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« La vérité toute crue : Barbara Hepworth et Henry Moore ne jouent pas dans la cour des grands.
Jonathan Jones
Laissez la sculptrice vedette de St Ives, et son homologue du Yorkshire Henry Moore, comme les puissances provinciales qu’ils sont. Prétendre qu’ils ont eu une influence internationale relève du nationalisme mesquin.
Aujourd’hui, l’atelier est un sanctuaire pour cette artiste dévouée, et vous pouvez voir les derniers morceaux de pierre sur lesquels elle travaillait encore lorsqu’elle est morte. Hepworth croyait vraiment à l’artisanat. Elle a mis la main à la pâte, jusqu’à la fin.
Alors pourquoi sa dernière décennie semble-t-elle être négligée par la grande exposition Hepworth qui se tiendra à la Tate Britain cette année ? L’exposition culmine avec sa rétrospective au Kroller-Müller Museum en 1965, un moment où, selon la publicité de la Tate Britain, son œuvre était “un élément important de la scène artistique internationale”.
Si cette exposition néglige les dernières années de Hepworth, c’est sûrement parce qu’on veut la libérer de son statut provincial d’artiste britannique idiosyncrasique qui a choisi de vivre loin de la modernité urbaine, à St Ives, baignée par la mer. On veut la proclamer comme une grande moderniste internationale qui était à la pointe des mouvements artistiques de son temps.
Barbara Hepworth: Sculpture for a Modern World, est organisée conjointement par Penelope Curtis, directrice de la Tate Britain. Mme Curtis a un faible pour la sculpture britannique moderniste du début et du milieu du XXe siècle. Avant d’obtenir le poste à la Tate, elle a travaillé pendant des années à l’Institut Henry Moore de Leeds. La première grande exposition organisée sous sa direction à la Tate Britain était une rétrospective Moore, et Moore est plus mis en avant que Francis Bacon dans sa nouvelle présentation de la collection permanente. Elle a également été commissaire de l’exposition Modern British Sculpture, de la Royal Academy en 2011.
Curtis a ouvert la voie et donné un pouvoir institutionnel à la célébration de Moore, et maintenant de Hepworth, en tant que grands artistes modernes internationaux, mais elle n’est guère seule dans cet enthousiasme. Les grands de ce monde ont été scandalisés lorsque Tower Hamlets a voté la vente d’une sculpture publique de Moore. Le Yorkshire Sculpture Park, avec ses Moore et Hepworth qui parsèment le paysage, est devenu l’une des collections d’art les plus respectées de Grande-Bretagne. Le “Hepworth Wakefield” est un autre hommage.
Pourtant, Moore et Hepworth sont vraiment des artistes britanniques idiosyncrasiques d’intérêt essentiellement local, et la campagne visant à en faire des dieux de l’art raconte un gros mensonge sur leur véritable place dans l’art du XXe siècle. Hepworth est difficile à détester (ses lyres sculptées caverneuses chantent comme la mer), mais il est facile de s’en lasser. Elle et Moore adoucissent de façon pittoresque et douillette les découvertes de l’art moderne — dans son cas l’abstraction, dans le sien le surréalisme —, en les fusionnant avec un romantisme profondément britannique.
Mais prétendre qu’ils font partie des vrais grands artistes modernes est absurde. Picasso éclipse son imitateur Moore. Mais ce n’est pas seulement Picasso qui fait passer ces Britanniques modernistes pour des mineurs. Dans le cas de Hepworth, les comparaisons les plus significatives se font avec les vrais grands artistes abstraits : on ne peut pas sérieusement placer ses œuvres à côté de celles de Brancusi, Kandinsky, Mondrian, Pollock, Rothko ou Richard Serra. Elles n’ont pas la même classe.
Tous ces libéraux, fans bien intentionnés de l’establishment de Hepworth et Moore, sont sans doute aussi repoussés que n’importe qui par la politique nationaliste et laide de Ukip. Pourtant, d’une manière gauchiste, à la Hepworth, c’est du plus pur nationalisme mesquin que de gonfler de manière hyperbolique la réputation d’artistes britanniques de seconde zone. Le véritable foyer de l’art moderne n’a jamais été St Ives, ni le Yorkshire. Prétendre qu’il l’a été est complaisant, insulaire et, soit intellectuellement malhonnête, soit véritablement stupide.»
Article publié par Jonathan Jones, dans le journal The Guardian, le 21 janvier 2015. (Tout est reproduit et traduit tel quel, y compris les légendes, dont une traduite, bien entendu)
PS. Pour ceux qui auraient oublié la tragi-comique arnaque de Ukip, voir ici, entre autres sources édifiantes.
En Une : Henry Moore, “Mother with Child on lap” [Détail], 1982, lithographie en couleurs sur vélin
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