et mis aux normes !

La première exposition du POCTB rue des Curés avait eu lieu en 2000 ! Du 25 mai au 4 juin elle regroupait Christian Bonnefoi, Bernard Joubert, Vincent Phelippot, et Sylvie Turpin, entre autres. Jeudi 6 octobre, l’exposition collective Le mouvement de la lune et du soleil présente les œuvres de Samuel Aligand(6), François Andes, Julien Brunet (9), Michael Buckley (5), Mario d’Souza(4), Emilie Duserre(2), Laurent Mazuy, Sébastien Pons(8), Éric Provenchère (1), Olivier Soulerin(3), et Pauline Vachon(7) (les numéros turquoise signalent l’ordre des pistes). 

J’étais donc sur place, et j’ai procédé à des entretiens avec neuf  artistes. Je vais donc suivre l’ordre de mon parcours dans le lieu. Le premier tableau, à main gauche, est de Mazuy. Je ne me suis pas entretenu avec lui car je lui ai consacré une première “Visite d’Atelier” récemment mise en ligne, et il eut donc été redondant de le faire s’exprimer, me semble-t-il (ce qu’il a bien évidemment admis). Cependant, on peut tout de même incruster la photo du tableau exposé.

lexile                                                                                                                                              L’exilé, 2016 – Technique mixte et toile, 114/160 cm

À main droite — ou œil droit — de Mazuy, on rencontre deux Provenchère (absent ce soir là), soient des peintures abstraites, qui donnent l’impression d’anciennes sérigraphies superposées, voire de palimpsestes chromatiques. 
  PSP, 2011 – Peinture sur papier, 67/45 cm

1. Entretien (téléphonique) Provenchère 
 
 
 
Mychkine: Je voudrais vous interroger sur les deux tableaux que vous avez accroché au POCTB. Ce sont des peintures sur papier…
Provenchère: Leur nom est une abréviation, PSP, donc peinture sur papier, tout simplement. […] Cette série de peintures sur papier c’est une série qui revient un peu au plan, on va dire, à la deux dimensions […] Ça fait partie de la façon dont je travaille, qui est liée aussi à ce matériau que j’utilise pour l’ensemble de ma pratique, qui est une pâte que je fabrique moi-même […] C’est une peinture acrylique, donc c’est une peinture en fait, un liant. Un liant, en fait c’est la base de la peinture […] et puis ensuite je rajoute soit des pigments, ou des colorants… industriels, et puis je rajoute un épaississant chimique, qui est important parce que c’est lui évidemment qui donne un petit peu la pâte en elle-même, l’épaisseur, et qui est un épaississant qui reste intéressant parce qu’en fait il n’altère pas la couleur en elle-même, c’est une sorte, dans notre jargon de plasticiens, mais aussi chez les sculpteurs, c’est ce qu’on appelle une « charge », c’est-à-dire qu’elle est là pour apporter effectivement une certaine viscosité, une certaine épaisseur, parfois il y a une espèce de granulométrie qu’on peut trouver à la surface. Ce qui est bien avec cet épaississant c’est qu’il est complètement neutre, c’est-à-dire qu’il ne modifie pas la couleur ou les pigments que je vais utiliser. […] Mais là dans le cas des peintures sur papier, c’est quasiment, c’est essentiellement le liant acrylique, et les pigments, qui sont utilisés. Alors après il y a le mode d’application, c’est-à-dire l’outil que je vais utiliser. […] Là effectivement… je n’ai pas beaucoup de pinceaux, je dirais dans mes outils, c’est beaucoup des spatules… ça peut être des spatules de maçon, ou des spatules que je vais fabriquer moi-même.  […]
M : D’accord !
P : Après il y a aussi les temps de séchage, qui sont importants, parce que là, un peu à l’instar de tout ce que je fais, il y a un temps de séchage. […] C’est un travail par couches superposées, mais toutes les couches sèchent, avant que j’en passe une autre. Il y a vraiment un processus de réalisation qui tient compte en fait du temps de séchage, de la peinture, du matériau en lui-même. Donc, les couleurs ne sont pas mélangées entre elles comme ça je dirais, dans le frais, à l’instant même. Je passe une couche, et j’attends que ça sèche et de voir comment la peinture réagit. […] Pour avoir la teinte finale, je suis toujours obligé d’attendre que la peinture sèche pour avoir la teinte finale. […] Il y a une contrainte qui existe au niveau du temps de réalisation. Il y a une certaine durée dans l’exécution, dans la pratique, mais qui est liée vraiment aux contraintes du matériau, qui va de la fabrication jusqu’à l’application.
M: C’est marrant parce qu’en regardant vos peintures, je pensais à des palimpsestes un peu, non ?
P : Oui oui, oui oui c’est tout à fait juste… alors, c’est une réflexion qu’on m’a faite parfois… c’est vrai que ces sont des espaces feuilletés. Donc effectivement le terme de palimpseste est très juste. Pour moi il n’y a pas du tout de rapport… analogique… avec… la littérature
M : Non non !
P : Mais on est bien dans ce rapport d’espace feuilleté, de type effectivement palimpseste […] Il y a un procédé [… ] qui donne un peu une histoire
M: Voilà, c’est ça.
P : de la fabrication et de la réalisation. […] Moi, on m’a beaucoup parlé de peinture processuelle […] mais ça m’intéresse pas tellement en fait… […] Mais le terme de « palimpseste » est un terme juste, tout à fait.
M : OK, merci [rires].  […]
P : Bon, je n’invente rien, Il y a des personnalités, des artistes… bon je pense à Bernard Frize, par exemple, qui en fait vraiment sa marque de fabrique. […] Il y a aussi une dimension historique, ça vient aussi un peu des années 60 […] La fabrication était aussi importante que le résultat […] Aujourd’hui, il y a des familles de ça… Je pense à une artiste… c’est Marian Breedveld [ndlr : Galerie Jordan] […] Il y a des similitudes avec mon travail, sauf qu’elle travaille avec un matériau différent qui est la peinture à l’huile […] Après, évidemment, cette question du processus, c’est quelque chose qui est bien présent dans mon travail, et évidemment auquel je ne peux pas échapper. Mais j’espère que… il se passe autre chose. C’est-à-dire que notamment au niveau du travail de la couleur, il y a une recherche, ou en tout cas une ambition, sur les effets produits, sur les images…
M : Alors, justement, quelle est cette ambition ?
P : L’ambition, c’est d’essayer, à travers le travail de la couleur… je dirais de provoquer un certain nombre d’interrogations, sur ce qu’on voit, sur la perception, c’est ce qui m’intéresse le plus finalement…  dans le travail. C’est la question de la perception de la couleur ; dans différents modes de présentation. […] Quand je dis « la perception », évidemment, c’est ce qui se passe au niveau du regard. Pas forcément au niveau, j’allais dire, corporel.  […] [à 07:35 Provenchère aborde une thématique liée à l’empreinte anthropique sur la toile, et si je ne l’ai pas retranscris ici, c’est que ce n’était pas dans le sujet, mais ce n’en est pas moins intéressant] […] [À 09:50, la discussion revient sur la couleur]: Au niveau de cette question de la couleur, j’essaie de montrer la peinture … vis-à-vis de la lumière, et des jeux, un peu comme ça, et des questions … qui sont très formalistes, c’est-à-dire des questions qui sont des questions de surface, de texture, d’opacité, de transparence […] Je n’ai pas non plus de palettes, au niveau de la couleur […] Je n’ai pas envie de mettre de limite dans l’utilisation de la couleur… ça passe même par l’utilisation de pigments fluorescents, de pigments métalliques, des choses comme ça […] [À 10:43, Provenchère nous relate sa formation à l’Ecole des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, et l’influence de son professeur qui a appris à ses étudiants l’importance de la couleur. Nous revenons à ses propres considérations à 12:38]: Le travail de la couleur c’est aussi un travail de l’observation. […] Cette question de la couleur c’est un matériau auquel je suis réceptif
M : C’est la couleur comme matériau…
P : C’est la couleur comme matériau, oui. C’est-à-dire que c’est quelque chose qui se travaille. […] C’est une forme de dialogue avec la réalité. Quand je parle d’ « observation », c’est amener le spectateur à s’interroger un peu sur ce qu’il voit. Donc ça passe, pour moi, par la question de la couleur.
M : Ça je pense que c’est réussi, effectivement, quand on voit vos tableaux, oui, on se pose ce genre de questions : Que voit-on ? Qui y a-t-il à voir ?
[Deuxième entretien] :
P : Je suis un peintre, donc je suis dans le domaine des arts visuels
M : Oui
P : Donc, je pars toujours du postulat que, ce qui se passe est d’abord lié à ce qu’on voit. […] J’ai une conviction par rapport à ça. C’est-à-dire qu’on soit dans la peinture abstraite ou dans la peinture figurative, peu importe, l’effet produit sur celui qui regarde est d’abord lié à ce qui est vu. Et donc ce qui est vu alors c’est un ensemble, c’est une composition, c’est un ensemble de formes, de texture, etc., et on part quand même de là
[S’ensuit une digression sur l’histoire de l’art, de la peinture, au cours de laquelle Provenchère dit que ce qu’il recherche, dans son « travail », n’est pas lié à la « composition de la couleur, où l’on recherche une forme d’harmonie, etc. », notamment par son utilisation de peinture fluorescente — et on se rappelle qu’il dit ne pas avoir de « palette » ; ce qui m’amène à évoquer la notion de « parasitage »]
M : Non, vous voulez… vous cherchez aussi un peu une tension, un parasitage
P : Oui, c’est ça. C’est ça. C’est exactement ça
M : D’accord
P : Ce sont des choses qui m’intéressent. C’est tout à fait juste votre terme de « tension » et de « parasitage », parce que, au moins il se passe quelque chose
M : Voilà [rires]
http://ericprovenchere.eu

