Léon Mychkine : Peux-tu, en termes simples, expliquer ta pièce ?
Hugo Pétigny: Ma pièce, “Électrographie de l’argent” s’intéresse aux dépendances énergétiques, en l’associant au fait que la photographie a eu un impact important sur le minage de l’argent, comme le photovoltaïque aujourd’hui. Donc il y a une continuité dans la pièce entre photographie et la recherche d’énergie aujourd’hui.
LM: Tout à coup, tu me fais réaliser que l’expression “photographie argentique” signifie qu’il y a de l’argent dedans, c’est ça ?
HP: Exactement. Dans le papier photographique, il y a de l’argent, car c’était un des seuls métaux qui réagit d’une certaine manière à la lumière, il est photosensible, il va noircir la lumière, et le révélateur va le détruire.
LM: Donc tu fais un bond technologique avec le panneau solaire…
HP: En fait ce qui m’intéresse, c’est cette continuité entre la photographie argentique et le panneau solaire dans l’utilisation de l’argent.
LM: Parce que dans le panneau solaire il y a aussi de l’argent ?
HP: Exactement. Depuis vingt ans, pour construire toute la connectique. Mais on cherche à s’en détacher, parce que les capacités des mines d’argent seront épuisées en 2035, et c’est aussi ce qui est intéressant dans le projet, parce que cette fin de l’argent, c’est aussi la métaphore d’une fin du capitalisme.
LM: Donc, pour que l’on comprenne bien, tu disposes des capteurs photovoltaïques sur une table, qui est en verre ?
HP: C’est une plaque de verre, comme une reprise des premières photographies
LM: Oui, comme le daguerréotype. Donc tu mets des capteurs solaires sur cette plaque, et que se passe-t-il ?
HP: Alors je mets sur la plaque des cellules solaires, qui ont été achetées en Chine, selon un récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie, 80 % des processus industriels de fabrication des panneaux solaires est contrôlé par la Chine et elle possède la plupart des mines de silicium, qui permet la création des cellules solaires. Bref. Ces cellules sont alimentées par 32 ampoules, situées au dessus, qui elles-mêmes sont reliées à un panneau solaire qui est à l’extérieur du lieu d’exposition, panneau solaire qui a été acheté auprès d’une société suspectée de faire travailler de la main d’œuvre ouïghour, dans l’extraction de la silice. Donc ça parle aussi de la provenance de la lumière, de la provenance de nos énergies. Ces cellules solaires, disposées sur une table qui reprend un peu la forme des tables diplomatiques, sont agencées depuis différentes puissances (de 1 à 5 Volts) comme les différentes puissances mondiales qui se mettraient autour d’une table diplomatique, finalement, pour parler d’énergie. Ces cellules envoient de l’électricité dans du nitrate d’argent liquide, dans de l’eau distillée, et le nitrate d’argent, c’est vraiment la solution de base du développement argentique, dans le papier argentique, et le fait que de l’électricité vienne dans ce nitrate d’argent crée une électrolyse, et produire des cristaux d’argent, pendant tout le temps de l’exposition.
LM: Et ce liquide, ce bain, il est versé sur la plaque ?
HP: Oui. En fait, c’est un peu comme une plante, les cristaux de nitrate d’argent restent, mais l’eau s’évapore, donc il faut en ajouter tous les deux jours.
LM: Et ensuite, que se passe-t-il ?
HP: Les cristaux d’argent vont grandir jusqu’à atteindre les pôle positifs et négatifs des cellules solaires, puis ensuite ils vont se décomposer. Le nitrate restant, à son tour, va attaquer et décomposer les cellules solaires.
LM: Et au bout du compte ça va produire une sorte de fresque un peu sauvage.
HP: Exactement. En fait il y a à la fois de la composition électrique ; l’électricité va écrire, dessiner ces formes, en essayant évidement de rejoindre le + jusqu’au -, et comme les cristaux ne tiennent pas dans le temps, ils vont aussi se désagréger.
LM: Et sur combien de temps s’étend cette expérience ?
HP: Sur trois mois ; le temps de l’exposition. À la fin, la table est détachée, on laisse se terminer l’évaporation, et on installe la plaque à l’horizontale.
LM: Comme une sorte de tableau.
HP: Exactement.
LM: Donc si je comprends bien, dans ton processus, il y a un jeu avec la technologie, la science, et une recherche qui en fin de compte est aussi esthétique ?
HP: Oui, totalement, je ne détache pas l’esthétique, je crois vraiment aux possibilités esthétiques.
LM: Donc est-ce que l’on pourrait dire que tu vas produire un tableau ?
HP: Je laisse l’électricité produire un tableau. C’est un mélange, effectivement, entre une photo et un tableau. Et ce qui est remarquable, c’est que ce mixte, qu’on peut appeler “électrographie”, va produire une pièce qui donne encore de l’énergie ; et c’est ça qui m’intéresse.
Entretien réalisé au téléphone et retranscrit par Léon Mychkine et relu et amendé par Hugo Pétigny
Hugo Pétigny, jeune artiste passionné de lumière, à l’École du Fresnoy
Léon Mychkine
écrivain, critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant
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