La Mairie de Montreuil a décidé, suite aux accusations à l’encontre de l’artiste Claude Lévêque, d’éteindre l’œuvre d’art qui, depuis 2014, entoure un ancien château d’eau de la ville. «La municipalité actuelle a choisi de ne plus l’illuminer pour le moment. “Il y a la présomption d’innocence, mais il y a aussi la présomption que les victimes disent la vérité. C’est quelque chose d’assez énorme qui nous tombe dessus, explique Alexie Lorca, adjointe au maire en charge de la Culture. “Une décision de ce type est très complexe. Nous sommes liés avec un contrat. Mais nous assumons le risque que nous prenons. Nous ne déboulonnons pas l’œuvre, mais nous pensons qu’il faut une période de réflexion, qu’il fallait faire un geste, parce que ne rien faire, cela peut aussi être interprété comme de l’indifférence, or ce n’est pas le cas”» (Source : France 3, Bourgogne Franche-Comté). C’est toujours la même histoire : un artiste est accusé de viol, d’actes pédocriminels, et instantanément, avec ou sans preuve, on lâche les fauves ; l’artiste est déchiré, sa réputation avilie, etc. (Voir la manière dont on s’est acharné sur Polanski est particulièrement révélateur). Il existe un fameux débat sur l’homme et l’œuvre. Faut-il distinguer entre l’homme et l’œuvre ? C’est une question qui surgit bien souvent quand on ne sait pas comment justifier la censure, voire, la bêtise. Il faut résister à cette tendance actuelle qui est en train d’instiller la sournoise idée que l’art doit être propre, par conséquent, qu’il ne saurait émaner d’individus quelque peu, disons, étranges, hors-normes, etc. Très récemment, sur France-Culture, la philosophe Carole Talon-Hugon a estimé que si, apparemment, une œuvre au néon de Lévêque ne peut évidemment pas faire allusion à la moindre invitation pédophile, elle précise, à titre de contre-exemple, que voir la culotte d’Irène dans un tableau de Balthus est « dérangeant ». Voilà où nous en sommes… On croyait trouver du réconfort, et on tombe dans quelque chose qui, peut-être, est encore pire. Quand verrons-nous des hordes de féministes intersectionnelles camper devant le tableau de Balthus en criant à la pédophilie ? Je ne sais pas, mais cela ne m’étonnerait guère que cela advienne. Pour le moment, je prends tout de même pour acquis le fait qu’une philosophe asserte qu’une œuvre au néon de Lévêque n’est pas condamnable (et je n’ai pas insinué que Mme Talon-Hugon était une féministe intersectionnelle enragée…). Soit. Voici l’objet montreuillois :
De son côté, le philosophe Matthieu Potte-Bonneville, écrit, sur sa page Facebook (le 25 février dernier) : «Une évidence, d’abord : Claude Lévêque est un artiste vivant, comme sont vivantes les personnes qui l’accusent. Cela signifie bien sûr que l’affaire est en cours, ce qui pourrait inciter à suspendre l’exposition des oeuvres [sic] à titre conservatoire, jusqu’à voir établie l’innocence ou la culpabilité de l’artiste (on ne voit pas pourquoi, par défaut, ces oeuvres [sic] devraient être montrées, c’est-à-dire préférées à d’autres dans la grande compétition pour l’accès aux cimaises).» On voit, dès les premières lignes, un philosophe, donc, ce qui n’est pas rien, dit comprendre avec indulgence que l’on puisse retirer des œuvres de Lévêque. Il ajoute même que, dans l’état actuel, si l’on balançait entre deux artistes, par exemple, il vaut mieux écarter Lévêque. Pourquoi donc ? Mais Potte-Bonneville enfonce (encore) le clou. Plus loin : «Or, si du point de vue de la connaissance on ne saurait exclure à priori aucun contenu ni aucune oeuvre [sic], on ne peut ignorer la manière dont l’autorité symbolique contribue trop souvent à instaurer cette asymétrie de statuts propice à l’exercice des violences sexuelles : qu’elle soit artistique, intellectuelle, politique… cette aura participe à renforcer l’emprise des prédateurs sexuels, elle invisibilise leurs actes et