provencherePsP, 2011 – Peinture sur papier – 67 x 45 cm

Au sol, formant triangle avec les deux peintres sus-mentionnés, nous avons une sculpture d’Emilie Duserre. Il s’agit d’une feuille de polystyrène extrudé de couleur verte, qui ondule de manière très géométrique, créant en dessous des triangles vides comblés par une découpe en contreplaqué. Face à cet objet, on pense avoir affaire à une œuvre conceptuelle, ce que ne dément pas Duserre dans l’entretien. J’inclue ici l’entretien audio et sa retranscription, non intégrale, car je laisse au lecteur la curiosité d’écouter la voix de l’artiste. Dans le même temps, la retranscription était inévitable dans la mesure où l’environnement était très bruyant.

2Entretiens Duserre 1 et 2

Mychkine : Donc tu t’appelles
Duserre : Emilie Duserre
M : Et tu nous présentes une œuvre, au sol
D : Ça s’appelle Sans-Titre, entre parenthèses elle s’appelle (#15DeAF). #15DeAF en fait c’est le code HTML qui reflète la couleur verte de la pièce.
M : D’accord.
D : En fait pour trouver ce vert là sur Internet, et pour trouver le titre, j’ai cherché la correspondance HTML qu’il pouvait y avoir.
M : Donc ce n’est pas une référence Norme… genre industrielle, c’est une référence Internet.
D : Non, c’est plutôt une référence virtuelle.
M : D’accord
D : Parce qu’en fait pour moi ce vert, c’est comme s’il n’avait pas vraiment d’existence.
M : Ah bon ?
D : C’est une couleur un peu virtuelle… comme… on peut penser au fond vert, je pense à quelque chose qui est là mais qui n’existe pas, mais… on ne va jamais croiser dans la nature ce vert là, qui n’existe pas. D’où, ce code HTML…
M : Donc c’est un jeu sur l’architecture, sur la sculpture ?
D : Là c’est surtout un jeu en fait sur le matériau… Moi j’aime beaucoup travailler avec des matériaux de chantier, que l’on trouve dans les magasins de bricolage… Et donc, ce matériau, c’est la couleur d’abord qui m’a plu, et aussi la contrainte du matériau, la façon dont il se déplie. C’est-à-dire qu’il est conditionné d’une certaine façon, c’est juste un lé, une bande, avec des plis, à intervalles réguliers, et d’environ 24 centimètres, et qui se déplie en fait comme un accordéon.
M : Donc c’est quoi comme lé, c’est du papier peint ?
D : Non, en fait c’est une feuille de polystyrène extrudé. Ça sert à isoler le parquet.
M : Ah d’accord ! Une feuille de polystyrène ? C’est extraordinaire… Et ça c’est épais comme ça, c’est tout fin ?
D : Oui. Le polystyrène extrudé peut être conditionné en plaques beaucoup plus épaisses, mais là, pour la fonction qu’il a, en temps normal, c’est juste une feuille, qui est glissée, et par dessus on vient poser le parquet.
M : Et que veut dire « extrudé » ?
D : C’est beaucoup plus dense [que le polystyrène que nous connaissons sous forme de “billes” compressées], çà peut aussi isoler du bruit1
M : Donc ce matériau, il a un rythme, il a un pli
D : Voilà ! Il a un pli régulier, et moi c’est ça en fait qui m’a intrigué. Et du coup j’avais envie de faire une pièce, qui existe par rapport aux caractéristiques de ce matériau.
M : d’accord.
D : C’est-à-dire que j’aurais très bien pu décider de le couper, de ne montrer qu’une certaine partie… Mais moi je voulais juste [un silence, un blanc réflexif] concrétiser en fait ce pli. Je voulais qu’il ait une réelle existence… que ce soit figé, en fait, dans ce déploiement, et en même temps, je lui donne une certaine forme aléatoire dans ce déploiement… J’aurais très bien pu décider qu’il soit complètement régulier et en fait non, il y a un premier pic, il descend plus bas, il remonte il redescend.
M : En fait, du coup, donc, tu prends ce polystyrène extrudé, et en fait dessous tu as sculpté une forme, en contreplaqué.
D : En fait, c’est du contreplaqué de peuplier, et il y a juste en fait les tranches, qui vont souligner le pli que je décide de lui imposer.
M : Donc tu joues avec le rythme
D : Voilà c’est ça ! En fait la pièce dépend totalement des caractéristiques de chaque matériau. Et du coup on l’impression de se retrouver devant une pièce qui est extrêmement imposante, extrêmement lourde, alors qu’en fait c’est juste une feuille qui est dépliée et qui est posée.
M : C’est ça. Tu joues aussi là-dessus, donc, une pseudo pesanteur, alors que tu as affaire à une légèreté… donc il y a un effet comme ça de double rapport, pas de tromperie, mais de jeu, avec l’impression, qu’on pourrait avoir, que c’est quelque chose de massif, lourd…
D : Oui. Ces couleurs, avec le bois, moi je pense aussi à des jeux d’enfants… Il y a quelque chose d’assez ludique. Ça peut utilisé pour un jeu d’enfants, alors qu’en fait c’est extrêmement fragile. Si on le touche, en fait, eh bien ! on va le percer, c’est que de l’air… Oui, c’est une tromperie !
M : [Rires] Donc pour toi c’est une sculpture ? C’est une peinture ? C’est quoi pour toi ?
D : Pour moi c’est une sculpture.
M : Voilà, d’accord
D : Pour moi c’est une sculpture… et en même temps j’aime bien l’idée que le matériau soit une feuille… parce qu’en fait moi je dessine… et là le support devient sculpture. Je n’interviens réellement dessus, en fait je le prends, et je le déplace juste ; c’est juste mon geste qui fait que, il est là, comme ça, à ce moment là. 
: Donc pour trouver cette forme, par exemple, qui monte qui descend, comme ça, tu fais un dessin préparatoire, tu… ?
D : Non, en fait c’est la feuille que je déplie… à plusieurs moments je vais expérimenter, posé au sol dans l’atelier, je vais regarder si ça me plaît ou pas… et après je prends une photo, et je vais la découpe de mon bois, en fonction du pli, en fait. En fait le bois vient souligner après… le bois vient souligner la feuille de papier [dixit… Il est intéressant de voir que Duserre se trompe, il ne s’agit pas d’une feuille de papier, et elle le sait mieux que personne. Pourquoi substitue-t-elle le mot papier au mot polystyrène?…] … Donc après il y a peut-être l’idée d’un paysage qui pourrait survenir, ça peut évoquer des montagnes, ça peut évoquer une architecture… mais tout en restant indéfinissable.
M : Des pièces anonymes, des pièces non référençables comme des sculptures de Donald Judd
D : Oui, Donald Judd, les minimalistes
M : Tu vois une pièce de Judd, tu te dis pas “ça évoque la montagne”… tu sais pas, c’est juste… l’objet en quelque sorte… non-référençable, qu’en lui-même, c’est ça aussi un peu le [je désigne la sculpture]
D : Oui oui, c’est ça oui [très appuyé] c’est beaucoup ça …… Enfin moi je pense à une usine aussi, les toits des premières usines… mais sans lui donner l’intention de représenter ça.
M : D’accord
http://emilieduserre.com

duserre-1                                                                                                            Sans-titre (#15DEAF), 2014 – Polystyrène extrudé, bois, dimensions variables

 

3Entretien Soulerin

Au mur opposé au Mazuy, nous faisons face à un tableau de Soulerin, dont le châssis n’est pas recouvert d’une toile, mais d’une couverture, qui, régulièrement, est peinte de traits plus ou moins réguliers.

