Notice (extrait) du Chrysler Museum:
La peinture et la toile se confondent dans cette œuvre, créant un sens vivant du mouvement et de l’écoulement. Helen Frankenthaler a inventé la technique du “soak-stain” en 1953, en laissant des peintures à l’huile diluées saturer la toile brute. Elle a adapté le processus ici en ajoutant quelques lignes dynamiques et des éclaboussures qui jaillissent spontanément. L’image qui en résulte se lit presque comme une fenêtre s’ouvrant sur une scène d’arbres étranges, d’orbes lumineuses et de nombres colorés.
Ici, donc, Frankenthaler prend-elle le tableau comme une fenêtre, à la manière du dire de Leon Alberti — aperta finestra (De Pictura, Liber I), Livre I, Rudiments), certes en matérialisant la métaphore ? S’il s’agit donc d’une “vraie” fenêtre”, comme nous le lisons, et que l’artiste peint “à travers” — au-delà — alors nous pouvons nous lâcher la bride à la recherche d’une interprétation unique, bien plutôt, nous allons avoir quelque embarras du choix. Et allons-y ! Regardez la partie droite. Ne dirait-on pas un Basquiat ? Voyez-vous ? Non ? Tenez :
Vous visualisez, je suppose, maintenant, une tête (gros yeux, nez, etc.), n’est-ce pas ? Donc, le titre du tableau, maintenant, c’est Un homme à la fenêtre.
Autre interprétation : Il s’agit, dans le cadre proprement dit, d’un (mystérieux) numéro 6, de roches, mer, soleil, paysage genre grand canyon — West Rim ?
La même année, on trouve ce tableau :
Ce dernier est encore plus grand ! Ça fait de grandes fenêtres. Car c’est de cela dont il s’agit, pensé-je. Fenêtre, oui, mais qui, systématiquement, déborde. De quoi débordent les fenêtres ? De paysages ! Vous vous dites — peut-être —, où est la fenêtre ? Ici :
Vous voyez n’est-ce pas ce pseudo-carré à traits bleus ; c’est la fenêtre (certes grossièrement exécutée, mais nous avons l’idée et cela suffit). Mon hypothèse (en toute fictionnalité), c’est que Frankenthaler a repris la métaphore de la fenêtre chez Alberti, mais en l’incluant matériellement, graphiquement, dans la toile.
Rappel :
D’abord j’inscris sur la surface à peindre un quadrilatère à angles droits aussi grand qu’il me plaît, qui est pour moi en vérité comme une fenêtre ouverte à partir de laquelle l’histoire représentée pourra être considérée… (Alberti)
Précisons que le quadrilatère à angles droits albertien est fictif. Son rectangle, c’est un cadre dans le cadre “donné” du tableau, auquel Leon ajoute un nouveau cadre pour se mettre à l’œuvre, plus à l’aise. Il est important de le préciser. Mais alors, une autre question surgit : Quand bien même grand, ce quadrilatère ne restreint-il pas, de fait, l’espace du peint ? Et puis si, comme Helen, on élargissait la fenêtre à d’autres vérités, d’autres histoires adjacentes, qui déborderaient ? Frankenthaler, apparently, en à pris son parti. Il ne faut pas en vouloir à Leon (Battista Alberti), il était assez obnubilé (du latin obnubilare, « couvrir d’un nuage ») par les mathématiques, d’où ce style parfois trop Code civil dans De Pictura. Mais, après amendement, on peut discuter. Je continue de supposer que Frankenthaler taquine gentiment Alberti, en proposant ce que j’appellerais alors l’élargissement de la fenêtre.
Au bout du compte, qu’est-ce que cela veut dire, pour Helen, d’élargir la fenêtre ? Cela veut dire rendre compte que la réalité implose, elle est, par nature, explosophore ; et que le monde est toujours plus vaste que le cadre, de fait, tout ne rentre jamais dans le cadre, et conséquemment, cela déborde, comme encore ci-dessous :
Ref/ Leon Battista Alberti, La Peinture, Ed. T. Golsenne et B. Prévost, et Y. Hersant, Coll. Sources du savoir, Seuil, 2004
Léon Mychkine
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