Hommage (bref) à Rebecca Horn

L’occasion de m’approcher, à distance à travers l’écran, de l’œuvre hornienne. Elle est décédée dimanche huit septembre 2024, à l’âge quatre-vingt ans. Je cherche un moyen de lui rendre hommage. C’est un hommage bref, parce que je ne vais pas m’attarder, ne connaissant pas vraiment son œuvre, mais ce n’est pas non plus un copié-collé comme on en voit un quand jemand Berühmtes ist gestorben. Aussi, je trouve, après avoir cherché un certain temps, ceci :

Rebecca Horn, “Blue Monday Strip”, 1993, machines à écrire, acier, moteurs, verre et encre, 488 x 348 cm, Solomon R. Guggenheim Museum, New York

La Notice du Guggenheim donne :

Dans “Blue Monday Strip”, les machines à écrire vintage sont libérées du monde ordonné du bureau et mises en branle, transformées en un lot indiscipliné dont les touches bavardent sans cesse dans un dialogue rauque. De temps en temps, comme pour étouffer leur staccato, une éclaboussure de peinture bleue leur tombe dessus. Comme dans l’univers sexualisé des inventions de Horn, les machines cliquetantes semblent ici personnifier un groupe de secrétaires moroses qui se retrouvent à nouveau derrière leur machine à écrire un lundi matin, comme le suggère le titre.

Eh bien je proposerais une autre interprétation. En tant qu’écrivain (avant toute autre appellation), cette image de l’œuvre d’Horn m’évoque l’expression française « pisse-copie », qui, je le rappelle pour les jeunes lecteurs (l’espoir, paraît-il, “fait” vivre) que l’expression signifie : Fam. Écrivain qui rédige abondamment et médiocrement; journaliste à la tâche. V. miteusement rem. s.v. miteux. Mais comme Horn avait l’esprit très sexué — la Notice trouve le temps de nous le rappeler —, pour le coup j’emboîterais (ou déboîte) le pas à l’allusion sexuelle, que l’on trouve déjà chez Mallarmé, et que Rancière n’a pas vu dans son analyse du poème “Salut”, quand le Maître écrit “flot de foudre”, il faut bien sûr lire “flot de foutre”, car Mallarmé sait très bien qu’il ne peut y avoir de flot électrique, même poétiquement, ça ne tient pas, bref. Ainsi, cette « éclaboussure », indiquée bleue, que je vois, pas vous ?, noire, je la constate justement comme (“come!”) une éjaculation. On peut prendre le terme en deux sens, vous le savez : (1), l’expulsion du sperme via l’urètre. Mais, (2), on se rappelle que l’éjaculation consiste aussi en une petite prière, précisément une « prière courte et fervente, qui jaillit du cœur. » (Une plus généreuse définition ici). Ainsi donc, je ne suppute pas des secrétaires derrière chaque machine, mais des écrivains, gratte-papiers, journaleux, etc., qui mettent tout ou si peu dans leur frappe, d’où l’expression petite-frappe, mais qui, pour certains, espèrent l’épiphanie : quelqu’un va les remarquer, les contacter, leur proposer une quiche lorraine sur l’Éverest. Allez savoir… Et parfois, ça marche, on est coopté — comme on dit — et l’on peut prendre toute l’envergure de sa médiocrité, et c’est juste le bonheur. Donc, c’est ma proposition pour cette œuvre. En 1993, cela fait déjà un bout de temps que l’on écrit sur l’œuvre d’Horn, et je suppose que, comme de très nombreuses artistes (et nombreux), elle a pu constater l’inanité scriptée d’une multitude de compte-rendus, ou “critiques”, qui, à vrai dire, et dès le début, dès les premières lignes, sont désolément pitoyables. De fait, une autre hypothèse surgit ; ce n’est pas du sperme au sol, c’est de l’urine ; de l’urine de pisse-copie. Avouez, c’est logique ! Et l’urine noire, figurez-vous, cela existe, c’est l’alcaptonurie. Et que peut bien pisser un pisse-copie ? De l’encre.

En Une : Portrait de Rebecca Horn, Sean Kelly Gallery, New York

Léon Mychkine