Mychkine : Alors, parle-moi de ton œuvre, si tu veux bien ?
Soulerin : Alors, c’est une pièce qui s’appelle « transit ». Donc, c’est une peinture, un tableau… et c’est un tableau assez simple : très peu d’ingrédients: Un châssis, une couverture de déménagement, et puis un peu d’acrylique dessus… qui vient dessus mais aussi dedans, parce qu’en fait, la couverture, à chaque fois que je fais des tableaux, le tissu est la première couche de peinture, et… c’est une toile qui n’est pas apprêtée, du coup la peinture que j’utilise va venir imprégner le matériau ; donc là la couverture de déménagement. Donc c’est une couverture intissée, avec des fibres de laine
M : De lin tissé ? Ah du lin ! Pardon !
S : Du non tissé
M : Du non tissé … ?
S : Intissé
M : Intissé… Ça existe ça le mot « intissé » ?
S : « Intissé » oui oui, ce sont des tissus qui n’ont pas de fils de chaînes, de fils de trame. Ici en fait c’est un amalgame de bouts de tissus, récupérés, industriellement, et après ils mettent une surpiqûre qui fait que ça tient la couverture. C’est du recyclage en fait.
M : D’accord…
S : D’où ce côté comme ça un peu chiné, du tissu, qu’on peut voir à la tranche. Et après je viens tracer sur la surface, un cheminement. Donc c’est parcourir la surface, avec une ligne, comme ça, un linéament qui va créer comme ça une espèce de labyrinthe, mais sans impasse. Donc on a comme ça une ligne qui parcourt, qui se cale sur la structure de la surpiqûre… Donc je me cale sur cette structure pour fabriquer ces lignes.
M : D’accord.
S : Donc c’est cette idée d’avoir un parcours de surface, et d’avoir un rapport au matériau… qui n’est pas un support, mais qui est vraiment un matériau de peinture, au même titre que la couleur que je vais rajouter.
M : Voilà, c’est ça ! J’allais te poser ce genre de questions : La couverture, en soi, c’est déjà un matériau qui, on va dire… qui existe en tant qu’objet plastique.
S : Exactement ! C’est le premier acte de peinture… choisir le matériau, sur lequel avec lequel je vais peindre ; qui va devenir un lieu, en fait pour moi. Du coup, il a des caractéristiques, il va absorber la peinture d’une certaine manière, il a une certaine épaisseur, une densité, une couleur… et je vais jouer avec ces caractéristiques, en réglant les couleurs, et en fonction de la structure ici du fil de surpiqûre.
M : Du coup, tes traits de pinceau, qui sont… mauves… comment on peut dire ?
S : Oui, « mauve » ça me va !
M : et bleu. Mauve et bleu ; du coup, ils font exister les lignes de la couverture, comme des traits de peinture aussi.
S : Exactement.
M : Et se révèlent quelque part …
S : oui oui, parce que du coup le rose que je rajoute, qui est identifié comme une trace de peinture, joue avec le gris du tissu…
M : donc du coup, tu fais exister de nouveau la couverture d’une autre manière, enfin elle prend une espèce de premier plan, enfin…
S : Oui. Il y a ce jeu où ce n’est pas qu’un support, c’est pas quelque chose que l’on va recouvrir.
M : Elle est à la fois support et… expression.
S : Exactement. Pour moi, ce mot « support », ce n’est pas une surface de recouvrement, c’est une surface avec laquelle je vais travailler.
M : C’est ce que je disais un peu tout à l’heure ; la couverture, en elle-même, est déjà une surface d’expression. C’est ça ?
S : Exactement. Et du coup après le principe de base que je me donne, par exemple, de parcourir la surface, je vais le faire en fonction des caractéristiques que ce matériau, ici la couverture, me donne. Par exemple ici, le mauve, rose, je l’ai adapté, je l’ai calé déjà par rapport à la valeur du gris optique de la couverture. J’ai choisi ce rose qui est présent dans la couverture ; dans un des filaments. Donc c’est une teinte qui est extraite, et après je vais la régler au niveau de la valeur, du gris de la couverture, et après je vais régler aussi la translucidité, je vais rajouter un liant, je vais rajouter un liant translucide, mat, qui va permettre que la couche de peinture que je rajoute ne soit pas une peinture complètement couvrante, et qui laisse percevoir, comme ça, l’espèce de ‘dripping’ de laine, qui est dans la couverture.
M : On peut penser à Rouan, un peu, dans son travail de superposition.
S : Oui, il y a ça et puis du coup l’arrière-plan du support, entre guillemets, vient aussi en surface. La peinture que je rajoute fait vraiment corps avec la matériau-couverture ici.
M : C’est bien !
S : Donc il y a cette idée de jouer, cette idée d’hôte, de lieu… la couverture est aussi l’hôte de la couleur, que je rajoute, et ma couleur est aussi l’hôte de la couverture qui l’accueille.
M : C’est un jeu de… un jeu de collaboration mutuelle…
S : Oui. Un échange de bons procédés.
[Rires]
M : Et une question peut-être un peu bête… mais comment tu en viens à prendre une couverture de déménagement pour peindre dessus ?
