L’art doit toujours se défendre des abrutis (l’“affaire Miriam Cahn” n’est pas terminée)

Les politiques, enfin, une certaine politique, la plus inculte et idiote de toutes en matière de Culture, celle de l’extrême-droite, est venue geindre en la personne de l’une de ses représentantes, une députée du (F)RN, se filmant devant un tableau de Miriam Cahn, pour en exiger son décrochage, puisqu’il lui semble, d’une manière irréfutable, comme faisant l’apologie de la pédophilie, et donc tombant sous l’accusation de “pédocriminalité” (je vais revenir sur cette absurde et ubuesque accusation). Quand on regarde la page personnelle de cette députée, Caroline Parmentier pour la nommer, sur le site de l’Assemblée nationale, et que l’on zoome sur ses “Questions Écrites au Gouvernement”, on trouve un bel échantillon hétéroclite, qui va de la “Reconnaissance de l’obésité comme une affection longue durée (ALD)”, “Le statut et l’équipement des gardes champêtres”, et, last but not least, aux “Difficultés des producteurs d’endives”. Rien sur la protection de l’enfance. C’est dire si le sujet lui tient à cœur ! Alors, comment cette soudaine passion pour le sujet lui est-elle venue face à un tableau de Miriam Cahn ? Certes, elle est membre de la “Commission des affaires culturelles et de l’éducation”, mais qu’y fait-elle ? Elle  est intervenue dans l’Hémicycle pour demander solennellement auprès de la Ministre de la Culture le retrait du tableau, et elle y est revenue au cours de la Commission à laquelle elle appartient, le 29 mars dernier, consacrée à l’Enfance Protégée. Sa seule intervention a encore consisté à signaler ce tableau de Cahn et à le dénoncer comme pédopornographique et à demander aux membres de la Commission ce qu’ils et elles en pensaient. Personne ne lui a répondu, si ce n’est la Présidente de la Commission, Mme Florence Dabin, en une phrase qui a dû faire comprendre à Mme Parmentier que ce n’était pas le sujet de la réunion de ce jour. Jusqu’à son intervention, on ne savait pas que le danger imminent pour les enfants français se concentrait principalement dans certains tableaux de Miriam Cahn ! Quel don du ciel que cette femme en politique ! Mais à écouter (ici) les intervenants, surtout féminines, on se rend compte à quel point le sujet de l’Enfance Protégée est pointu et complexe, et comment ces dernières et derniers savent de quoi ils parlent et pourquoi ils sont là. Seule cette ignare et je-m’en-foutiste de Parmentier ne sait pas de quoi elle parle, puisqu’elle ne veut alerter que sur une œuvre d’art et rien d’autre ! De tout le reste de la réunion, elle ne prend aucune note, ne pose aucune question, n’a rien à proposer pour mieux protéger, pourquoi pas, les enfants de sa circonscription, quelque chose de tangible. Elle “textote”, et attend que ça passe… Déplorable image d’une représentante du peuple français, dont on se demande bien ce qu’elle fait dans cette Commission.       

Maintenant, passons au tableau de Miriam Cahn :     

Miriam Cahn, “Fuck Abstraction”

Ne trouvant nulle référence du tableau, voici une image pour avoir une idée de son format :

L’argument du délit pédophile (il ne peut y avoir de crime, au sens légal, commis dans une œuvre d’art) tient dans les deux figures, surtout celle agenouillée, mains attachées, un phallus introduit dans la bouche. Les détracteurs sont persuadés qu’il s’agit-là d’un enfant. Mais Cahn a dû expliquer que ces deux figures peintes de dos ne sont pas des enfants, mais des prisonniers (référence à la guerre en Ukraine), amaigris par la faim, maltraités et abusés. Qu’à cela ne tienne ! Les imbéciles savent mieux que l’artiste elle-même ce qui est dépeint ici. Ces sycophantes ajoutent que n’importe qui, surtout des enfants, des jeunes mineurs, peuvent avoir accès à cette œuvre. Cependant, à l’entrée de la salle du Palais de Tokyo, on peut lire cet avertissement :

Déjà, premièrement, on se demande qui irait visiter avec son enfant une exposition de Miriam Cahn ? Mais imaginons qu’il soit totalement ignorant de la nature de l’œuvre de Cahn, et s’y rende quand même, avec sa progéniture. Face à ce panneau à l’entrée de la salle, en tant que parent responsable, que fait-il ? Il passe outre ou bien fait-il demi-tour ? Je suppose que n’importe quel parent responsable choisira la seconde option. Et rien n’en sera dit.

