L’artiste, critique d’art et collectionneur Walter Robinson a promu l’expression ‘Zombie formalism’. De quoi s’agit-il ? Au départ, il s’agit de rappeler qu’il existe depuis longtemps, dans le marché de l’art, des petits malins, qui savent reproduire les Dollars comme les lapins, en proposant des œuvres d’art qui sont des espèces de simili-œuvres, finalement ; ça ressemble à de l’art, mais ce n’en est pas, et ça fait écho, souvent, à des traditions mortes, ou déjà anciennes ; d’où cette expression de Formalisme Zombi : faire revivre de l’art mort. Et maintenant, je vous propose de lire ma traduction de l’article de Walter Robinson, “Flipping and the Rise of Zombie Formalism”, paru le 03 avril 2014, sur le site Artspace :
« Ce qui a réellement emporté tout le commerce [‘business’] c’est comment les artistes faibles sont quand on en vient au marché et à ses machinations. [Robinson mentionne l’« entrepreneur culturel Stefan Simchowit » (infos ici).] Simchowit serait l’un de ces excellents dealers, capables de lancer des “mouvements” artistiques, comme s’ils étaient naturels, spontanés — l’émergence de réels talents —, alors qu’ils sont fabriqués, disons, “ingéniés” [1537, ingénieur, d’après ingénier, du lat. ingenium : intelligence, talent, génie] par de très bons marchands d’art. [Robinson rappelle, pour exemple] la galerie d’art de Charles Saatchi, qui a inventé un mouvement entier dans les années 90, et Mary Boone qui avait eu la formule magique dans les années 80. Larry Gagosian est assis au centre de son propre système solaire, tout comme les autres vendeurs d’art dans le monde. Les musées, les écoles d’art, et les magasines d’art sont aussi des centres de pouvoir à leurs façons, tout comme la nouvelle communauté digitale.
Et c’est triste à dire, mais la notion qu’il y a un art authentique, pur, sincère, et un art profond qui peut être mis en opposition à un art compromis, mercenaire, malhonnête et superficiel, ne sont que des niaiseries romantiques. En 40 ans, j’ai rencontré plein de ces artistes irrévérencieux, mais aucun d’eux n’a pensé, en premier lieu et avant tout, qu’il entretenait une arnaque.
Ce n’est pas dénier la question que l’argent parle, comme les gens disent. La question que nous devrions poser, pourtant, est : “Qu’est-ce que ça dit ?”
Une chose que j’entends, haut et clair, ces jours-ci, c’est le refrain d’un style d’art que j’aime à appeler Formalisme Zombie. “Formalisme”, parce que cet art implique une méthode de peinture directe, réductive, essentialiste (oui, je l’admets, je bloque sur la peinture), et “Zombi” parce que cela rejoint l’esthétique rejetée de Clement Greenberg, l’homme qui défendit Jackson Pollock, Morris Louis, et les ‘black paintings’ de Frank Stella, parmi d’autres choses.
Ai-je besoin de prouver que l’abstraction formaliste est un cadavre ambulant [‘walking corpse’]? Une citation du livre de Florence Rubenfeld Clement Greenberg: A Life, fera-t-elle l’affaire ? “À la fin des années 1970, le ‘Clembashing’ était devenu le sport en salles favori du monde de l’art.” Le rejet du ‘Greenbergianisme’ était absolument central à la conservation de l’art de SoHo dans ces jours pré-Chelsea. Et, quand, dans les années 80, a débuté, en une décade, un double focus sur le Néo-expressionnisme et la photographie postmoderne, Greenberg laissa tomber tout débat.
Ses principes esthétiques persistent, ceci dit. Deux exemples notables de Formalisme Zombi seraient les monochromes en argent galvano-plastés de Jacob Kassay (né en 1984) et les ‘Rain Paintings’ de Lucian Smith (né en 1989), tout deux récents favoris des ‘art flippers’ [voire Note en bas d’article]. (Le record de Kassay aux enchères est $317,000, atteint l’automne dernier chez Phillips, à New York, et le prix élevé pour une ‘Rain painting’ est $372,000, établi juste il y a deux mois à Sotheby, Londres.)
