La Madonne Niccolini-Cowper, de Raphael (avec Ellsworth Kelly)

Raphael a peint 22 “Madone” et 18 “Vierge”. En 1508, Raphael en peint une bien étonnante. On note d’abord ce grand corps de Christ enfant. C’est un petit garçon. Mais pourquoi est-il nu ? Il est nu, excepté ce très délicat voile filé d’or, très curieusement enroulé autour de la taille et du bras. Ce tableau témoigne de ce qui est apparu chez les peintres renaissants, avec Leonardo ; soit le mouvement ; et ce, même en sculpture, et il faut lire l’extraordinaire exégèse du dynamisme dans le “Moïse” de Leonardo décrit par Freud pour le réaliser. Et, en ce sens, la peinture de Leonardo, de Buonarroti et de Raffaello est toujours en avance sur la photographie ; elle ne fige pas le temps, elle le décompose, et c’est seulement par l’artifice (le “bougé”) que la photographie nous fait croire au mouvement. La peinture n’en avait pas besoin. Dans ce cas, il faut prendre le temps de regarder pour comprendre les mouvements en train de s’effectuer, et ce n’est que dans cette prise temporelle que l’on se rend compte de ce qui est en train de se jouer.  Et de jeu, il en est justement question ici. La Vierge (Miriâm) s’amuse, avec un un voile de gaze transparente tissé d’or, à simuler l’habillement de son fils (Iéshoua’). Ce dernier, espiègle, plonge sa main dans le col de la robe, rappelant l’épisode antécédent (Virgo lactans), semblant dire “j’étais là”, restant encore en dehors de la chemisette plissée ; tandis que Miriâm assure de sa main gauche que tout cela va rester pudique. Raphael saisit un moment de jeu, chacun le sien.   

Cependant, si l’on peut saisir la temporalité immédiate, Raphael ne jouerait-il pas ici aussi de l’anticipation, de ce qui va arriver, à savoir que cet enfant devenu adulte mourra sur la croix, et que, nu alors, sa mère déchirera une partie de son voile (velum capitis) afin de couvrir les pudenda, changeant ce fragment déchiré, devenu perizonium ?

 

Raphael, “The Niccolini-Cowper Madonna,” 1508, huile sur panneau, 57,,5 x 80.7 cm, National Gallery of Art, Washington DC, USA

La corpulence de Christ-enfant est étonnante. Vu sa taille, comparativement à Miriâm, ce ne peut être un nouveau-né, il est trop grand. Mais il est très potelé comme un bébé, et ses jambes sont grasses comme celle d’un enfant corpulent de deux ans… Mais il paraît que nous sommes bébés jusque deux ans, après quoi on devient enfant. Bien. En dehors de ces tergiversations, il se passe encore plein de choses dans ce tableau. Rien que dans les plis du coussin, court l’or et comme l’empreinte de la jambe :


On souhaiterait parfois que certains et certaines artistes contemporains soient aussi subtils que les peintres Renaissants, capables d’injecter des niveaux de lecture dans leurs œuvres. Les niveaux de lecture ressortissent d’ailleurs bien souvent davantage au singulier : il n’y a qu’une seule interprétation. Certes, j’exagère, car souvent, on peut déceler deux niveaux ; un niveau (1):  « vu-comme » et un niveau (2): « vu-en tant que tel ». Prenons Ellsworth Kelly. Là où n’importe qui verra un tableau abstrait, une photographie du peintre montrant une vallée enneigée lui fera revoir le même tableau comme une dépiction à peine modifiée du monde réel. Autrement dit, voir le tableau depuis le niveau (1), c’est voir le tableau comme purement abstrait ; et voir le tableau depuis le niveau (2), c’est le voir depuis sa “réelle” provenance, à savoir un paysage. (Je m’inspire ici du philosophe Richard Wollheim concernant les deux manières de “voir”). Certes, le spectateur, face à un tableau, une lithographie ou une sculpture de Kelly, n’aura peut-être pas, à disposition, la moindre photographie, et donc ne pourra se baser que depuis le niveau (1), et, bien entendu, il n’est pas certain que toute forme de l’artiste fût inspirée par un détail du monde réel ; la situation n’est pas nécessairement transitive.

 

Ellsworth Kelly, “Curve Seen from a Highway,” Austerlitz, 1970,  photographie, Matthew Marks Gallery, New York, USA

 

Ellsworth Kelly, “White Curve I (Black Curve I) and Black Curve I (White Curve I)”, 1973, deux lithographies avec ajouts à la main de graphite sur papier spécial Arjomari, Krakov Witkin Gallery, Boston, USA
 

Est-il besoin d’ajouter des mots à ces trois illustrations ? 

 

Léon Mychkine

 

 

 


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