Bien entendu, le tableau de Cahn est très fort, dérangeant, violent, mais il faut être bien ignorant des arts pour assumer, comme une évidence, que l’art “doit” être moral, propre, et inoffensif. Et ce n’est qu’un tableau, donc une œuvre de fiction. Cahn n’a pas produit des “film stills” d’un snuff movie qu’elle aurait tourné… Or c’est bien ce que les détracteurs et imbéciles fanatiques, en première instance, ont oublié, ou bien, ce qui est plus certain, ne leur est pas venue l’idée qu’il s’agissait d’une œuvre fictionnelle, certes, et néanmoins, pour évoquer une réalité — celle de la guerre et de ses horreurs —, qui existe bien ; cependant que le tableau est bien inexistant par rapport à la “vraie” réalité, puisque, faut-il le dire encore, c’est une fiction.

Maintenant, imaginez un peu le Front-Rassemblement National à la Culture : il faudra commencer par retirer le théâtre d’Aristophane dans les CDI et remonter toute la chaîne historique des grossièretés et obscénités que l’on trouve dans l’Histoire littéraire et artistique ; décrocher toutes les décollations de Jean-Baptiste et Holopherne ; mettre en réserve Le Supplice de Marsyas et tous les tableaux de Balthus, ce vieux pervers, sans oublier d’extraire de toutes les bibliothèques municipales les œuvres complètes du Marquis de Sade, et j’en passe.

… Mais qu’est-ce que tout “cela” face au déferlement pornographique et trash que l’on peut voir en trois clics sur l’Internet ? Quelle lutte Parmentier mène-t-elle contre son accès tout à fait libre ? Tout cela, de Karl Zero en passant par Cyril Hanouna et l’inénarrable Parmentier, n’est rien par rapport au tableau de Cahn. Pour preuve, on peut signer une pétition en ligne pour que ce dernier soit retiré de l’exposition (dont je ne donne pas le lien, il ne faut pas exagérer) :

 

 

On remarquera, soudain, qu’il y a en fait plusieurs tableaux, dixit, de Cahn, à “caractère pédopornographique” ! Nom de d’là ! Le tableau “Fuck Abstraction” n’est que l’arbre qui cache la forêt remplie de pédocriminalité dépictée ! Mais alors, combien ces fins gourmets esthétiques en dénombrent-ils ? Davantage que les enfants violés chaque année en France ? 160 000 (donc + de 438 H24), sûrement une sous-estimation, par ailleurs, mais quel massacre corporel et psychique ! Quelle indignité civilisationnelle ! Alors, qu’attend donc Mme Parmentier pour lutter de toutes ses forces contre ce fléau ? Non, elle s’en fout de tout ça, car c’est quand même beaucoup de travail, de l’attention à l’autre, de l’empathie, de l’implication, des nuits blanches, face aux horreurs dont on a connaissance, comme le rappelle la Présidente Florence Dabin. Alors la Caroline, avec sa tête d’éthylique, elle se dit :« Faut quand même pas pousser, prends l’oseille, et aboie de temps en temps !»

Si vous êtes intéressé pour découvrir davantage le grand esprit incarné et trop cité, c’est ici.

Rappelons enfin que le Palais de Tokyo a été contraint de se fendre d’un Communiqué, pour défendre les œuvres de l’artiste :

Miriam Cahn. “Unheimliche” et mystères

 

Léon Mychkine

écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA France

 

 


Zenetuos Article via PayPal  !


 

Newsletter