S : Le premier acte de peinture ça va être de trouver des tissus, qui vont avoir des caractéristiques soit matériologiques, qui m’intéressent : une épaisseur, un fil de trame… une texture, des choses comme ça, la couleur… et aussi le rapport à l’image, enfin au graphisme… et qui du coup vont me donner une base de départ… à habiter. Avec laquelle je vais pouvoir réagir. Que ce soit dans mon travail de peinture, mon travail de volumes, d’installation dans l’espace… je pars toujours de quelque chose d’existant. Donc, c’est vraiment un rapport au réel, une réaction au réel.
M : Donc tu prends la couverture, donc, la couverture, c’est déjà, pour toi, un acte de peinture déjà en soi.
S : Oui, c’est le premier choix… C’est le premier choix comme quelqu’un qui peindrait sur une toile blanche… « Quelle couleur je vais mettre en premier, quel fond… ? », moi c’est déjà présent.
M : Ce n’est pas pareil
S : Non, mais c’est premier choix… d’avoir ce lieu à…
M : Sans vouloir faire le pédant, mais le fait de dire qu’une couverture est déjà un acte de peinture, il y a presque déjà … une décision duchampienne là-dedans un peu quand même…
S : Oui. Pour moi, si on parle de Duchamp, la peinture c’est qu’un “ready made aidé” hein ? C’est un agencement…
M : D’accord…
S : Quand Duchamp fait un ready made aidé pour moi il parle de peinture… Si je prends une couverture de déménagement pour la dernière expo du Pays Où le Ciel est Toujours Bleu, c’est aussi quelque chose qui fait sens
M : C’est un clin d’oeil
S : C’est plus qu’un clin d’oeil, c’est une inscription dans le temps de cette expo là, c’est-à-dire que cette pièce là elle prend un sens particulier, en regard du déménagement futur, du futur du POCTB dans un autre lieu. Donc c’est bien aussi cette idée du transit, cette pièce là elle est faite pour cette expo. [J’ai demandé à Soulerin combien il avait de pièces faites à partir de couverture, et il a répondu « deux »].
M : Mais, j’insiste peut-être, mais comment es-tu tombé là-dessus, sur cette couverture ?
S : Alors, ce truc du “premier choix”, mon premier acte de peinture, c’est d’aller faire les magasins de tissu, d’ameublement, de matériaux, et du coup j’ai une attention particulière à ces choses là. Moi mon premier atelier c’est le magasin de bricolage, depuis assez longtemps… Les premières peintures que j’ai faites, j’étais encore aux Beaux-Arts à Clermont, et c’était des peintures sur moquette… qui étaient utilisée pour venir contredire mon geste, et étouffer le geste, mais c’était encore une peinture d’image ; du coup là c’était encore un support, la moquette, et la moquette venait interférer sur la lisibilité de l’image au final, autant que la couleur ou les choix de couleur que je pouvais faire venaient interférer sur la lisibilité de l’image. Et petit à petit l’image a disparu, pour en venir à des choses beaucoup plus ténues, qui sont liées aux matériaux, à des choses…
M : Quand tu parles d’images, tu veux dire “plus figuratifs” ou…
S : Oui, je partais vraiment… j’utilisais des modes d’emplois, par exemple, le support moquette est venu parce que j’utilisais, j’avais choisi un mode d’emploi pour découper la moquette. C’est donc des mains qui étaient figuratives, et qui expliquaient comment on découpe la moquette… et qui étaient reproduites sur des grands formats de moquette, à la colle à moquette, avec des laques couleur ; et du coup c’était l’idée de venir perturber, par les ingrédients que j’utilisais cette image noir sur blanc ; pour être bien compréhensible et celle du mode d’emploi. … Tout le vocabulaire autour de la couleur aura aussi participé du sens. Donc toutes ces choses là sont un peu schématisées, simplifiées, pour arriver à des choses un peu plus ténues, qui sont les qualités de surface, les qualités de lumière…
M : Très bien !
S : Du coup l’image a disparu, pour arriver à…
M : Une abstraction
S : Oui, mais des choses plus concrètes en fait… J’ai une image qui va figurer un geste qui a encore lieu, donc qui est une pure abstraction. Celui de découper la moquette, qu’on n’a pas encore découpée. Pour moi ça reste très concret, c’est des lignes roses, sur une couverture de déménagement. Tout le processus est très concret. “Comment le rose va réagir avec le gris ?”, “Comment le bleu va réagir avec le rose et avec le gris ?”. Là on est dans un produit très concret, de qualités plastiques, d’une certaine manière agencé. … Mais après c’est l’image qui fait penser à l’abstraction…
M : Oui
S : C’est l’image qu’on a devant les yeux… Ces lignes, ce monochrome quand on est loin…
M : Mais toi ce qui t’importes quand même du coup c’est aussi l’expression de la matière. C’est ça ?
S : Oui, c’est d’être proche de ce qui est présent devant moi. Quand je choisis ma courverture, je vais la regarder pour ce qu’elle a à m’apporter et ce que je vais pouvoir fabriquer avec elle. Et le « avec elle » est important, c’est… quand tu parlais de « collaboration » c’est ça, c’est “qu’est-ce qu’on va pouvoir faire tous les deux ensemble ?”
http://olivier.soulerin.net

soulerin3
  Sans titre, 2016 – Acrylique sur couverture, 125/125

soulerin2                                 (Détail)

