Dans la Galerie Basse des Tanneries avec Sylvie Turpin

Dans mon premier article sur Les Tanneries d’Amilly, nous visitons la Galerie Haute, et le Parc; mais il manque un aperçu sur la Galerie Basse. Or, et jusqu’au dimanche 06 novembre 2016, nous pouvions y voir l’exposition commissionnée par Sylvie Turpin, fondatrice, en 2001, avec Patricia Reufflet, de la galerie l’AGART, à Amilly. (On peut avoir une idée sur ce lien: https://art-icle.fr/?p=1068) Jeudi 03 novembre, Sylvie Turpin m’a guidé dans ses choix de l’exposition “Oeuvre aux singuliers”, et je l’en remercie. 
 
Entretien Sylvie Turpin
 
[Je commence par demander à Sylvie Turpin ce qui est à l’origine de l’exposition dans la Galerie Basse des Tanneries. Elle répond que c’est l’agART, association d’ARTistes.]
Turpin: Donc cette exposition, qui a démarré en mars, avant l’ouverture du Centre d’Art, c’était déjà pour faire une annonce, comme quoi il allait ouvrir; et c’est la fin de notre association, donc l’agART, Association de Galerie d’ARTtistes.
Mychkine : Vous aviez commencé en?
T: 2001. Donc pendant quinze ans on a fait 4-5 expos par an, et quelque part cette expo aux Tanneries, c’est un peu le bilan des moteurs qui ont donné une ligne à la galerie. […] Et Martin Barré, c’est le premier peintre que je rencontre quand j’arrive à Paris.
M : Et c’est en quelle année ça ?
T: 73. J’arrive fin 73 début 74, je le rencontre en 76. Mon prof d’Histoire de l’Art voulait que je rencontre des artistes.
M : C’est pas bête comme idée…
TOui, il me trimballait dans les galeries… Il y en avait quoi ? Cinq ?
M : Ah oui ?
T: Il y avait très peu de galeries à Paris.
M : Ah oui ça a changé !
T: Donc c’était d’ailleurs chez Templon la première fois. 
MDonc le premier peintre que tu rencontres à Paris, c’est 
T: Martin Barré, oui.
M : Ça commence fort!
T: Oui, j’adore.  je trouve ça extraordinaire. Je trouve que c’est un travail magnifique. D’ailleurs on a réalisé un catalogue, et il y a un texte où je m’explique sur ce commissariat. Donc c’est sur les années 70, effectivement, parce que c’est un moteur, pour moi, enfin qui a formé mon goût, quelque part, et puis qui a déterminé mon propre travail. Et le second peintre que je découvre, pareil, en 77, c’est François Rouan, les “tressages”.
M : C’est beau ça…!
T: Magnifique. Les tressages, c’était l’annulation du plan, comme ça, la mise à zéro, où il retresse comme un gosse… il reforme sa surface… je pense que ça a beaucoup marqué mon travail. Tout ce travail où le processus est très important 
M : Oui. C’est clair que la peinture de Rouan, c’est une peinture du processus.
T:  Peut-être moins maintenant, on le sent moins, mais quelque part ses tressages, on les sent même dans ses peintures récentes, où il y a toujours ce système de grille. [On remarquera le principe simple et précis qui motive la scénographie turpienne : il s’agit de la « grille ». Le mot  “grille”, dans ce contexte, tient davantage de la notion, du concept, du motif dans l’Histoire de l’art contemporain, comme le montre très bien Rosalind Krauss, au chapitre “Grilles” de son livre L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes1]
M : Absolument!
T: D’ailleurs, ce système de grille fonctionne dans toute l’expo, parce que ça démarre avec Martin Barré, parce que c’est comme des plans d’architecte, ces travaux, après un travail sur la surface… Dilworth! C’est pareil, 
M : On va peut-être rentrer, peut-être en parler devant non? [Depuis le début, nous parlons à l’entrée de la Galerie Basse, nous ne sommes, à proprement parler, devant aucun tableau. Donc quand je propose de rentrer, j’entends la petite salle dans laquelle sont exposées cinq toiles de Barré, seule petite salle au rez-de-chaussée qui est hermétique et qui peut être chauffée]
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« Salle Martin Barré ». De gauche à droite, “Sans titre”, 1957, acrylique sur toile, 130 x 97 cm, “Tube”, 1962, acrylique sur toile, 61 x 54 cm, “63-L-4”, acrylique sur toile, 46 x 45 cm, “67-F-8”, 1967, acrylique sur toile, 86 x 80 cm, “86-87 A”, acrylique sur toile, 120×1220 cm

