Mondfänger 2 (tribute to Charles Fréger), huile sur toile, 200×150 cm, 2016

Entretien avec Maël Nozahic, peintre

Léon Mychkine : Quand on regarde ton travail, on remarque assez vite qu’il y à un répertoire, un répertoire ludico-macabre ou macabro-ludique, ça dépend des moments. Je veux que ce tu fais, tend parfois à une certaine joie, une certaine innocence même, et parfois c’est plus grinçant…   

Maël Nozahic : Oui, tout à fait, déjà par le choix des animaux… La hyène, le loup, ça nous emmène vers des contes, ce genre de choses, qui peuvent faire penser à des choses plus sombres, en effet. 

Maël Nozahic, vue d’exposition, tableaux et sculptures

LM : Et tu aimes aussi les figures un peu monstrueuses, comme dans tes “Encres sur papier”.

Maël Nozahic, “Faune II”, encre et aquarelle sur papier, 30 × 24 cm, 2017

MN : Oui, j’ai fait beaucoup de chimères, et il y a des mélanges avec la mythologie, des statues et puis les animaux, et ça fait une sorte de mélange hybride un peu spécial. Mais je le fais de moins en moins. J’étais dans quelque chose de sombre, avant, mais qui m’a choqué moi-même. Je suis rentrée dans ma dernière exposition, et quand j’ai vue toutes mes toiles accrochées les unes à côté des autres j’ai été un peu choquée par la tristesse, le côté sombre.

LM : Ah oui ?

MN : On les peint à l’atelier, une à une, on les met de côté, et là, vu ensemble, je me suis « est-ce que c’est vraiment ça que tu veux transmettre ?». Donc j’ai eu un sursaut pour la couleur, à partir de la Série des “Carnavals”. Je suis vraiment passée du manège un peu macabre au carnaval un peu plus festif, bien qu’il y ait des figures masquées de crâne d’animaux et vêtues de peaux  de bête, comme dans les Séries “Acta est fabula”, ou encore “Mondfänger”, par exemple. Je me suis beaucoup inspiré du livre de Charles Fréger, un photographe normand, que j’aime beaucoup, et qui a fait un livre sur le “Wilder Mann”. J’ai fait un mélange entre la sorcellerie et le carnaval, comme souvent dans ma peinture. J’ai fait beaucoup de dessins aussi et quelques céramiques. 

Mondfänger 2 (tribute to Charles Fréger), huile sur toile, 200×150 cm, 2016
Maël Nozahic, “Mondfänger 2 (tribute to Charles Fréger)”, huile sur toile, 200 × 150 cm, 2016

LM : Et que veut dire “Mondfänger” ?

MN : C’est une série que j’ai faite à Meisenthal, en Lorraine, durant une résidence chez un artiste, et en fait les personnes de Meisenthal s’appellent elles-mêmes les mondfänger, c’est-à-dire Attrapeur de lune, dans leur patois. Mes séries sont très longues, par exemple celle des “Ranch” duré de 2009 à 2012, et ensuite j’ai enchaîné sur les Carnavals jusqu’il y a à peu près deux ans. Et là je suis dans la continuation logique. Pour moi c’est toujours logique. Il y a la ronde des manèges, le carnaval, le côté “cycle de la vie”, en fait ; quelque chose de l’ordre du rond, du cercle, l’Ouroboros, et là je suis sur un cycle où la figure humaine est assez rare, c’est un peu comme si tout avait un peu disparu. C’est la fin des temps, l’éden, le post-apocalyptique, on ne sait pas trop. Mais la figure va réapparaître, car j’ai une grande fascination pour les statues.

LM : Du coup, peut-on localiser ton imaginaire ?

MN : C’est un melting-pot de plein de références ; mythologie, statuaire, histoire de l’art, religion, mais à la base mon travail c’est vraiment la chimère. Il y a vraiment un gros travail sur le collage mental.

LM : Et qu’est-ce qu’un “collage mental” ?

MN : C’est quand tu fais un rapprochement avec deux sources qui n’ont rien à voir.

LM : C’est étonnant parce que certains artistes ont recours à des mythologies plastiques, en fait, qui ont vraiment disparu de notre paysage mental. Parce qu’il y a belle lurette qu’on ne croit plus aux monstres, et à tout ça, tu vois ce que je veux dire ? C’est intéressant de voir qu’il y a des artistes comme toi, d’ailleurs ce sont souvent des femmes, il me semble, qui ont recours à des espèces de figures mythologiques ou pseudo-mythologiques, dans un monde, le nôtre, occidental, qui les a chassées depuis déjà plusieurs siècles.

MN : C’était vraiment le fond de ma réflexion avec la série sur les Carnavals, parce que dans le livre de Charles Fréger on voit qu’on se déguise encore chaque année, pour célébrer le passage d’une saison à une autre ou bien rejouer des rites de passages et cela se passe partout dans le monde. Donc c’est quelque chose d’ancestral, qui reste, et on se demande pourquoi dans notre époque on a encore besoin de cela. Et il y a plusieurs réponses à cette question. En tout cas ce qui m’intéressait, c’est pourquoi a-t-on encore besoin de s’affubler, de se travestir, de célébrer quelque chose dont l’origine est un peu floue. Et c’est intéressant parce que malgré les Ipad, les téléphones portables, les voyages dans l’espace, on reste très ancré dans des traditions un peu obscures, qui ont rapport au mysticisme, à la religion ou au paganisme.

LM : Mais ton univers est aussi très très coloré, et c’est assez étonnant.

MN : La couleur, ça vient de l’expressionnisme allemand, qui m’a très intéressé très tôt. Des couleurs assez criardes. Je n’aimais pas du tout ce qu’ils peignaient, mais par contre j’appréciais la violence et les couleurs qui se superposaient d’une façon vraiment percutante. Mais après j’ai toujours aussi apprécié les peintres un peu plus calmes, comme Bonnard, Vuillard, les peintres de la couleur plus harmonieuse. Et avec la technologie on arrive à pousser les couleurs jusqu’au fluo, donc c’est encore un autre champ au niveau des pratiques qui est très intéressant, par rapport à mon propos, souvent dans une nature OGM, un peu polluée. Du coup les couleurs acides ça me convient bien.

Entretien audio enregistré, retranscrit pas LM, et amendé par l’artiste.

 

 Léon Mychkine

écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

 

Nouveau ! Léon Mychkine ouvre sa galerie virtuelle 

galeriemychkine.com