favorise leur perpétuation.» Regardez, de nouveau, l’œuvre montreuilloise de Lévêque. Si vous voyez là, lecteur, en toute objectivité, l’instauration d’une «aura [qui] participe à renforcer l’emprise des prédateurs sexuels», je veux bien que vous me l’expliquiez. On peut juger assez ridicule et ambivalente la décision de la Mairie de Montreuil d’avoir choisi d’éteindre ‘Modern Dance’. Pourquoi ? Eh bien, d’un côté, elle est visible le jour, mais, la nuit, elle disparaît. Bien joué ! Le plus simple, en fait, c’est de carrément retirer l’œuvre, comme à Fontevraud. L’installation de Lévêque, “Mort en été”, a disparu…
Là encore, je suppose que Potte-Bonneville, dont l’œil de lynx est si affûté, verra ici une incitation pédocriminelle, susceptible de produire, chez les prédateurs sexuels présents, une augmentation salivaire digne d’un loup de chez Tex Avery. Pour ma part, mon œil et mon esprit étant certainement plus limités, je ne vois rien de tout cela. Quant à la Présidente de la Région Pays-de-la-Loire, elle aura déclaré :«Cette décision s’impose pour protéger la réputation de Fontevraud et surtout pour marquer notre soutien et notre respect envers les victimes présumées.» (Source : Le Quotidien de l’Art). Il est vrai que des barques posées au sol, sous une lumière rouge, avec une musique cristalline, ça peut évoquer des fantasmes inimaginables. En quoi cette œuvre aurait nuit à la réputation de Fontevraud ? Tout cela est grotesque. Poursuivons notre recherche du parcours censeur. Sur le site Internet du MAMCO, qui avait organisé une grande exposition personnelle de Claude Lévêque en 2003, on ne trouve plus rien de Lévêque. La recherche avec la lettre L donne :
Mais le directeur, Lionel Bovier, avait prévenu : «De mon point de vue, le discrédit qui est aujourd’hui jeté sur son travail sera absolument irrémédiable si les accusations se révèlent fondées, a expliqué le patron du MAMCO au Monde. Je ne pourrai plus jamais regarder ce travail sans y trouver des indices des crimes qui lui sont reprochés. Par conséquent, le musée que je dirige ne montrera ni ne diffusera son travail dans le futur.» (Source : Le Figaro). Bovier, suite aux accusations, a vécu une véritable révélation (comme Claudel à Notre-Dame) ; il “voit” maintenant des “indices” dans les œuvres de Lévêque. Que ne les a-t-il vus avant !
L’“affaire Lévêque” soulève de nombreuses questions. J’en retiendrai deux.
1) Comment peut-on censurer un artiste en 2021 ? Que montre donc de si répréhensible son œuvre ? Si l’homme n’est pas condamné, pas encore, et sous réserve que la seule plainte de L. Faulon soit non-prescrite, alors, de toutes façons, et irrémédiablement, n’a-t-on pas déjà jugé l’artiste ? Si. Et d’une manière très violente. De très nombreuses œuvres ne sont plus visibles, du tout, même virtuellement ; et son galeriste, Kamel Mennour, a mis fin à leur collaboration. Voici donc, en France, un artiste conspué, privé de visibilité, en partie, mais quand bien même ; sans galerie, avant même que la Justice ne reconnaisse si, oui ou non, l’homme est coupable. On s’attend à ce qu’une pétition demande le retrait du site en ligne de l’artiste … Tant qu’à faire. N’y a-t-il pas un risque, bien réel, que des milliers d’apprentis pédophiles viennent s’initier sur ce dernier ? En tout cas, la vie de Lévêque, pour le moment, est en arrêt. Il est, comme on dit, grillé, banni, ostracisé, et tout cela à partir d’une seule plainte, pour des faits remontant à trois ou quatre décennies. Je ne dis pas que L. Faulon affabule, ou qu’il mentirait afin de nuire à la carrière de Lévêque, je dis qu’accusation ne vaut pas preuve. Si tel était le cas, officiellement, alors il faut entièrement refondre le système juridique français, et abolir l’avocature. Encore une fois, quand bien même les motifs accusatoires sont abjects, Lévêque, jusque preuve du contraire, n’est pas coupable.