T: Donc là, on a voulu mettre, un tableau très ancien, très classique, qu’on pourrait nommer de l’époque de l’École de Paris. Jusqu’à un tableau récent des années 90 [Turpin vise le dernier tableau à droite sur la photo ci-dessus]. Il manque des périodes. Mais arriver à associer cinq périodes qui ont quarante ans d’écart, et arriver quand même à faire un accrochage serré… Et les bombes, voilà, qu’on adore tous [Turpin vise le 3ème tableau en partant de la gauche], qui sont des années 60. Donc la guirlande, c’est juste avant [le tableau à gauche de la « bombe »]. Donc c’est un travail au tube directement. Donc c’est une période assez courte chez Martin. Et il avait fait un rideau de scène, à partir de pochoirs, comme ça avec des flèches [Turpin vise le 4ème tableau sur la droite]. Et il avait fait toute une série de tableaux que j’ai donc vu pour la première fois chez Templon. 
M : Et c’est devenu un ami, j’imagine.
T: Oui, un grand ami. Il devait me trouver une galerie… Quand il fait sa dernière expo, six mois avant sa mort, au Jeu de Paume
M : En quelle année?
T: Il y a vingt-trois ans. [Martin Barré est décédé en juillet 1993].
M : Et donc pourquoi il est dans une pièce à part, Barré?
T: Parce qu’ils sont trop fragiles. Parce qu’il y a des enduits, et étant donné que les résidences d’artistes ne sont pas commencées, j’ai pu utiliser cette pièce, parce qu’elle est climatisée. 
M : D’accord
T: En fait sinon ils se craquèlent. Martin travaillait… on ne le voit pas mais il y a de la matière, il y a des enduits, qui sont poncés, lissés, et ces enduits craquent, avec les variations. Donc j’en ai un à l’extérieur… Lui peu, il supporte [Turpin mentionne le seul tableau de Barré présent dans la grande Halle avec les autres oeuvres].
 
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Le tableau de Martin Barré, à gauche au mur. Devant, la « baleine » de Jean-Pierre Pincemin.
 
T : Donc il est juste là, pour faire la continuité, mais en fait l’expo elle démarre là [face à nous, comme sur la photo ci-dessus]. Et puis Dilworth, que personne ne connaît, enfin pas beaucoup de monde. Oui, oui oui. C’est beau ce qu’il fait! C’est beau hein? Et alors, tu vois cette pièce au sol? En fait c’est, à partir d’un rectangle, il prend une feuille de papier, et à partir du centre il fait des divisions, et il coupe, et il les redistribue, il les redéploie dans l’espace 
 
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Trois oeuvres de Norman Dilworth : Au premier plan,  “Octagon”, 2009, acier Corten, 400 x 400 cm. Au mur: “9 Cut Corners”, 2008, acier Corten et peinture, 217 x 217 cm. À droite, “4 x 2,5”, 2010, acier Corten, 120 x 118 x 108 cm.

— […] Et puis c’est pareil, [pointant vers un tableau de François Rouan] on retrouve le quadrillage… Donc ça c’est une peinture récente:
 
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François Rouan, “Trotteuse VIII”, 2011-2013, peinture à l’huile sur toiles tressées, 180 x 149 cm.
 
— Entre les deux, la plus récente est de l’autre côté. Mais on garde toujours son système de tressages.
M : Ça n’a pas dû être facile de choisir les oeuvres, si?
T: J’ai mis six mois. 
M : Six mois pour choisir?
T: Eh bien! il faut savoir ce qui est disponible, parce que moi je voulais le tressage qui est de l’autre côté, de François, qui est des années 70. Il en a très peu maintenant, François. Et c’est très dur d’emprunter aux musées, parce que ce lieu n’étant pas connu, et pas chauffé. Et donc les artistes je les connais tous. Donc je leur demandais ce qu’ils pouvaient me prêter ou pas. Donc le tressage bleu, il n’en avait plus, François. 
M : [Rires]
T: Donc on est parti sur une autre gamme. Mais les trois toiles appartiennent à Rouan. C’est un prêt. [Nous avançons, et nous retrouvons de l’autre côté de Trotteuse VIII, et faisons face à Mauverose et vert
 
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 François Rouan, Mauverose et vert, 1969-1970, peinture à la colle sur toiles tressées, 202 x 150.
 
