Entretien : La jeune artiste Noémie Pilo avec Léon Mychkine. #.1

Léon Mychkine : Bonjour Noémie, ça fait à peine quelque jours que je connais votre travail, comme je vous lai dit, et je suis intrigué, dans le bon sens du terme ; et ce que japprécie chez vous, entre autres, cest ce que jappellerais votre parcimonie, qui produit une certaine élégance, aussi.     

Noémie Pilo : cette parcimonie, jy suis arrivée à la suite dun séjour au Japon. Jai étudié pendant six mois à Kyoto. Et cest à ce moment-là où jai commencé à mintéresser aux haïku. Jaimais cette forme brève qui pointe du doigt un événement souvent assez discret, et sans apporter de jugement, ou dautorité sur cette chose. Et cest quelque chose que jai essayé dincorporer dans les sculptures et les objets que je produis. Après, bien sûr, il y a des influences artistiques, comme le minimalisme, lart conceptuel. Jaime bien l’économie de moyens, ou de forme, pour exprimer quelque chose. Je suis aussi intéressée par le langage, de plusieurs manières, par exemple jai rendu un texte abstrait, que ça devienne une forme, qui peut se regarder sans se lire. 

LM : oui 

Noémie Pilo, “Haïku”, 2022, Pierre de Doura, 100 x 6 x 3 cm. Photographie de l’artiste. Légende augmentée sur site de l’artiste : https://noemiepilo.fr/
Noémie Pilo, “Haïku”, 2022, Pierre de Doura, 100 x 6 x 3 cm, photographie de l’artiste

NP : et en ce moment, je suis en train de démarrer une recherche sur la pierre en tant que signe, à la fois dans le paysage, mais aussi comme support d’écriture, et ça se fait beaucoup via des résidence [Aveyron et Vosges]. Jai commencé cet été durant une résidence en Aveyron. Et là je me suis intéressée à un type de mégalithe que lon trouve en en France, particulièrement en Aveyron et dans le Tarn. Ce sont des statues-menhirs, des bas reliefs mais qui sont gravées double-face. 

Statues-mehnirs, photographie : Noémie Pilo, règle graduée sur-mesure
Statues-mehnirs, photographie : Noémie Pilo, règle graduée sur-mesure

Donc je viens voir ces pierres, avec un outil que je me fabrique, et cet outil va me permettre de donner l’échelle de ces pierres. Et en ce moment, je suis en résidence dans les Vosges, et je mintéresse aux roches à bassins et à cupules, ce sont des pierres érodées par leau et souvent utilisées par lhomme pour stocker leau de pluie, les grains, teindre des peaux, des choses comme ça, et parfois on est revenu creuser dans ces bassins pour adapter leur utilisation : 

Noémie Pilo, roches à bassins, Photographie de l’artiste, règle graduée sur-mesure
Noémie Pilo, roches à bassins, Photographie de l’artiste, règle graduée sur-mesure

LM : donc, éventuellement, vous pouvez vous baser sur des choses déjà existantes pour créer autre chose ?

NP : jai souvent besoin de me créer un cadre, des contraintes, avec des règles, au besoin pour les détourner, et à partir de ça jarrive à produire des formes. Ça peut être partir de la matière avec ses contraintes, ou dune idée, comme un jeu de mots, ou encore depuis une photo que jai prise.

LM : il y a des œuvres de vous qui me parlent tout de suite, comme cette pièce en grès, faite à partir dune lettre égyptienne (Benben) : 

Noémie Pilo, “Benben”, 2024, grès, 60 x 20 x 17 cm, photographie : Robin Bourgeois. Légende augmentée  sur site de l’artiste : https://noemiepilo.fr/

Cest très beau. Cest extrêmement simple et en même temps très complexe puisque ça vient dun hiéroglyphe. 

NP : oui, cest tout le temps une recomposition.

LM : et jaime bien aussi ces deux livres enchâssés

NP : ah oui, Amour Dépeupleur” ?

LM : oui. Cest très intéressant.

Noémie Pilo, “Amour dépeupleur”, 2020, L’Amour, Marguerite Duras, Le Dépeupleur, Samuel Beckett, 20 x 30 x 25 cm. Photographie : Robin Bourgeois. Légende augmentée  sur site de l’artiste : https://noemiepilo.fr/

NP : cette pièce est partie dune anecdote dite par mon frère, qui faisait des études de Physique, et là c’était par rapport à la question du frottement. Et ici cest la multiplication du frottement par le nombre de pages qui crée la forme, et donc plus les livres sont gros et plus ils peuvent retenir de poids. Donc à partir de cette histoire, jai eu envie de réunir deux livres, qui à la lecture mavaient donnés une sensation assez similaire. Donc il y en a un qui retient lautre uniquement par la force de frottement.

LM : donc cest celui du haut, fixé par un clou, qui tient celui du bas.

NP : oui. En haut, cest Le Dépeupleur, et en bas cest Amour.

LM : daccord. Et comme vous êtes littéraire, les titres sont-ils explicites ? Y a-t-il quelque chose derrière ?

NP : vous pensez à quelque chose ?

LM : eh bien, si on prend cela comme une métaphore, si lAmour tombe, reste Le Dépeupleur, cest ça ?

[Rires]

NP : c’était un jeu avec les titres, mais je navais pas forcément extrapolé mais jaimais bien que ça puisse ressembler à une phrase.

LM : oui. Parce que vous connaissez la fameuse phrase de Lamartine : « un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! ». [i.e., Alphonse de Lamartine, Première méditation, Lisolement”, 1820].

NP : ah non je ne la connaissais pas.