À droite du Soulerin, se trouvent deux tableaux de Mario d’Souza.

4Entretiens d’Souza

(Avant-dire. Mario d’Souza est originaire de l’Inde. Il a un accent très prononcé et ne s’exprime pas dans un Français parfait. Cependant, tandis que l’on peut entendre sa voix originale sur la bande son, je n’ai pas retranscris son accent… ç’eut été ridicule. Il ne s’agit pas ici d’une oeuvre de fiction littéraire, mais d’une certaine forme de reportage. Or il est bien évident qu’on ne reproduit pas, à l’écrit, les accents des personnes avec qui l’on s’entretient! PS: Cette procédure linguistique s’appliquera aussi pour l’entretien 5, avec M.Buckley, qui est américain, et qui a gardé son accent chicagoan.)

 
Mychkine : Donc vous vous appelez… comment on prononce votre nom ?
dSouza: Mario (dé) Souza, j’expose dans ce collectif depuis quelques moments maintenant, et pour le moment dans cette exposition il y a deux œuvres d’une série d’une trentaine de pièces, et mes travaux souvent c’est des dessins avec beaucoup de couleur, et aussi des sculptures, [se tournant vers les deux tableaux] vous avez des rochers, vous avez des formes organiques, les fleurs, les feuilles, et des coulures. Et ça fait une composition, dans un espace donné, et les couleurs sont primordiales dans mon travail, mais, aussi les motifs… et j’ai pas peur de dire que c’est des motifs, parce que j’aime bien le monde du motif, motifs de dessins, motifs de textiles… motifs dans les œuvres des autres, et je récupère, je compose.
M : Donc vous jouez à la fois sur le caractère abstrait des fonds, non ?
D’ : Exact, bien sûr, c’est un peu l’Histoire de l’Art, pour moi. Quand nous arrivons dans le minimalisme avec Sol LeWitt, ou Dan Flavin, ou les autres… moi je ne suis pas allé encore là-bas. Pour moi c’est important de montrer encore les fleurs, la faune, les dessins, l’académisme… J’aime bien ramener ces choses là…
M : Donc le réel, un peu, quand même
D’ : Voilà, bien sûr, oui, le réel. L’abstraction et le réel, ensemble. Voilà, le fond est abstrait, et… la jailissance est réelle.
M : Votre réel, on l’identifie un peu, sauf que bon, ces espèces de… petits serpents qui courent sur les champignons on peut se demander ce que c’est, ça à un côté un petit peu
D’ : Un peu Matrix, quoi, ça donne un lien, un tissage,
M: Voilà
D’ : Un tissage vers les formes très géométriques, et très organiques… ça coupe les formes. Voilà.
M : Il y a une superpostion, il y a un jeu entre les, on va dire les espèces de fond monochrome qui sont côte à côte, non ? Vous les prendriez comme ça, comme des fonds monochromes ?
D’ : Oui, exact, chaque pièce est une œuvre, et l’ensemble devient une composition des œuvres. Ce sont des éléments regroupés, ce sont des compositions, c’est comme une nature morte, un still life. … C’est vraiment un tissage de tapisserie.
M : Et donc au niveau des matières, qu’est-ce que c’est ? C’est de la peinture ?
D’ : C’est des dessins.
M : Que vous faites avec quoi ?
D’ : Avec du fusain, du papier coloré, et des crayons… aquarelles…
M : D’accord, vous prenez des papiers colorés, que vous associez ensemble,
D’ : Exact
M : Comme un camaïeu, un peu
D‘ : Exact, oui
M : Et dessus vous venez dessiner
D’ : Oui, desssiner avec des fusains, et après avec le pinceau, je vais faire couler la jaillissance… La jaillissance ça peut être du sperme, c’est du sang, c’est des larmes… et tout ce qui regroupe ensemble un corps humain… Et quand vous entrez dans une pièce c’est vraiment vous entrez dans mon corps.
M : ‘Jaillissance”… on devrait dire le « jaillissement »…
D’ : « Jaillissement », voilà,
M: ‘Jaillissance’ ça n’existe pas.
D’ : Ah d’accord c’est un jaillissement.
M : Mais c’est joli ‘jaillissance’, c’est très joli… Mais, pour qu’on soit clair, ‘jaillissance’ ça veut dire ?…
D’ : Jaillir avec le sens
M : Ah, avec le sens !
D’ : Voilà c’est ça…
[Une interruption se produit quand quelqu’un vient saluer d’Souza]
M: Vous disiez la « jaillissance », c’est ce qui jaillit et qui fait du sens.
D’ : Oui, voilà. C’est le sens de « jaillir », c’est pas une masturbation dans le vide, mais c’est une masturbation sur des motifs.
M : La masturbation ?
D’ : Oui, presque, quelque part, le corps quoi!… Le corps qui jaillit dans les émotions, émotions de pleurs, émotions de joie… C’est la coulure pour moi, c’est aujourd’hui, dans mon travail, quand vous allez voir des autres pièces, c’est beaucoup de coulures, qui est là… et, pour moi c’est vraiment le corps, qui transforme, c’est la danse…
M : Donc en fait vos coulures, elles sont… enfin tout ça est fait pour la coulure ? Non. Oui ?
D’ : Exact, oui.
M : Oui ?
D’ : Ah oui, je pense… Tout ça c’est fait pour la coulure
M : Tout à l’heure vous parliez de Sol LeWitt, des minimalistes, de l’art conceptuel… donc vous iriez, peut-être un jour, jusqu’à ne faire qu’une coulure ?
D’ : Ça arrive déjà… mais par contre il faut que je travaille avant… d’arriver à ça. Parce que moi je n’en suis pas là, encore. Moi j’aime bien encore, avoir des fleurs, les nappes, les rideaux, les coussins… Si vous entrez chez moi ça va être une installation entière. Et là je suis en train de produire des appartements entiers, pour exposer après. Et là, je suis au Mobilier National
M : Ah bon ?
D’ : Et je fais une exposition l’année prochaine, ça va être un énorme appartement concept.
M : Tout l’appartement va être fait par vous ?
D‘ : Voilà.
M : Le décor, euh…
D’ : Voilà ! Je ne vois pas la différence entre décor et l’art, je m’en fiche un peu, franchement.
M : Une installation
D‘ : Oui, exact,
M: Dans laquelle on peut vivre.
[…]
M : Et vous avez un accent, vous êtes originaire de?
D’ : Je suis Indien d’origine
M : De quelle région de l’Inde ?
D’ : De Bengalore. [Bengalore ou Bengaluru (ಬೆಂಗಳೂರು, Bengaḷūru) est une ville du sud de l’Inde et la capitale de l’État du Karnakata]
[…]
M: Donc vous avez grandi en Inde ?
D’ : 23 ans j’étais là-bas, et après je suis venu à l’Ecole des Beaux-Arts à Paris.
http://www.mariodsouza.com
 