T: Je trouve qu’il y a un côté archaïque et très moderne. Comment il reconstitue… 
M : Ça tourne la tête un peu, hein?
T: Oui, parce que nous sommes un peu près. [La trame de Rouan, vue de près, a un effet de désorientation.] [Nous nous reculons.] On a envie de toucher aussi… Et ça [pointant vers notre droite], c’est un tableau récent,voilà, mais qui reste pareil, dans son sujet toujours avec cette structure, de trame… où il passe dessous, dessus. Mais il y a toujours la présence de la trame.
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François Rouan, “Trotteuse X”, dyptique, 2011-2013, peinture à l’huile sur toiles tressées, 175 x 293 cm.
 
— Et c’est pour ça que j’ai mis cette sculpture de Dietman
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Erik Dietman, “Paysage normand”, sans date, bronze, fer, 150 x 187 x 105.
 
— qui est une architecture trouée; qui est un paysage en fait. 
M : Oui, paysage normand, c’est ça? Et donc pourquoi tu l’as mise là, du coup, pour faire un écho avec Rouan?
T: Oui, parce que je trouvais, que, voilà il part d’un plan… on peut dire qu’elle est aussi biface, mais elle est plane, et puis elle s’est érodée avec le temps, mais il y a quand même un système; hein? C’est comme un carré au départ. Voilà, et comme le Martin Barré [que nous voyons sur la photo ci-dessus, au fond au mur, et dont nous nous rapprochons]: Donc ça c’est la période des années 70, voilà où il y a ce système de traits, comme des dessins d’architecte, qu’il efface, et puis il y a des recouvrements avec des blancs, et puis on voit, dans le rapprochement, toute la définition qui revient. Donc ça c’est du crayon.
M : Ça tient bien!
T: Oui elle est belle hein?
M : Oui
 
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Martin Barré, “75-76F”, 1974-1975, acrylique sur toile (détail).
 
T: Donc là il n’y pas d’enduit. Il y a beaucoup de couches de peinture, de transparence, mais elle pouvait supporter d’être dans la nef, pas chauffée. 
M : Oui parce que là ils vont commencer à avoir froid…
T: Ça se termine dimanche.
M : C’est pour ça que ça se termine, à cause de la météo?
T: Elle a démarré le 19 mars … Et donc après je repars avec les palissades de Pincemin pareil hein?  il y a toujours une base géométrique, enfin la façon dont il a peint, la géométrie disparaît. Et je les ai associées avec ces sculptures que je trouve extraordinaires. Ces petites planches… Donc il allait dans les décharges, prendre des meubles, qu’il découpait, et… d’ailleurs c’est  moi qui l’avait 
 
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Jean-Pierre Pincemin, “Sans titre”, 1974, techniques mixtes sur toile libre, 230 x 355 cm. 
 
— appelé « la baleine ». Et elle a gardé ce nom là. Donc il y a une structure en métal, soudée, dans laquelle il met du polystyrène expansé,
 
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Jean-Pierre Pincemin, “la baleine”, 1988-89, assemblage de bois, 11à x 360 x 130 cm.
 
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“la baleine” (détail).
 
— pour garder la rigidité, et le recouvrement, en fait, c’est comme des petites lattes, voilà qu’il assemble…
M : C’est beau, c’est rigolo. 
T: C’est magnifique. Donc même avec les tressages de Rouan, il y a un écho, il y a quelque chose. Et Viallat pareil!
 
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De gauche à droites, deux tableaux de Claude Viallat: “Draps 03”, 1990-2000, acrylique sur toile, 400 x 200 cm; et “2012-59”, 2012, acrylique sur toile et assemblage de bâches, 400 x 290 cm.