2) Dans l’“affaire Lévêque”, on ne distingue pas entre l’homme et l’œuvre, comme on l’a fait pour tant d’autres écrivains, ou artistes (Le Marquis de Sade est dans la Pléiade…). Tony Duvert, tenant des propos infâmes, dans Libération, en 1979… Les Éditions de Minuit l’ont-elles retiré du catalogue ? Non point. On n’imagine pas, en 2021, si un écrivain réitérerait les mêmes propos… Dans le cas de Lévêque, nul besoin de propos ; tout l’œuvre transpire le vice et la pédocriminalité. Je reprends l’inénarrable Potte-Bonneville : «le principe général selon lequel il faudrait distinguer l’homme de l’oeuvre [sic] ne saurait sortir indemne de l’épreuve s’il s’avère que, dans la réception du travail de C.Lévêque, on disculpa longtemps l’homme au nom même de cette séparation, croyant peut-être de bonne foi que ce qui se trouvait dans son art ne pouvait ipso facto avoir place dans sa vie, ou supposant la frontière si étanche qu’elle suffirait à garantir dans l’élément de l’oeuvre [sic] le cantonnement de ses fantasmes.» Regardez, je vous prie, de nouveau, les œuvres censurées sus-citées, et dites-moi, cher lecteur, si vous y voyez le moindre fantasme déviant, infect, abject, etc. ? Il est pourtant bien évident qu’il faut distinguer entre l’homme et l’artiste ; si on ne le fait pas, il faut alors retirer de tous les musées, de toutes les bibliothèques et librairies, les œuvres des hommes qui ne se sont pas pas “bien” comportés. Ça va faire du monde ! Exemples : il faut retirer du commerce et du prêt et des adaptations filmiques tout l’œuvre de Simenon, car Simenon a passé une bonne partie de sa vie à fréquenter les prostituées, tant sa libido était exacerbée et nécessiteuse, et parce que, surtout, la prostitution, ce n’est pas moral. Simenon : dehors ! Il faut retirer toutes les œuvres de Céline, parce qu’il était antisémite, et qu’il a écrit des pamphlets vomitifs. Il faut retirer tous les films de Polanski de tout réseau de distribution parce que, en 1977, il a reconnu des “rapports sexuels illégaux avec une mineure”, et qu’il a purgé une peine de peine de quatre-vingt-dix jours de prison. Mais, 43 ans plus tard, à Paris, on manifeste contre sa venue aux Césars en brandissant des grands cartons sur lesquels on peut lire « Polanski Violeur”, entre autres courageux slogans. Tout cela est symptomatique d’une partie de la société qui ne pense plus, qui ne réagit qu’en meute, soit exactement ce qui arrive à Claude Lévêque. Il est bien évident que si une seule œuvre de Lévêque montre, comme le verrait si extra-lucidement Potte-Bonneville, des “phantasmes” à caractère pédophiles, alors il est probable qu’il ne faut pas la montrer. Existe-t-elle ? Je ne la vois pas, chez Lévêque, cette œuvre qui exciterait tant les pédophiles… Si elle existe, je vous invite à me l’indiquer.
Ainsi, je ne comprends pas la horde de censeurs qui se félicite du processus d’invisibilisation des œuvres de Lévêque. J’y vois une grande régression, et une forme assurée d’hystérie collective — ramenée, certes, à un milieu spécifique, mais tout de même. Rappelons qu’on estime qu’au moins 500 000 images pédopornographiques circulent H24 sur l’Internet. Il faut donc raison garder, comme on dit maintenant, et se demander si l’œuvre de Lévêque à joué un rôle majeur dans la diffusion et la revendication de la pédophilie. Mais je me rends compte qu’écrire même cette supposée question est parfaitement grotesque.
Le tapis “Soleil Noir”, de Claude Lévêque, situé dans le bureau du Président de la République, sera « très certainement retiré », d’après Roselyne Bachelot. Il est prouvé scientifiquement qu’un tapis de Claude Lévêque peut provoquer des pulsions incontrôlables et contre-nature. Ceci dit, tous les responsables politiques ou économiques ne sont pas à mettre dans le même panier. À Montrouge, “Illumination”, commande de la municipalité installée sur le toit de l’espace culturel du Beffroi en 2020, restera en place. Le maire UDI Étienne Lengereau entend respecter la présomption d’innocence ainsi que la propriété intellectuelle de l’artiste. Par ailleurs, ni les communes d’Uckange (“Tous les soleils”, 2007) ni d’Issy-les-Moulineaux (“Les Dessous chics”, 2018) ) n’ont indiqué qu’elles allaient retirer les œuvres. Ces informations proviennent de divers media, et, bien entendu, je ne garantis rien de pérenne dans ces dernières, tout allant si vite… En tout état de cause, on peut remarquer que certaines personnalités politiques savent encore, justement, raison garder, et il fallait bien terminer avec elles, afin de constater que, décidément, tout n’est pas pourri en ce beau et doux pays.
En Une : Claude Lévêque, “Illumination”, 2020, dispositif in situ, toit du Beffroi de Montrouge, néon bleu, structure métallique, 216 x 1210 cm. Écriture Romaric Etienne, Photo Claude Lévêque © ADAGP Claude Lévêque. Courtesy the artist and kamel mennour, Paris/London
Léon Mychkine