dsouza1Melting Rock, 2016 – technique mixte sur papier – 63 x 89 cm

5. Entretien Buckley 

Mychkine : Bon alors Michael, parle-moi de ce que tu exposes dans la galerie.
Buckley : Donc, c’est une série de bols. C’est une recherche sur les formes, mais plutôt sur les effets d’émaux, et de surface, que j’ai mélangé avec du sable, pour avoir des effets, et des textures différents, avoir des moments de hasard ; parfois il y des petits cailloux qui vont faire des bosses ; ça créé des moments de hasard pendant la cuisson.
M : D’accord. Quand on voit ces objets là, on se pose la question de la différence entre l’artisanat et l’art, non ?
B : Oui. C’est entièrement artisanal, en même temps.
M : Donc c’est bien ce que nous disions l’autre jour… Ce sont des pièces que tu présentes comme étant à la fois artisanales et artistiques.
B : Oui, entre les deux.
M : D’accord
B : Et comme on est en présentation qui n’est pas une présentation standard d’un bol, on a différents regards : on est à côté, ou dessous les bols, et on vraiment en train de regarder plutôt l’émail que les formes du bol intérieures ; en fait on ne vois pas l’intérieur des bols, on voit les extérieurs, et on voit les textures d’émail à l’extérieur. Donc on a une forme simple, et après on a juste les jeux de différentes texture et d’émail.
M : Oui, on ne voit pas l’intérieur parce qu’ils sont trop hauts, c’est ça ?
B : Ils sont assez haut sur le mur. La présentation est [donc] plus artistique qu’artisanale. Donc on joue sur le regard, et sur l’objet.
M : Et il y a des artistes dont tu te sens proche par rapport à ce travail là ?
B : Oui, il y a des artistes, plein de potiers qui représentent cette tradition dans les galeries
M : Oui… comme qui par exemple ?
B : Comme Shoji Hamada, Jim Leedy… 
M : D’accord
B : Mais je crois que c’est un mouvement qui est beaucoup plus anglo-saxon ; l’acceptation de céramique comme forme d’art.
M : D’accord, c’est un mouvement plus lié à l’Angleterre ou à l’Amérique ?
B : Oui, c’est plus accepté en Angleterre et en Amérique, et il y a aussi une histoire de la céramique très différente qu’ici en France, avec le potier du village… Il existe une céramique très utilitaire ici. C’est arrivé assez tard dans l’histoire ici. Aux États-Unis on a commencé dans les années 50, avec le travail d’expressionnisme abstrait. À New York il y avait des mouvements de potiers, d’abstraction, Peter Voulkos par exemple, qui est le plus connu. C’est l’artiste qui a le plus poussé la transformation de l’artisanal vers l’art. […] C’est la même technique, mais même si c’est une bouteille c’est une sculpture en même temps.
M : D’accord. Et tu t’inscris dans cet héritage américain ?
B : Je suis plutôt proche du mouvement anglais (Lucy Rie, Edmund de Waal, Bernard Leach), et qui est plutôt la présentation de pots, d’une autre manière. Présenter des quantités de pots, avec des petites nuances de différences.

buck2

buck3Sans titre, 2016 – Céramique – Dimensions variables

 

6. Entretien Aligand 

Mychkine : Donc, tu présentes une pièce, qui s’appelle comment ?
Aligand : « Secoués ». C’est lié au processus…parce qu’en fait ça résulte de la relation entre de la colle chaude, et des paillettes, et donc la pièce elle est faite… dans cette relation là. En fait la colle est versée sur des paillettes, et en secouant ça donne tous ces plissés
M : Attends, alors, déjà… la colle, c’est quelle matière ça ?
A : C’est une colle thermofusible.
M : D’accord ! Ça c’est de la colle, entièrement
A : Et des paillettes… C’est une manière de faire de la peinture, mais avec des matériaux qui sont plutôt du bricolage en fait. Je remplace les pigments par les paillettes.
M : Et tu dis que c’est de la peinture ?
A : Non, c’est pas de la peinture, mais comme c’est accroché…
M : Bon, mais on pense aussi à de la sculpture.
A : Oui mais c’est de la sculpture hein ? [Rires] Je fais de la sculpture je ne fais pas de la peinture.
M : Hmmm ! C’est de la sculpture ?
A : C’est ça. Et c’est très récent, ça, ça date de l’année dernière. Et ça fait partie d’un ensemble autour de la couleur.
M : Mais quand tu dis que c’est de la colle… Excuse-moi, c’est aussi mon ignorance… mais c’est de la colle, tu prends quoi ? Explique-moi comment tu fais ça ?
A : Moi je ne travaille qu’avec des polymères, qu’avec des plastiques. Donc cette colle, c’est une forme de silicone, et c’est une colle qui se chauffe, donc qui devient malléable, et donc pendant un temps donné… En fait c’est fait dans un bac. Je touche absolument à rien. C’est vraiment la réaction de la colle et des paillettes. [Rires] J’ai un grand bac en plastique, dans lequel je verse des paillettes, ensuite de la colle chaude, et en secouant, j’obtiens des… des formes. J’interviens pas directement avec la main.
M : Donc c’est complètement aléatoire.
A : Voilà !
M : Le résultat, tu ne le connais pas à l’avance.
A : Non ! Et après j’assemble des choses, en fait. J’assemble plusieurs tentatives… qui donnent une forme générale. Et après c’est juste accroché à un crochet, pour … relier à une forme de pesanteur du matériau.
M : Et tu mets les paillettes quand c’est encore chaud, dessus.
A : Oui, sinon ça ne marche pas.
M : Du coup, tu as une matière homogène, comme si elle était “naturelle”
A : Voilà, c’est ça.
M : Ouais. Super disco comme pièce hein ?
A : C’est un peu disco ! Tout à fait. Et puis ça prend la lumière ; oui c’est quelque chose qui est assez intéressant, oui.
M : Ça pète ! 
http://samuelaligand.com

aligandSecoués, 2016 – Colle et paillettes – 45 x 80 x x 30 cm

L’oeuvre d’Aligand est donc accrochée sur le côté droit du mur. À sa gauche, se trouve une œuvre de Pauline Vachon.
 
