ART-ICLE.FR, the website of Léon Mychkine (Doppelgänger), writer, Doctor of Philosophy, independent researcher, art critic and theorist, member of the International Association of Art Critics (AICA-France).

Les “Contreformes” de Réjane Lhote

Réjane Lhote “exposition Contreformes” (détail), galerie du Haut Pavé, Paris, janvier 2018

Depuis des années et des années, je suis persuadé que les artistes contemporains récupèrent, peu à peu, ce que j’appelle les membre d’Osiris. Enfin, cela ne vaut pas pour tous, car certains continuent de “faire” comme si rien ne s’était passé (entendez, Art Moderne, et naissance de l’Art Contemporain — à partir des années 60, avec l’art conceptuel, disons) ; ils continuent d’étaler la matière, ou quelque matière que ce soit, comme si cela allait de soi. Or, entendre pratiquer l’art, aujourd’hui, cela ne consiste pas qu’à étaler de la matière, comme un « sagouin » (dirait Corpet) ; cela consiste aussi à interroger la manière dont on remplit l’espace ; et il faut entendre ici « l’espace » comme le moment exact où l’artiste pose sa main sur son support. Je pense que tous les bons artistes, dans leur manière de faire, ont recours à cette pratique de récollection des membres osiriens, en l’incluant dans leur travail actuel. Que veut dire cette expression ? J’invite le lecteur à lire mon article (ici), mais, pour le dire vite, il s’agit de repasser par le même chemin, en regardant ce qui reste d’exploitable, dirons-nous. Cela ne veut pas dire re-faire la même chose ; non, pas du tout, cela veut dire re-prendre l’archive du geste là où elle est aussi restée, localisée (je rappelle que les membres d’Osiris ont été découpés et dispersés aux quatre coins…, il y a donc l’embarras de la localité, ajoutée à l’incertitude de la lecture). L‘archive du geste, c’est ce moment où l’on prend connaissance de ce qui reste, et qu’il faut poursuivre. Or, cette poursuite s’exerce dans le libre-jeu de l’interprétation…

Il me semble, une fois ces préliminaires établis, que Réjane Lhote fait partie de ces artistes, que j’appellerais consciencieuses. « Consciencieuse » ne veut pas dire appliquée et bonne élève ; cela veut dire attention à. Et, on le voit dans le détail ci-dessus, Lhote ne sagouine pas. Même si on pourrait penser qu’elle le fait. Comment cela ? Regardez ! À tel endroit, on trouve une sorte de brossage, ici un effacement, des recouvrements, là des points ; et puis, à gauche, comme en contrebas, la matière qui fuit, glisse, s’échappe. Voyez ? En quelques coups d’œil, quelques termes — très peu en fait —, nous avons une histoire. Mieux : une fiction (il faudra y revenir, restons près du terme histoire). Cette histoire, ce n’est pas la récollection qui la produit ; c’est bien Lhote. De quoi est-elle faite ? Regardez le détail ci-dessus. Saisissez-vous l’opposition ? Laquelle ? Eh bien !, celle entre la géométrie et l’abstrait. Mais je vois bien que cette phrase n’est pas très recevable. Mais, ce que je voudrais pouvoir mettre en mot, c’est, voyez-vous, ce contraste entre la forme décidée, géométrique (et quelles formes seraient plus décidées que celles depuis la géométrie ? Elles gouvernent nos vies, depuis la porte, au bâtiment, en passant par l’avenue, etc.), et donc cette espèce d’hésitation et d’acharnement à recouvrir une surface d’une manière qui rend justement contredite en surface cette géométrie. Mais, voyez comme les détails sont intéressants : Ci-dessus, pour ma part, je vois des mondes s’affronter ; des mondes, ou plutôt, des modes d’expression dans une surface donnée. C’est la vue microscopique.

Réjane Lhote, vue de l’exposition “Contreformes”, galerie du Haut Pavé, Paris, janvier 2018

Voilà, enfin, ce “détail” agrandi. Que constatons-nous ? Premièrement, ce qui frappe, c’est qu’il s’agit ici d’une œuvre éphémère. En effet, Lhote se trouve ici dans une galerie, et il est bien évident que la galerie, une fois l’exposition terminée, va repeindre les murs portants. Ensuite, de quoi avons-nous l’impression ? Ne pouvant généraliser, je dirais que, de mon point de vue expérientiel, j’ai l’impression de voir une architecture décoller, justement à l’intérieur d’une architecture asservie ; et, de ce point de vue, on pourrait même avoir l’impression que la dissolution du dessin au bas des structures représentent la vapeur des boosters… Mais non ! C’est plus certainement la dissémination, la désintégration du dessin. La preuve, voyez en bas à droite : il se propage au sol. Voyez comme il arrive sur cette nouvelle dimention, dans un état chimique, mais, sur sa droite, reprenant son format génétique. Mais on pourrait aussi penser que la connexion s’est fait depuis le bas du mur plus à droite…

Lhote aime à jouer avec les volumes, les symétries, et le discontinuités. Voyez ce grand vide entre les deux murs portants, cependant qu’au sol la connexion n’est pas rompue… Et, en fait, toute la pièce est connectée, le vide n’étant qu’une pause, ou bien même la trace d’une pièce manquante… allez savoir ! Après, je parle de connexion, mais on pourrait tout autant voir dans ces pièces quelque chose qui tient lieu de disconnexion, comme autant de prises mâles/femelles qui ne “pluggent” pas. C’est la vue macroscopique. Mais, tout de même, nous en restons sur un certain schéma de connexion, cependant qu’incomplet. Mais c’est voulu, bien évidemment. Et c’est aussi dans ce sens que Lhote, supputé-je, nous montre des fragments ; des fragments historiques, qui ont une histoire (retournez voir le détail, et examiner toutes les façons de faire tenir la matière).

Léon Mychkine