Inter-processualité

La notion d’inter-processualité chez Peter Briggs vise l’aspect philosophique de l’œuvre d’art tel qu’il la conçoit. Cette notion semble en effet convoquer différents éléments, différents champs de force qui ont trait aussi bien à la philosophie naturelle, à la philosophie de la perception, qu’à l’esthétique en elle-même, qui, par définition, est un processus. Or, en cette matière, Le philosophe du processus est assurément Alfred North Whitehead. En effet, la notion de ‘process’ est fondamentale dans son système philosophique. La notion de ‘process’ est extrêmement simple, de prime abord, et voici, synthétiquement, ce que peut en dire Whitehead :

« Le sujet s’origine depuis, et parmi, des conditions données […] Le processus n’est rien d’autre que le sujet expériençant lui-même ». ‘The subject originates from, and amid, given conditions […] The process is nothing else than the experiencing subject itself’ (Process and Reality. An Essay in Cosmology, 1929).

Pour Whitehead, la moindre expérience, n’est en aucun cas réductible à la peau de chagrin grammaticale que l’on nous a inculqué et qui se limite à un Sujet face à un Objet. On nous a appris à synthétiser l’univers en deux ensembles disjoints : les sujets, et les objets. Je suis un sujet, et je vois un objet. C’est une expérience. Soit. Mais pour les Philosophies de l’Expérience, incarnées par Whitehead, William James, et John Dewey, une expérience ne peut jamais être décrite d’une manière aussi naïve et simpliste. Ce que Whitehead appelle donc le processus est le fait dynamique, en train de se faire, de plusieurs expériences qui vont n’en faire qu’une ; mais, sitôt pensé la notion de processus, il faut donc questionner comment se structure “une” expérience — et c’est là qu’apparaît la complexité et la richesse du monde. Ainsi, la notion de ‘process’ ne peut être comprise que comme une inter-relation qui a toujours lieu entre un sujet et des expériences, entre un sujet-objet de ses expériences, un objet — a minima — sujet tout autant : Car il n’existe pas d’expérience unique sans rien autour ; puisque la moindre expérience sollicite un nombre considérables d’autres expériences, ou sub-expériences, nécessaires pour constituer L’expérience discriminée en tant qu’expérience unique. C’est ce que nous dit plus loin Whitehead, dans son maître-livre de 1929 :

« Le beaucoup devient un, et sont augmentées [i.e., les entités] par un. En leur natures, les entités sont ‘beaucoup’ disjonctivement [je souligne] dans le processus du passage dans l’unité conjonctive ». (‘The many become one, and are increased by one. In their natures, entities are disjunctively ‘many’ in process of passage into conjunctive unity.’)

Dit d’une autre manière : je regarde un arbre, et je dis : « c’est un bel arbre ». On pourrait dire : j’ai l’expérience visuelle d’un arbre. Personne ne dit cela, mais l’idée, ici, c’est de faire comprendre que nous avons une tendance ‘naturelle’ à isoler tous les éléments actifs qui permettent, justement, que nous puissions percevoir et discriminer tel arbre en tant que perçu et examiné. Dans ce que je viens d’écrire, les mots « tous les éléments actifs », c’est le « beaucoup » (‘many’) chez Whitehead. S’il fallait analyser tous les paramètres physiques (issu du monde externe comme de mon propre corps dans un espace topologique dénommé depuis Claude Bernard le milieu), physiologiques, cognitifs, intellectuels (entre autres), qui permettent d’énoncer la phrase « c’est un bel arbre », il faudrait mobiliser un nombre considérable de connaissances, et donc de chercheurs ; et même encore nous n’atteindrions pas le terme de l’analyse puisque, par exemple, nous ne savons pas comment un sujet humain peut penser des symboles abstraits et les énoncer… Au lieu de cela, je dis « c’est un bel arbre », et je crois rendre compte d’une expérience simple, accessible à n’importe qui. Or, on l’a compris, cette expérience n’est en rien simple ; mais sa traduction langagière nous le fait accroire. (article ici).