Avec leur manufacture simple et directe, ces œuvres d’art sont élégantes et élémentaires, et on peut dire qu’elles disent quelque chose au sujet de ce qu’est la peinture — à-propos de son ontologie, si vous pensez à l’abstraction comme à une franchise philosophique. Comme une façon de parler ou, peut-être, comme une blague, cette sorte de peinture est facile à comprendre, et cependant suggérant plusieurs sens. (Les peintures de Kassay, par exemple, sont ostensiblement faites d’argent, un métal de valeur qui invoque un système de valeur non artistique, séparé, non étranger aux icônes religieuses médiévales, qui était prisées à la fois pour leurs sujets dévotionnels et pour la quantité d’or qu’elles contenaient.) Finalement, ces images ont toutes certaines qualités — une étrangeté chic, un drame mystérieux, un calme méditatif — cela fonctionne bien avec le domaine haut de gamme, hyper-contemporain du design d’intérieur.
Un autre élément important du Formalisme Zombi c’est ce qu’il me plaît de penser en tant que simulacre d’originalité. Rétrospectivement, en histoire de l’art, l’importance esthétique est mesurée par la nouveauté, par l’artiste faisant quelque chose qui n’a jamais été fait avant. Dans notre âge postmoderniste, l’originalité “réelle” peut être trouvée seulement dans le passé, ainsi nous en avons aujourd’hui seulement l’écho. Reste que l’idée de l’unique demeure une vertu première. Ainsi, le Formalisme Zombi nous donne une série de repères artificiels, telle que la première peinture jamais faite avec un processus électro-plastique (Kassay), et la première peinture jamais faite en utilisant de la peinture appliquée avec un extincteur (Smith).
Je confesse une certaine préférence pour l’idée, longtemps revendiquée en tant que peintre figuratif ayant débuté en 1984, de la première peinture d’un nu se passant du fil dentaire dans les dents.
En tout cas, comme les créatures du même nom, le Formalisme Zombi surgit partout. Je le vois dans les ‘Ain’tings’, un show de 16 artistes relativement inconnus à la nouvelle Robert Blumenthal Gallery, au 1045 Madison Avenue. Ryan Steadman, l’artiste qui a organisé ‘Ain’tings’, écrit à-propos de “la matérialité” des œuvres, qui néanmoins ont abandonné les “conventions de la peinture”, et d’autres mediums traditionnels. Moi, je me demande juste pourquoi cela a pris si longtemps pour que quelqu’un vienne avec l’idée des deux termes trop spirituels “ainting”.
Le show inclue un panneau de bois couvert de bardeaux de cèdre noir, d’Aaron Aujila (née en 1986); un monochrome vertical dont la surface est marquée de trous circulaires, qui s’avèrent être des intérieurs de bouchons en plastique de bombes de peintures, par Dylan Bailey (1985); et un monochrome fantomatique carré dont la surface est faite de rangées horizontales de bandage adhésif, translucides mais renforcées avec de la corde blanche, par Chris Duncan (né en 1974).
Bien qu’apparemment aucun de ces artistes ne soit sur la liste de Simchowitz (dont les prix s’étalent entre $2,500 et $12,000, et dont plusieurs des œuvres sont vendues), le show présente une concentration des intérêts du monde de l’art. Parmi les signes : Plusieurs des artistes ont de longues listes d’attente ; plusieurs sont représentés par des joueurs sérieux du monde de l’art ou ont reçu récemment des show bien accueillis dans des jeunes galeries hip ; l’une est la Whitney Biennal ; qui a reçu un grand compte-rendu dans le New York Times ; certain d’entre eux sont d’anciens assistants d’artistes qui sont maintenant les chères propriétés du marché de l’art.
Est-ce qu’ici quoi que ce soit vous fait bouillir le sang ? Eh bien, la passion peut être une bonne chose pour le marché de l’art. Juste, ne le laissez pas vous empêcher de rejoindre le côté gagnant.»
Note. «…art flippers, ces marchands-collectionneurs qui achètent en bloc, compulsivement, parfois même tout l’atelier d’un jeune artiste dont ils anticipent le potentiel, pour le revendre aussitôt, via Instagram et les réseaux sociaux et à grand renfort de marketing viral, à des acheteurs pressés (start-upeurs, nouvelles fortunes high-tech…) attirés par un art qui leur ressemble. Très actifs sur le marché, ces “art flippers” poussent les œuvres à la hausse et contribuent à la formation d’une bulle ». Jean-Gabriel Fredet, journaliste, entretien dans le journal Le Temps (ici).
Traduit et agrémenté par Léon Mychkine