ART-ICLE.FR, the website of Léon Mychkine (Doppelgänger), writer, Doctor of Philosophy, independent researcher, art critic and theorist, member of the International Association of Art Critics (AICA-France).

François Rouan et l’antienne du “tressage », un marronnier flegmatique ?

On a vite fait de recouvrir l’œuvre de Rouan du mot de « tressage », et ce d’autant plus qu’il a ainsi baptisé bon  nombre d’œuvres. On dira « pliage » pour Hantaï et « tressage » pour Rouan, et emballé c’est pesé ! (Damisch ne dira pas autre chose). Or, comme le sortait comme un gimmick un professeur de géographie de Cinquième, tête penchée main posée sous le menton avec index fixé sur la joue : « Seulement c’est pas si simple ! ». Et là, stupeur et suspens garanti. Que va-t-il se révéler ? Je vous le dis tout de suite. Il y a des années, en essayant de récupérer avec Lightroom (Photoshop c’est trop compliqué pour moi autodidacte) des photographies prises avec mon Reflex Nikon numérique aux Tanneries d’Amilly, quelle ne fut pas ma surprise quand, précisément sur une photo d’un tableau de Rouan, je vis apparaître des corps de femmes, aux proportions généreuses. En en parlant avec mon amie Sylvie, elle me répondit « oui, il prenait des modèles en photos ». Stupeur et stupéfaction pour l’affidé du tressage ! Alors, tout au fait de ma “découverte”, je décidais de ne pas retourner à la chromie originelle, qui masquait bien davantage les danseuses, et en voici pour preuve :            

François Rouan, “Trotteuse VIII”, 2011-2013, peinture à l’huile sur toiles tressées, 180 x 149 cm, Photo Mychkine

Je me répète, mais il faut bien comprendre qu’à vue d’œil, on ne voit pas ces deux formes féminines ; il faut, pour cela, et involontairement, puisque inattendu, jouer sur la chromie à l’aide d’un logiciel, et, tout à coup, se rendre compte de ce qu’il y a derrière, ou plus précisément en dessous le grillage, le tressage, ce que vous voulez… Et, quand j’ai visualisé ces silhouettes, tant callipyges que macromastes, je n’en revenais pas ; j’ai mis du temps à m’en remettre. Et je parle ici de photographies prises en 2016, Article était un bébé… Quelle émotion ! Bref. Mais, quelque part, comme on dit, je n’en reviens toujours pas. Comment ce diable de Rouan en est-il venu à associer tressage, grillage, camaïeu, etc., avec en filigrane, en palimpseste bien plutôt, des femmes nues ? Cette “Trotteuse VIII”, six ans plus tard, me laisse toujours étonnant, dubitatif. En effet, si le modèle, soit le sujet du tableau, est double, qu’est-ce qui doit l’emporter sur l’autre, je veux dire, la “décoration” prime-t-elle sur les corps ; est-ce l’inverse, ou bien les deux mon caporal (mon cœur en est plein) ? Je ne sais. Mais la vertu du questionnement, c’est qu’il peut durer, longtemps (toute la vie, pour les non-dupes errant). Dont acte. Mais à ceux qui penseraient que ces femmes nues palimpsestées ne constitueraient qu’une incartade périodique, que dites-vous de cela ?

François Rouan, “Mappe, verdâtre tacheté d’ondulations marines”, 2003-2005, peinture à la cire sur toile, 200 x 155 cm, Centre Pompidou

En 2003-05, du moins ici, les corps ne sont pas des palimpsestes, c’est plus direct, plus “trash”, ils sont disloqués ; ça ne danse plus, membra disjectae — expression latine qui me reste d’une lecture en français qui parlait d’Orphée, je ne sais plus où, quand j’avais —, mais en tout cas je pense à cette expression en regardant cette reproduction, alias une toile de Rouan, et, enfin il suffit de regarder ; ça saigne. C’est gore. On dirait, mais en quadri, presque une scène de champ de bataille chez Otto Dix. C’est cruel, violent, surprenant. Gros plans :  

 Mais c’est aussi beau, tout en restant énigmatique (donc en dehors de la séduction) :

Ça c’est d’la peinture ! Et, à regarder ces détails, chez Rouan, on se dit vraiment qu’il faudrait en finir avec l’antienne du “tressage” ; Rouan n’est pas un peintre-artisan-tresseur, c’est un peintre quoi ! et, en tant que tel, il a plus d’une touche à son clavier chromatique, et, surtout, technique. Sur le site du peintre, on peut lire cet encart :

Où l’on se rend compte que la thématique du tressage court toujours, et ce depuis l’origine même de son lieu, l’artiste lui-même. Certes, mais le mot « tressement » n’existe pas, c’est un néologisme. Mais pourquoi pas ? Mais puisqu’il n’existe pas, officiellement, on peut donc s’y opposer, d’une manière que l’on ne pourrait pas appliquer par exemple au mot « table ». Personne ne peut dire « Je m’oppose au mot “table” , je le conteste formellement.» Notez que ce serait drôle, très dadaïste. Aussi, et même si Rouan est un grand peintre, une autorité, en quelque sorte, on peut contester qu’il ne s’agit que de tressage, mais l’artiste en a bien conscience, puisqu’il parle aussi de « superpositions, nouages des unes et des autres […] figure et fond » Donc voilà !, c’est plus compliqué, ce n’est pas si simple.

 

Léon Mychkine

écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA France

 

 


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