7Entretien Vachon
 
Mychkine : Donc, Pauline Vachon tu nous présentes une œuvre, qui s’appelle comment ?
Vachon : “Colline 220”.  Elle a été produite pour La borne, en 2013. C’est une sculpture qui s’installe sur un fond photographique, qui reprend en fait un principe de prise de vue en studio, donc elle s’assoit, se met en place sur ce fond, et dans La borne elle était aussi en relation avec une image, une photographie qui s’appelait… Sans-Titre, qui était aussi une forme de lichen, donc qui reprend un peu la texture, que nous ne voyez pas mais qui est visible, quand on est dans l’espace d’exposition, qui est une forme sculpturale avec du floc [du flocage… il semble que le mot “floc” n’existe pas], du “floc” vert, voilà, donc il y avait une correspondance entre l’image et la sculpture. C’est un travail que je mène depuis 4-5 ans, sur ce rapport entre la représentation en deux dimensions qu’en trois dimensions : comment ces deux formes de représentations, peuvent, à un moment donné, dans un espace bien défini, qu’était La borne, peut… dialoguer, voilà. C’était une interrogation là-dessus, et voilà.
M : D’accord. Et on remarque qu’il y a une petite de support de…
V : Oui, alors l’idée, c’était de surélever un peu cette masse, qui était censée à la fois représenter une colline, un rocher, et qui… est légèrement surélevé pour montrer… ça reprend aussi un peu un travail que je fais qui s’appelle Les Éléments du Décor, donc c’est à cheval entre la sculpture, la forme décor, la forme qui simule, et elle est levée pour… pour ne pas avoir ce côté, j’allais dire définitif dans un espace. Elle est dans cet espace mais un peu en lévitation, en devenir ; elle est mobile, voilà. Ça pourrait aussi montrer un peu cette forme un peu mobile.
M : Et est-ce qu’il y aurait presque un côté humoristique aussi, non, un peu ?
V : Dans quel sens ?
M : Bah… Cette énorme masse qui est soutenue par une tout petit morceau de bois…
V : Oui… peut-être !
M : Et alors pourquoi mettre cette sculpture sur un papier photographique, un papier de décor ?
V : Eh bien! C’est une mise en scène, une mise en situation. Ça reprend tous les éléments que je traite, qui simulent le réel. En fait, je photographie beaucoup les maquettes, là c’est un flocage aussi de maquette… il y a toute cette idée de mise en scène, de mise en abîmes, de mise en situation, de simuler quelque chose, et là c’est comme si c’était prêt à être photographier.
M : Voilà c’est ça. Donc c’est du floc, c’est ça ?
V : Du flocage
M : Que tu as peins ?
V : Non non… techniquement, c’est du plâtre
M : Comment tu obtiens cette forme ?
V : C’est tout bête. Je fais une forme en plâtre. En bandes platrées ; sur lesquelles je vais apposer du papier maquette, plus après du floc, le floc c’est un élément qui sert dans la construction, pour isoler.
M : OK. Et le nom de la pièce, il a une référence ?
V : Oui ! Colline 220, elle a une référence à un travail que j’avais fait en résidence. J’ai travaillé sur la Guerre des Haies, et ça simulait en fait des hauteurs de collines, donc c’est une référence sur un terme qui est employé pour nommer la hauteur de la colline.
M : Tu as travaillé sur la Guerre des Haies ?
V : En Normandie, oui.
M : Qu’est-ce que la Guerre des Haies ?
V : La Guerre des Haies, c’est quand les Alliés ont débarqué, dans le bocage normand, ils avaient du mal à avancer, parce qu’ils étaient confrontés aux haies. Donc les chars, tous les éléments de guerre, n’arrivaient pas à avancer, parce qu’ils étaient bloqués par ces haies.
M : Oui, parce que dès que tu as dit le nom de la pièce, on pense à quelque chose de… à un point militaire.
V : Oui, parce qu’il y avait tout un travail que j’avais fait pendant cette résidence, où j’avais conçue déjà une forme sculpturale, mais qui était plus comme un camouflage… et qui reprenait cette idée de colline, et quand j’ai préparé ce travail pour La borne, c’était quand j’étais en résidence… 
http://www.paulinevachon.fr
 
