L’humour chez le sculpteur Rémi Uchéda

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Une partie non négligeable de l’art a consisté à rire, à faire rire, et ce depuis au moins… Je ne sais plus, mais on peut penser à Jheronimus van Aken, Breughel l’Ancien, James Ensor, Tristan Tzara, Richard Huelsenbeck, Magritte, Claes Oldenburg, etc. On l’oublie souvent, certaines œuvres d’art nous restent imperméables, car nous ne saisissons pas le côté humoristique. Ainsi, par exemple, on a souvent regardé les tableaux de Jheronimus van Aken avec une sorte de respect teinté d’effroi, tandis que, tout de même, Jheronimus devait bien rigoler à fignoler ses œuvres, c’est sûr. Aujourd’hui, on trouve toujours des artistes qui pratiquent l’humour, et Uchéda, à mon avis, peut être non pas “rangé” sous cette catégorie, mais peut être abordé par ce biais. Exemple :

Rémi Uchéda, “Entre-là”, flexible de douche écrasé, 2021

Il y a une volonté, chez Uchéda, de nier l’usage ; il ploie des cannes à pêche sous des arcades, écrase totalement des gourdes, replie des pieds de chaises sur leur assise inférieure, entre autres. Uchéda, de fait, n’est pas un artiste utilitariste, il sabote l’attente esthétique, d’après laquelle, inconsciemment ou pas, on expecte que l’œuvre serve la fonction. Pour le dire vite : de la peinture pour faire un tableau, du matériau pour faire une sculpture, du crayon ou du fusain pour un dessin, etc. Uchéda ne va pas prélever un élément extérieur pour l’intégrer dans un vocabulaire (par exemple) de sculpture ; il va prélever des objets d’usage pour en faire autre chose que ce à quoi ils servent. On pourrait penser au ready-made, mais Duchamp n’a pas écrasé son porte-bouteille, ni voilé sa roue de bicyclette. Les “objets” uchédiens ne sont donc pas des ready-made. (Le ready-made est né et mort avec Duchamp, mais le questionnement ouvert, merci Marcel ! reste…) Uchéda a écrasé un flexible de douche. C’est proprement fait. Je suppute qu’il a loué un rouleau-compresseur (location premier prix : 75€/jour chez Kiloutou). Une blague, en écho, m’est venue, et je vous la livre, car il est bon de rire, comme le disait Buster Keaton : “Avec Uchéda, nous avons enfin de l’authentique eau plate !” Vous savez ce qu’est l’eau plate, c’est, communément, en restauration, de l’eau non gazeuse. C’est plat. Rien que l’appellation est drôle, à dire vrai, ou à vrai dire (différence fondamentale). L’eau, en bouche, est plate, mais l’adjectif signifie-t-il son inactivité en bouche, ne pétillant pas ? Encore un mystère herméneutique. Ou bien, on dit « plat » pour dire « insipide », comme on dit d’un mets qu’il est plat, d’un film qu’il l’est, sans goût, comme l’eau, car l’eau n’a pas de goût, et, si l’on trouve que l’eau a un goût, on dit « l’eau a un goût », ce qui est anormal, inattendu. D’un autre côté, il y a le mythe de l’eau plate, vraiment plate, au sens géométrique, mythe que l’on rencontre chez Pythagore, Platon, et Nostradamus (“un jour l’eau sera plate, quand les moutons cesseront de bêler, au dernier décan de la lune de mars”). Ainsi, on peut en effet songer que le tuyau aplati uchédien va enfin fournir de la véritable eau plate, c’est-à-dire une eau façon ruban, bien plat, large. Quant à son intérêt, il est évident. Je sais que l’intérêt est évident, même si je ne sais pourquoi. Si ! Bien entendu. Si l’on utilise des essuie-glace plats, on remplira naturellement son réservoir d’eau plate

Rémi Uchéda, “Essuie-glace aplati,” métal, 2015

Autre instantiation :

Rémi Uchéda, “gourde »

Une gourde peut-elle être gourde au point d’être inutile, incapable d’être remplie ? C’est ce qu’est une gourde, une femme idiote, incapable d’accéder à l’intelligence. Mais je ne pense pas qu’Uchéda ait visé ici la gente féminine. Non, c’est plutôt littéral ; une gourde écrasée à coups de marteau, supposera-t-on, devenue inutile, mais, curieusement, ayant pris l’aspect de quelque chose d’autre, de paréidolique, et je pense à un cœur, un cœur, s’il vous plaît, bouchonné ; qui a du métier, de la longueur en goût, mais un drôle de goût, du coup. En effet, qui boirait à une gourde bouchonnée ? Il est étonnant de constater comment des motifs sont apparus dans le martelage, un vrai parcours qui nous ferait penser à une Carte du Tendre de Madeleine de Scudéry. On emportera une gourde plate dans les régions où l’eau abonde, c’est-à-dire où l’on peut naturellement se désaltérer. La pertinence d’avoir sur soi une gourde plate, cependant, est double :1) elle prend moins de place (gourde de poche), 2) elle peut servir à acheminer quelques gouttes à un compagnon de route qui est resté coincé dans les roches, et qui a un besoin urgent d’humectation. 

Rémi Uchéda, « Poubelle-du-cours-des-choses »

Ici Uchéda a, encore une fois, empêché et contredit l’usage, mais il a basculé la fonctionnalité. Une poubelle, telle qu’ici évidée, ne sert que très peu à la verticale, mais à l’horizontale, elle ne sert plus à rien. Sauf que, sur pieds, elle devient autre chose. Que devient-elle ? Autre chose. Le titre nous rappelle d’où elle provient, mais elle n’est plus ce qu’elle était, les temps changent, les poubelles se parent, croissent quadrupèdes, et s’exilent, en beauté. Trop de déchets partout, restons digne !

Rémi Uchéda, “Plié/chaise pliée, métal chromé, dossier en skaï ”

Là encore, l’action de plier, d’aplatir. Notez qu’une fois la chaise pliée, on ne sait plus très bien quelle était sa forme. Enfin si, on a une petite idée. Uchéda a juste ôté l’assise et gardé le reste. Quoique, dépliée, ne sera-t-elle pas bipède ? Or, une chaise bipède, cela n’existe pas. Voyez aussi comme le fait de traiter non-ordinairement un objet usuel le rend tout à coup étranger, enfermé désormais dans son propre idiome ; idiosyncrasie.

 

Uchéda est aussi un “performer”, donc « interprète », à partir de son corps, seul ou avec autrui, ou/et en compagnie d’objets qu’il a traités ou intraitables, dont on pourra avoir des aperçus sur ses pages électroniques, telles que https://www.instagram.com/remi_ucheda + https://www.facebook.com/remi.ucheda

De Léon, on pourra aussi lire, au sujet de Rémi, ceux-ci :

Avec Rémi Uchéda. “Architextures de paysage #1”, Partie 2

+ https://transverse-art.com/oeuvre/palissades

 

 

En Une : Rémi Uchéda, “Galerie. Tubes en acier”, 1997. Légende complète de l’artiste : « Montée, accrochée sur le toit d’une voiture.
Elle se dresse pour l’arrimage, pouvant s’espacer, dans cette posture à l’enfilage. Prendre ainsi la position d’un entrelacs.» Là encore, un gag. Une galerie de toit, c’est plat. Ici, comme souvent, finalement, chez Uchéda, les objets se révoltent, pètent un câble, et la Révolution des Galeries, personne n’en a parlé, d’ailleurs, à part Uchéda.

 

Léon Mychkine

 

 


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