— C’est toujours hein… il y a une géométrie quelque part dans la répétition des éponges, qui disparaît avec la façon de le peindre et de coudre ces toiles. Et là, on pouvait mettre des grands formats de Claude. Parce qu’on a quand même six mètres sous plafond.
M : Donc ce sont des éponges…  
T: Oui, au départ c’est comme un pochoir. Donc ça, Viallat, c’est son système qu’il met au point dans les années 60… Et ça c’est ce que je découvre à Paris: Support-Surface. 
M : Oui, parce que, tu ne t’es pas arrêtée à Barré, tu as rencontré d’autres peintres…
T: Ben, ça c’est une génération qui a trente ans de plus que moi. Oui, à Paris, Support-Surface, c’était Le grand mouvement… qui a été le dernier d’ailleurs… Enfin il y a eu “Janapa” avec Bonnefoi2, mais ça reste un mouvement très connu. [Nous avançons] Alors après je réintroduis la figure, et la figuration, mais avant Jan Voss, c’est pareil, je voulais faire écho avec les sculptures de Pincemin, parce que, il a des tableaux sculptures, bas-reliefs, où il y a tout un système d’assemblages, donc le procédé est très différent, parce que c’est posé et assemblé, et il n’y a plus du tout de géométrie, mais l’assemblage est très libre, mais on retrouve les structures architecturales aussi avec les portes, pour porter ces sculptures. Et l’“escalier » de Pincemin que j’ai mis
M : qui fait un écho…
T: Voilà, un petit écho. [Après les sculptures de Jan Voss, et celle de Pincemin, nous faisons face à un tableau de Jan Voss]. C’est un tableau récent de 2015. Donc là il réintroduit la figure,
 
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Jan Voss, “Empire des rêves”, 2015, acrylique et collage sur toile, 205 x 290 cm.
 
— donc c’est comme ça après je réintroduis Dietman, avec Le Frère de Dieu 
 
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Erik Dietman, “Le Frère de Dieu”, 2002, bronze, 313 x 110 X 130 (au fond, L’ours
 
— et L’ours, qui est un biface, comme les Bonnefoi.
 
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Erik Dietman, “L’ours”, 2001, fonte de fer, 150 x 200 x 130 cm.
 
M : D’accord… [nous marchons] Ah ils sont étonnants ces Bonnefoi là.
T: Oui oui. Et alors selon la lumière on ne voit pas la même chose. Dans la journée, le matin, c’est très différent.
 
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Christian Bonnefoi, (à gauche): “Bi-face I”, 2013, acrylique sur trévira, 280 x 240 cm et (à droite) “Bi-Face II”, 2013, acrylique sur trévira, 280 x 240 cm. 

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Christian Bonnefoi, “Bi-face II”, 2013, acrylique sur trévira, 280 x 240 cm.
 
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Christian Bonnefoy, “Bi-face I”, (détail). 
 