vachonColline 82, 2013 – technique mixte – Dimension variables

8Entretien Pons

Mychkine : Alors, parle-nous de ce que tu nous proposes, de ce que tu nous montres, si tu veux bien.
Pons : Alors ce sont deux photographies, qui datent de 2000, en fait c’est un choix du commissaire, qui fait partie de mes premières œuvres. Donc là on a deux photographies qui peuvent être lues comme un dyptique, ou comme deux photographies autonomes, même si elles sont intimement liées par ce qu’elles représentent. Donc sur la photographie de gauche, vous avez un autoportrait, où je porte un loup, un masque, et ce masque, en fait, est au motif d’un crâne. Sur la deuxième photo, on a aussi un autoportrait, qui est en fait la photographie d’un crâne, qui porte un loup, identique à la photo de gauche… et sur ce loup, il y a ma peau ; qui est déposée. C’est pour ça que je parle d’autoportrait pour la deuxième photo.
M : Donc en fait, on va dire, ce sont des vanités, non ?
P : Oui, on peut dire ça. Oui, on peut dire ça, des memento mori.
M : Donc ça ce sont des pièces de 2000.
P : Oui
M : Mais, en 2016, tu es toujours très préoccupé par cette question du crâne, du visage…
P : Oui, parce que, en fait… alors cette question du crâne et du visage elle n’est seulement liée au memento mori, elle est liée aussi à l’interaction entre structure et surface. En fait, là, si on regarde un visage, ce qui le sépare de son crâne, qui le supporte, c’est une épaisseur, qui est une épaisseur qui est là fois physique, et on peut aussi la considérer comme une épaisseur temporelle, vu qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle va disparaître. Et donc se joue l’interaction des deux visages ; celui du dessus et celui du dessous, et c’est en fait cet interstice, et cette épaisseur là, qui m’intéresse à questionner, donc là, dans la question du portrait, mais qui m’intéresse aussi à questionner ailleurs, parce que c’est la question du rapport entre surface et structure…
M : Donc pour toi, si je comprends bien, un crâne, c’est un visage aussi ?
P : Un crâne est aussi un visage.
M : Ce qui assez antinomique, mais bon, on peut l’accepter quand même.
P : C’est pas antinomique… En fait un crâne et un visage… Alors moi j’ai un souvenir très fort de ma première rencontre avec des crânes… ça a été à Orléans, où il y avait le Père Amel, qui s’occupait de la Tour St Paul, qui m’a fait visiter un jour les catacombes qui sont sous la Tour. Et en fait cet homme il a passé son temps, et patiemment tout nettoyé, et tout rangé. Je me suis retrouvé un jour avec ce type qui était très âgé, et très alerte, et qui m’a dit « bon je t’emmène ». Et donc il y a de ce petit bonhomme, hyper alerte, qui ouvre une trappe dans le sol de l’église, et qui saute sur une échelle, et qui descend à pic… sept mètres, tu vois ? Avec une pauvre ampoule qui pendait. Donc moi je l’ai suivi, je flippais comme un con, j’avais mon pied photo, mon appareil, et je descends, et j’arrive en bas, et effectivement il y avait des cavités, où il avait rangé soigneusement tous les os, donc il y avait tous les fémurs d’un côté, tous les tibias d’un autre
M : Incroyable !
P : Il avait empilé tous les crânes un par un, dans une niche
M : Un travail d’archivage, quoi !
P : Un travail d’archivage, et de rangement. Parce que pour lui, il fallait prendre soin de ces restes de corps. Et quand je me suis retrouvé devant tous ces crânes, très très bien rangés, superposés, les uns au dessus des autres… en fait, tu es pris par la singularité de chacun. C’est comme avoir une foule d’inconnus en face de soi, parce que, la taille des orbites, les dents, les fosses nasales, la fosse du crâne, c’est jamais la même chose… Alors effectivement on voit toujours le crâne dans une forme générique, et puis maintenant de plus en plus… parce que l’image de crâne elle est devenue… sur des T-shirts, sur des badges, j’en passe et des meilleures, on voit des crânes partout, tout le temps et à tire- larigot… mais être confronté à l’expérience du crâne, c’est être confronté à l’expérience du reste de l’autre, et quand j’étais face à tous ces crânes, en fait, voilà, c’était cette singularité et cette intimité du visage, qui m’est apparu en premier… avant… le crâne.
M : Et avant cette visite tu avais déjà travaillé sur le crâne ?
P : Oui, j’avais déjà travaillé sur le crâne parce qu’on m’avait prêté un crâne. Je voulais dessiner un crâne, et j’ai rencontré un archéologue qui m’a prêté un crâne. Et j’ai passé beaucoup de temps dans ma chambre d’étudiant à avoir un crâne sur ma table de nuit ; que je dessinais régulièrement. Et c’est une forme très étrange, parce que quand on la dessine, quand on l’interroge, c’est la question du support. On parle de fosse nasale, la fosse qui va recevoir le nez… d’obites, qui vont recevoir les yeux, les dents, c’est quelque chose qui est entre le sourire, et l’intérieur, enfin c’est quelque chose qui est dans l’interaction en fait, et du coup par le dessin, en fait quand tu interroges cette forme, du crâne, régulièrement, forcément tu te poses la question du visage qui était dessus… C’est pour ça que je parle du visage quand je parle du crâne. Parce qu’il y a quelque chose de très très fort.
M : OK
P : Voilà
M : Merci beaucoup.
http://sebastienpons.web4me.fr
ponsSans titre (dyptique), 2002 – tirage argentique encadré – 50 x 60cm
 
 
9Entretien Brunet
M : Tu t’appelles donc ?
B : Julien Brunet !
M : Donc tu es artiste, on va dire… dessinateur principalement ou… ?
B : Plasticien, je fais de la vidéo, du dessin, de la peinture, des sculptures, des installations
M : D’accord… Donc là tu exposes des galets, des cailloux
B : Ce sont des cailloux que j’ai ramassé sur une une plage en face de Jersey, à Carteret. J’ai fait une sélection des pierres qui me plaisaient individuellement, par la forme, et par la matière. J’ai passé quelque temps à ramasser plusieurs cailloux, sans savoir ce que j’allais en faire. Ensuite je les ai ramenés chez moi, et un jour, pour poursuivre un peu la pratique que j’avais du dessin, de la peinture sur papier, sur palette graphique, sur toile, j’ai eu envie… J’avais déjà travaillé sur les volumes, des volumes que je faisais moi-même, des formes plutôt géométriques… donc là j’ai eu envie de peindre sur ces volumes, qui, dans un sens, sont aussi dans mon travail de dessin, où je pouvais dessiner des formes de cailloux, comme ça, dans le dessin, et là j’ai voulu remettre cette sorte de matière, retravailler la matière, sur des choses en matière.
M : D’accord. Les motifs que tu as… tu appelles ça comment, dessiner, peindre ?
B : Là c’est peint au pinceau.
M : Donc les motifs peints rappellent les motifs originels, ou ?
B : Pas du tout, c’est plus dans mon imaginaire de trouver des “vibrances”, là c’est du noir qui forme des petits points blancs, en fait, c’est pas de points blancs qui sont peints. Donc le fond est blanc, et ensuite il y a tout le travail de minutie, qui va créer une sorte de trame sur le module […] Le caillou est en couleur, mais je je le peins en blanc, mais ensuite je vais travailler à l’encre de Chine, pour suivre des lignes, et créer une sorte de peau en fait, sur chaque élément.
M : Donc en fait, avec un objet naturel, un caillou, tu fais un artefact
B : C’est ça
 http://burnbrunet.com

 brunetSans titre, 2016 – Acrylique sur cailloux – Dimensions variables

10. François Andes
Les masques de François Andes sont étranges. On dirait des visages découpés plutôt que des masques à proprement parler. Ils sont inquiétants. Ils semblent, chacun, exprimer une attitude psychologique précise, un moment d’expression figurante. De fait, ils nous orientent vers le jeu, le théâtre, voire la duperie. Le titre “Gueules d’anges” nous invite d’ailleurs à ne pas croire ce que nous lisons ; car nous ne voyons pas des gueules d’anges, mais, encore une fois, des visages inquiétants. Mais  le titre nous a prévenu : On ne dit pas de quelqu’un qu’il a une « gueule d’ange », mais bien plutôt qu’il a un visage d’ange
 http://www.francoisandes.fr
 
andesGueules d’anges, 2016 – Crayon sur papier et rubans – Dimensions variables
 

1: « L’extrusion est un procédé de fabrication (thermo)mécanique par lequel un matériau compressé est contraint de traverser une filière ayant la section de la pièce à obtenir. On forme en continu un produit long (tube, tuyau, profilé, fibre textile) et plat (plaque, feuille, film). Les cadences de production sont élevées » (Wikipédia).