ART-ICLE.FR, the website of Léon Mychkine (Doppelgänger), writer, Doctor of Philosophy, independent researcher, art critic and theorist, member of the International Association of Art Critics (AICA-France).

L’abstraction au Centre Beaubourg. Reassess #2 (avec Hilma af Klint)

Après avoir “découvert” Miss Houghton, on passe par les peintures d’Olga Fröbe-Kapteyn (encore une mystique, et je commence à me demander si, pour certaines femmes, “devenir” mystique n’était pas un bon moyen d’échapper à l’emprise des hommes… Les curieux peuvent jeter un œil ici), peintures qui ne me “parlent” pas du tout, on se retrouve avec Hilma af Klint (encore une mystique), qui, je le rappelle, a formellement ordonné que personne ne puisse voir son œuvre sur une durée de quarante ans passé son décès (en 1944 !). On ne pourra pas dire que cette femme était possédée par une vanité débordante. On à, avec Hilma, encore une pionnière de l’art abstrait. Qu’on en juge :

Hilma af Klint, “Primordial Chaos”, No 1, Group I, 1906, huile sur toile, 53 cm x 37 cm, © Stiftelsen Hilma af Klints Verk

En 1906, Klint produit ↑ une peinture abstraite. Que dire d’autre ? Que j’y vois un ancêtre de Moomin dans un brasier mystique de feu de boue.

Hilma af Klint, “The Ten Largest, No 3, Youth”, Group IV, 1907, 321 x 240 cm, © Stiftelsen Hilma af Klints Verk

En 1907, de jolies couleurs, avec, en haut, dans le cercle rose, écrit quatre fois “Ave Maria”. On pourrait se croire dans un Gauguin pris d’un “délire” abstrait, n’est-il pas ? Bon!, sautons quelques années, et rejoignons 1915 :

Hilma af Klint, “Wheat and Wormwood, On the Viewing of Flowers and Trees”, 1922, aquarelle, 17,5 x 24,5 cm, © Stiftelsen Hilma af Klints Verk

Je trouve cela assez moderne ↑ franchement, on est encore un peu dans le frais. Au centre à droite, est écrit “malôrt”, ce qui signifie absinthe. En bas à gauche, je ne parviens pas à déterminer ; peu importe. Mais voyez, la manière de disposer la couleur, de contraster, peut évoquer certains travaux récents chez certaines femmes-artistes, n’est-ce pas ?

Hilma af Klint, No Title, On the Viewing of Flowers and Trees, 1922, aquarelle et graphite sur papier, 17,5 x 24,5 cm, © Stiftelsen Hilma af Klints Verk

N’est-ce pas que cette œuvre est étonnante, aussi ? Nous sommes en 1922, et, en 2021, on trouve toujours chez certaines artistes-femmes de semblables effets de percolation, de porosité, de transmigration… On pourrait tout à fait imaginer que cette œuvre ci-dessus nous soit contemporaine. Si l’on s’étonne que je ne mentionne que des artistes-femmes, c’est que je dois bien avouer qu’aucun nom d’artiste-homme ne me vient à l’esprit, et j’espère que vous me pardonnerez cette lacune. J’aime bien ce petit point rose, comme justement un point, ou un zoom sur l’infini, qui est rose, comme chacun sait.

Il est arrivé je ne sais quel tournant fortement esthétique à Hilma, car, en 1888, elle peignait ce genre de tableau :

 

 

J’aime bien ces recherches ↑ et travail à la fois sur l’illusionnisme, car on a bien l’impression d’une 3D, non ? Et j’aime bien ce pur objet géométrique dans le vide.

Au fait ! On doit, probablement à Hilma af Klint le premier monochrome de l’histoire de la peinture :

Hilma af Klint, “Serie Parsifal, Grup II, nr 69”, 1916, Akvarell och blyerts på papper, 26,8 x 24,8 cm, Stiftelsen Hilma af Klints Verk

Alors, Hilma, mystique, ou peintre ? Si je pose la question, c’est parce que je me la suis posée moi-même, car, dans la littérature, on trouve souvent qu’au lieu de dissocier pratique occulte et art, concernant les femmes, on les associe, comme si, inconsciemment, il s’agissait toujours de dresser un portrait quelque peu boiteux de l’artiste, du genre « voyez ? On ne peut pas prendre complètement pour argent comptant son talent, car “elle” était quand même un peu dans les nuages, enfin, pas très nette…»; et hop! Hilma passe à la trappe ! Mais, encore une fois, que l’on soit femme ou homme, pour être artiste, généralement, on est un peu “barré”, voire complètement, et on pourrait prendre ce verbe populaire et parlant au sens littéral : pour être artiste, il faut être parti, toujours prêt sur le départ, comme l’étaient, en leur temps, tout autant Baudelaire (plonger dans l’inconnu pour trouver du nouveau), que Delacroix, qui, à mon avis, bien avant Sartre, avait éprouvé une certaine nausée face à l’humaine condition, tout comme, plus tard, l’avait éprouvée Léopold Bloom, en entrant dans le pub dublinois, en voyant tous ces hommes…

 

Léon Mychkine