— ça prend la lumière, ça bouge beaucoup… Et là il y a un Bonnefoi du FRAC. […] Il fallait que pour tous les artistes j’aie une toile ancienne […]
M : Pour faire une idée de parcours… de…
T: Oui, pour montrer comment cette période est, enfin pour moi très importante. Ce sont de grands artistes. [Après quelques digressions sur le monde de l’art, Sylvie Turpin nous  dit, à 15:51 qu’il y a un problème, en France, de monstration des artistes par rapport à leur nombre et qualité]: Il y a tellement d’artistes exceptionnels, qui ne montrent pas…
M : Ah oui?
T: Oui, c’est énorme. C’est énorme. Parce qu’on n’a pas de lieu vraiment en France, donc on montre les artistes connus, Français, mais, au fond, toute la scène française, elle n’est pas connue…
M : Ah oui?
T:  Ben c’était un peu le projet du Palais de Tokyo, que montait [Olivier] Kaeppelin, voilà, et quand il a démissionné… d’ailleurs j’avais fait une pétition, pendant quatre mois.
M : Ah bon?
T : Oui oui, on était quatre mille, même Catherine Millet avait fait un article dans Libération3, « un ministre sans signature » [titre du texte de Millet].
: Mais une pétition pourquoi?
TBen pour que ce lieu, enfin, accueille […] des gens qui ont quarante ans de boulot et qui n’exposent jamais. [C’est certainement encore un paradoxe français, que d’avoir une scène artistique très dense et de ne pas être capable de reconnaître les oeuvres, dans le sens temporel. De ce point de vue, l’entretien reproduit dans le catalogue de l’exposition “Oeuvre aux singuliers” dit bien cette situation très étrange sur ce pays, le nôtre, qui ne veut pas, ou ne sait pas, reconnaître ses artistes (voir les pages 8 et 12, quand C. Bonnefoi relate son expérience américaine…] 
[À 17:00 j’ai demandé à S. Turpin de bien vouloir me parler des tableaux de Bonnefoi]: Donc ce sont des toiles translucides, transparentes 
: Oui
T : Et la transparence, il a toujours utilisé ça, dès les années 70, puisqu’il travaillait avec des papiers de soie. D’ailleurs son départ, c’est un travail aussi à partir d’un système géométrique, et petit à petit les formes se déploient mais il y a toujours une structure très ancrée, d’abord dans le châssis, et c’est le châssis qui disparaît en fait.
: Oui, c’est ça, il y a un côté presque un peu magique, quoi, une apparition un peu suspendue comme ça…
T : Oui
: dans le vide presque… Donc en fait c’est du plexi, non?
T : Non, pas du tout, c’est du trévira, c’est une toile nylon
: Ah! C’est une toile nylon?
T : Oui. […] Et celle-là [Turpin pointe vers “Bi-face I”] par contre elle est complètement transparente cette toile. Oui, c’est une nouvelle toile, qui est fabriquée en Allemagne.
: C’est récent,
T : C’est de cet été, puisqu’après l’inondation, la première toile qu’il avait faite, elle a été détruite… 
: Oh! Oh la vache!
T : Ça s’est couché, la structure s’est couchée, et ils n’ont pas réussi à le relever. Parce qu’ils ont tout sauvé hein! Le régisseur, ça a été extraordinaire… Il y avait quand même 53cm d’eau ici. Tu vois la ligne là-bas, sur la porte en bois? 
: Oui. 
T : Voilà. Tout ça c’était plein d’eau. 
: Aïe aïe aïe! 
T : Ils étaient en barque. … Six mois en barque. […] [Après la toile perdue, C. Bonnefoi a refait une toile entièrement nouvelle, donc ‘Bi-face 1”, et S. Turpin désigne ce qu’elle y voit au centre, à 19:35]: D’ailleurs, tu as vu hein? Il y a un dragon là hein? 
: Oui. Un dragon qui prévient qu’il ne faut pas toucher à la toile.
T : Donc il va avec l’ours [i.e. de Dietman] du coup ! […]
: [Face à “Bi-Face I]: C’est un super concept quoi, la toile qui disparaît… 
T : Ah oui oui… Oui, on est comme au cinéma, ça s’anime, et selon la lumière on ne voit jamais le même tableau.
: Et c’est aussi étudié pour qu’on voit l’envers aussi?
T : Oui. Ah ben oui, « bi-face »
: Et oui, justement! Et on ne voit pas la même chose.
T : Il y a des beaux gestes… Oui c’est beau.
 
le-dragon Le « dragon », de Bonnefoi (détail Bi-face I).
 
 
Une remarque.
Le site des Tanneries est un site exceptionnel. Mais on peut être frappé par les contrastes qu’il renvoie. Dans les entretiens avec Eric Degoutte avec de Sylvie Turpin, nous comprenons que le site est, en partie, rude: Il est sujet à inondations (une oeuvre de Bonnefoi détruite), et la Galerie Basse n’est pas chauffée (ce qui, nous l’apprenons dans l’entretien avec Turpin, rend évidemment réticents les musées à prêter des oeuvres). Il faut ajouter à cela la Verrière, qui est aussi un lieu hostile, quand bien même lumineux. La Galerie Haute, elle, est chauffée ; elle est ‘cosy’ par rapport au reste du bâtiment. Une fois que nous avons rappelé ces données, on peut s’interroger sur la nature paradoxale du lieu. Si nous ne pouvons que saluer l’existence d’un Centre d’Art Contemporain en Région Centre, il faut bien reconnaître qu’en son sein réside ce paradoxe thermique et environnemental, finalement, d’un lieu en partie insécure pour les oeuvres d’art. Y aura-t-il des aménagements ? Que va devenir la Galerie Basse? (On se rappelle que la “salle Martin Barré” va accueillir des résidences d’artistes, et on ne saurait supposer qu’ils viendront oeuvrer en cuissardes ou en vêtements d’alpinistes…). Ces questions, et d’autres, posent le problème du devenir. Ce magnifique lieu doit connaître un devenir égal. 
 
  1. Rosalind Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Paris, Macula, 1993.
  2. Concernant le groupe Janapa, voir le lien suivant: http://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1980_num_62_245_3701#rnord_0035 2624_1980_num_62_245_T1_0491_0000.
  3. Ce que mentionne ici S. Turpin soulève tout un pan de l’histoire de l’art contemporain en France dans ce qu’il a de plus actuel, et on trouvera la pétition de Turpin (avec son impressionnante liste de signataires) ici:  http://www.sud-culture.org/expressions/IMG/pdf_2011_05_Petition_nouveau_scandale_le_Palais_de_Tokyo.pdf


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