LM : et puis il y a une élégance dans vos pièces que japprécie beaucoup, comme ces carottes dune même pierre avec des finitions différentes.

Noémie Pilo, “Chronolithographie”, 2024, Granit, 60x30x10cm. Photographie : Robin Bourgeois. Légende augmentée sur site de l’artiste : https://noemiepilo.fr/

NP : ça cest un travail que je viens de finir.

LM : et cette parcimonie, ça a commencé avec votre voyage au Japon, ou avant ?

NP : J’étais à Kyoto entre 2018 et 2019, et jai limpression que cest là que ça a commencé à se confirmer.

LM : Vous dites « confirmer » et cest vrai quavant 2018 il y a déjà une tendance parcimonieuse, si on prend par exemple Répliques d’œufs pochés et dexcroissances de blanc d’œufs”, là, franchement, cest ultra-minimaliste, cest presque un gag :

Noémie Pilo, “Ylem”, 2018, répliques d’oeuf pochés et d’excroissances de blancs d’oeuf, 17 pièces de résine, photographie de l’artiste.

NP : oui. Cest vraiment ça. Je faisais cuire un œuf mollet, jai craqué la surface et ça a commencé à faire une excroissance et je me suis « tiens !, si je faisais ces petites excroissances en résine… ? »

[Rires]

LM : ce que jaime bien aussi chez vous, justement, cest quil y a aussi de lhumour ; comme Jardin zen sur un balai muji”, cest quand même assez drôle : 

Noémie Pilo, “Suiseki 02”, 2020, jardin zen sur un balai muji, pierre choisie, balai en aluminium et ABS, 120 x 11 x 20 cm. Photographie : Robin Bourgeois

NP : c’était une pièce de confinement en plus.

LM : [Rire] Votre pavillon devenu galet, cest assez drôle aussi :

Noémie Pilo, “Pavillon”, 2020, gouttière blanche PVC, pierre trouvée, 200 x 15 x 15 cm. Photographie : Robin Bourgeois. Légende augmentée sur site de l’artiste : https://noemiepilo.fr/

LM : La parcimonie, en art, cest rare, et donc précieux. Et puis lhumour aussi est rare. Il y a très peu dartistes qui se risquent à faire de lhumour. Et faire de lhumour en art contemporain cest encore plus rare.

NP : Jaime bien les travaux avec un détournement, où se passe un rebond. Comme par exemple avec la pièce titrée Outil”. J’étais en train dacheter des profilés de métal, et on dit profilé en U”, profilé en T”, en I, en L”

LM : oui

Noémie Pilo, “OUTIL”, 2024, assemblage de profilés et cornières standards : tube, U, T, méplat et L., acier patiné, 100 x 14 x 2,5 cm. Photographie : Siouzie Albiach
Noémie Pilo, “OUTIL”, 2024, assemblage de profilés et cornières standards : tube, U, T, méplat et L., acier patiné, 100 x 14 x 2,5 cm. Photographie : Siouzie Albiach

NP : et cest à partir de ça que je me suis dit que je pouvais écrire un mot.

LM: ah oui, excellent ! Vous ne manquez pas desprit.

[Rires]

NP : et donc je ne sais pas si cest une intention de faire de lhumour, mais jai souvent des idées à partir de ça.

LM : daccord. Et pouvez-vous me dire quelque chose sur pièce Sous leau” ?

Noémie Pilo, “Sous l’eau”, 2019, verre, miroir, butée amortisseur, goutte d’eau, présentoirs acrylique transparent, 40 x 25 x 15 cm. Photographie : Robin Bourgeois. Légende augmentée sur site de l’artiste : https://noemiepilo.fr/

NP : cest inspiré des socles dans les musées d’archéologie, quand on présente de la céramique, par exemple en céramique chinoise, les bols sont souvent signés en dessous, et donc pour montrer dessus et dessous il y a un système de socle, avec un miroir, et javais envie de reprendre ce système, et je me suis demandé « quest-ce que jai envie de montrer depuis le dessous ? », et je me suis dit quune goutte deau on ne la voyait souvent que dun côté”, vue de haut

LM : [Rire]

NP : ou de dessous quand on est sous une vitre, et du coup on dirait quelle flotte,

LM : oui

NP : il y a une confusion entre la butée transparente qui ressemble à une goutte deau, la goutte deau, et le reflet, et en même temps la goutte deau est comme en lévitation.

LM : alors ça, placer une goutte deau afin den montrer lenvers, cest fabuleux.

NP : [Rire]

LM : cest extrêmement poétique. Je vous félicite. [Rires] Je ne décris jamais une œuvre dart en tant que poétique, parce que qualifier une œuvre visuelle de poétique”, ça ne veut rien dire, puisque le poétique relève de la poésie, et la poésie, ça s’écrit, voire, ça s’articule à voix haute. Mais avec vous je suis embêté, parce que là, la goutte deau vue de dessous, ça cest poétique.

NP : [Rires] 

LM : là où je peux men sortir, cest que vous l’écrivez vous-même (“légende augmentée”) : « un socle inspiré de ceux des musées qui exposent des objets anciens dont il est intéressant de voir le dessous. Jy place une goutte deau pour en montrer lenvers. » Ça, cest magnifique, chapeau !

 

PS. Qu’une ou un artiste soit jeune ne signifie pas toujours grand-chose. Et d’ailleurs, jusqu’à quel âge est-on jeune artiste ? Si on trouve dans le titre cette indication, c’est qu’à mon sens, justement, cela signifie. Ainsi, le fait que Noémie Pilo ne soit âgée “que” de 27 ans m’impressionne.