Ce que j’aime, chez Moulène, c’est l’occurrent caractère non-évident de ses œuvres. C’est énigmatique. Je précise que, sur 756 articles publiés depuis juillet 2016, j’ai très peu employé ce mot ; sous peine de le vider de sa substance, même si « substance » n’est pas le bon terme, car nous savons, au moins depuis Maxwell et Darwin, que le concept de substance est « obsolète » ; et, puisque seules les “vraies” œuvres d’art sont vivantes, comme toute œuvre d’art, on ne peut pas alors non plus qualifier une œuvre d’art en tant que « substance ». Bien.

Taille humaine. Première impression (passées un qu’art d’eure (sic)) : c’est une poupée gonflable, en béton. Mais, si on cherche à écarter les jambes, elle pète. Curieux : pas de chevelure, pas de bras ; des brisures fractures en des endroits… inattendus. Et les grands ronds, à la place des seins, mais même, ils seraient énormes. Deuxième impression : on dirait un robot. On pourrait continuer… Moulène nous pousse à(aux) la question(s) : « Qu’est-ce que c’est ?», et je crois que c’est voulu. Parce que je parlais de brisures, mais en fait, on pourrait parler de pantalons déchirés, tout autant. Question : Faut-il s’interroger sur le titre ? Trop téléphoné ? Marie. C’est pas pareil que Chantal ou Océane (quoique).

De plus près, du moins, en photo, c’est plus parlant, façon de dire, et c’est surtout de la belle ouvrage, comme on disait sous Louis XIX. Le truc, c’est que, comme Moulène nous donne à voir une figure anthropomorphique, genre mannequin, poupée, on cherche automatiquement à ajuster ce que l’on voit avec la/une réalité possible. Il s’agit bien de réalité possible.
Nous sommes bien bons, tout de même, à toujours/souvent chercher une relation d’équivalence, qui est aussi, dans de nombreux cas, asymétrique. S’il est possible de dire que A prédique B (A pour spectateur et B pour Joconde : A ⇒ B), il n’est pas possible de dire, à tout coup, a prédique b, a ⇒ b, b pour “Cut-out”, de Pollock. Pourquoi ? Parce qu’il est certainement impossible de trouver une seule personne qui puisse dire que la Joconde n’est pas une œuvre d’art, tandis qu’elle peut tout à fait ajouter que ce n’est pas son tableau préféré de Leonardo. À l’inverse, on trouvera x personnes pour affirmer que “Cut-Out”, n’est pas une œuvre d’art, ou, à tout le moins, que c’est une œuvre ratée. Pour la sortir de cette issue probable, Michael Fried, en 1965, fait la danse du ventre : Il se contorsionne, littéralement, pour faire passer le tableau “Cut-Out” pour une grande réussite dans l’équilibre entre le figuratif dans
« un contexte stylistique optiquement presque aussi acharné que dans ‘Number One’.»,
sachant qu’ici, l’adverbe « optiquement », pour Fried, caractérise
« un champ pictural si homogène qu’il est dénué d’objets reconnaissables et de formes abstraites.»
Dans “Cut-Out”, dit-il,
« Pollock a achevé la figuration en niant le champ pictural.»
Oui, à-t-on envie de répondre à Fried, et alors ? Quel est le résultat ?

N’était Pollock, on peut supputer que ce tableau eut depuis longtemps été remisé… aux oubliettes. C’est quand même très mauvais. C’est presque gagesque, cette figure anthropomorphe surgissant d’un all-over, n’arborant que quelques séquelles de la déchirure épiphanique (elle est tachée, quoi!). Mais on comprend pourquoi Fried tente contorsionnistement de sauver le soldat “Cut-Out”, car il s’inscrit dans la période qu’il qualifie des chef-d’œuvres de Pollock, qu’il situe entre 1947 et 1950. Or, avec “Cut-Out”, on est en plein dedans. Alors, euh, comment dire, comment disqualifier un tableau très mauvais dans une période soupçonnée de moissonner les chef-d’œuvres ? Eh bien, peut-être en le disant, tout simplement : « Le tableau ‘Cut-Out’ de Pollock est totalement raté. » Oui, mais après, comment expliquer qu’il peut quand même, entre temps, faire des chef-d’œuvres ? Eh bien, en le disant. Les artistes, quand bien même disposés sur des piédestaux XXL, ne sont pas à l’abri d’un coup de moins, un coup de mou, et ils sont capables, à leur insu, de produire des croûtes.
Michael Fried, Three American Painters. Kenneth Noland, Jules Olitsky, Frank Stella, Fogg Art Museum * 21 April — 30 May 1965 « Garland Publishing, Inc.