Quelque chose de Schiele

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 Egon Schiele, “Nu aux bas bleus, penchée en avant”, 1912, Crayon et gouache sur papier, 28,9 x 37,5 cm, Leopold Museum, Vienne

Il y a du sulfure chez Egon (sulphureusez [jetées par la gueule d’un dragon]) (les sulphureux boillons [de l’Etna]). (Empr. au lat.sulfurosus « riche en soufre », dér. de sulfur « soufre ».)  Longtemps Egon m’a retenu, me faisant peur, craindre, je ne sais quoi, à dire. Je ne pouvais rien écrire. Vous connaissez l’expression “avoir un bon coup de crayon”… c’est bien ce dont était doté Schiele. Vous pouvez regarder de près, c’est quasi ; cependant, on croirait hésitant.


Il y a quelque chose du trait, du re-trait, trait sur trait, et pourtant, on ne sent pas d’hésitation, in fine. Trait/trait. Egon était fou des corps, et du sien. “Fou” ne va pas bien, il faudrait un autre terme… “Fascination”, peut-être. Fascination des corps, curiosité insatiable pour des positions spécifiques, peu orthodoxes. Comme ici. (Si on en croit la fiction (ce que nous voyons est la vérité d’une pose, mais est-elle naturelle ou sollicitée ?)) Que fait-elle, cette femme, se tenant ainsi ? A-t-elle mal au ventre ? Se prosterne-t-elle ? Implore-t-elle ? Et qu’est-ce que ça peut bien faire que ces bas soient bleus ? On dirait qu’elle a une boutonnière dans la colonne, avec la saillante courbure sacrale. Il avait le chic, Egon, pour les postures improbables. Et tant mieux ! Après tant de siècles de postures académiques… Il y a des rougeurs. A-t-elle reçu des coups ?

Que signifient ces traces. Ressortissent-elles à la vérité de la chair, ou à celle du dessin ? Et cette épaule très saillante, un peu trop, non ? Je ne dis pas que Schiele exagère, ce n’est pas la question, mais je me demande pourquoi il dessine ainsi cette dernière ? Mon hypothèse : Schiele “voyait” des choses dans les corps que tout un chacun ne voit pas nécessairement, de la même manière qu’il y a une sémiologie du corps pour un médecin, qui a appris à “lire” sur un corps, lecture à laquelle le quidam ne peut avoir accès, car cela s’apprend, il y a bien évidemment une sémiologie du corps pour un artiste, et cette science, si elle s’apprend aux Beaux-Arts, peut être plus ou moins développée, plus ou moins aigüe ; et il faut donc bien constater qu’elle était très aiguisée chez Schiele.

Et la chevelure… Voilà une masse bien étrange. On dirait un Hantaï, période “Meuns”.

À mon humble avis, Egon, c’est un dessinateur, bien plus qu’un peintre. Ça n’enlève rien à quoi que ce soit, c’est juste que le définir comme “peintre” me semble une erreur. Bien sûr qu’il a peint, il suffit de regarder, mais, et, encore une fois, pour ma part, quand je regarde ce qu’il fait, je vois davantage un travail de dessinateur qu’un travail de peintre. À tout prendre, Egon était un coloriste, et un grand dessinateur. Mais il n’y a pas, à mon sens, de véritable geste de peintre dans son œuvre. Et en cherchant confirmation de mon intuition, je trouve ces lignes écrites par Magdalena Dabrowski dans la monographie du MoMa : « Son œuvre totale inclue plus de 3000 travaux sur papier et 300 peintures. Schiele était, en premier lieu, un dessinateur exceptionnel ; en fait, même ses peintures reposent sur le dessin en tant que principale structure composante.» Voilà (!), je n’ai rien supputé de scandaleux. Et voici un dessin :

Egon Schiele, “Zeichnungen XII”, 1917, 21 x 47 cm

Il paraît que Schiele s’est inspiré de danseurs tout autant qu’il en a inspiré. Cela n’est pas étonnant. J’aime sa façon d’occuper l’espace, comme s’il était limité (ce qui me fait penser à l’ami Gatien M.). J’aime beaucoup le trait schielien, sa grâce, son empaquetage, oserais-je dire. (1516 « mettre en paquet »; 1663 empaqueté dans un linceuil (Molière, L’Étourdi, II, 4). Dér. de paquet), voyez cette espèce d’étoffe autour de la taille ; ne dirait-on pas un empaquètement ? Si. Il y a une thématique du paquet, du tas, chez Schiele. Ceci dit, admirez la posture. Tout à fait celle d’une danseuse, exécutant une figure. Figure-in-figure ; mise en abyme ? Quant au regard, rien ou pas grand-chose, Schiele sollicite et attend beaucoup du regardeur pour le “poser” dans l’image. Mais ce n’est pas ce qui importe le plus.

 

Egon Schiele, “Arbre d’automne dans l’air agité”, 1912, Huile et crayon gras, 80,5 x 80 cm, Leopold Museum, Vienne.

Si le titre ne l’indiquait, on pourrait bien se demander de quoi il s’agit. Bon ; on reconnaîtrait la dépiction d’un arbre, probablement, mais guère plus. Tout cela semble presque de l’art pariétal, avec le fameux arbre tête de dragon.

L’ensemble peut être vu comme un palimpseste partiel, il suffit de suivre les lignes, comme ici :

Repentirs de sabots. And that’s all folks!

 

À Vienne, au Leopold Museum, “The Body Electric. Erwin Osen — Egon Schiele”, 16.04.2021-26.09/2021.

 

Erwin Dominik Osen, “Portrait of a Patient (Löwy Oskar)”, 1915 © Barbora and Hans-Gregor Koller, Photo: Leopold Museum, Vienna/Manfred Thumberger

Ces quelques lignes de l’Encyclopédie Universalis : Si la sémiologie est la science des signes, la sémiologie du corps se définira comme la région de cette science dont l’objet est le corps comme signe. Comment le corps humain peut-il être signe ou ensemble de signes ? Comment peut-il signifier ?

 

Ref. Egon Schiele : the Leopold collection, Vienna. Texts by Magdalena Dabrowski and Rudolf Leopold, 1997, © 2017 The Museum of Modern Art, New York

 

Léon Mychkine

 

 


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