Sur une image de Yan Morvan (1954/2024). Hommage

 

Yan Morvan, “La guerre des camps”, 1985 : « les quartiers palestiniens de Burj El-Barajneh, Sabra et Chatila sont détruits par les forces du Mouvement chiite Amal soutenues par l’Iran, voulant éradiquer la présence armée palestinienne du Liban” (légende de Morvan, journal Le Monde, 20 novembre 2018).   

Les photographies de conflit sont souvent spectaculaires, parfois répétitives (pardon de le dire), mais rares sont celles qui sont stupéfiantes (Tim Page, James Nachtwey, Patrick Chauvel, et tant d’autres).  Celle de Morvan l’est. Mais davantage que stupéfiante, elle est saisissante. Une scène de chaos, la guerre, une épave de Mercedes, des gravats, un enfant en slip et chaussé d’on ne sait quel assemblage (moitié chaussure moitié chaussettes ?) et, dans un recoin, cet homme au visage couvert d’un tissu jaune, portant un chapeau de paille crasseux trop petit et surtout, tenant entre ses doigts, comme s’il attendait de reprendre sa lecture, l’index dans un livre — avec photographies ? Tandis que l’enfant semble narguer celui ou ceux qui sont de l’autre côté de l’image, imitant par le geste quelque chose ? L’homme recouvert du foulard semble tétanisé. On le dirait, comparativement à la scène, dans une autre dimension. C’est un extraordinaire cliché, tant il y a deux scènes dans un seul cadrage, deux scènes avec chacune leur rythme propre. Et c’est pourtant la même scène, dans un seul et même cadrage, avec deux temporalités, ce qui est assez rare, à ce qu’il me semble, mais je n’ai pas dans la tête toutes les photographies de reportage de guerre. Ce petit garçon, et cet homme sans visage, que sont-ils devenus ? Et pourquoi est-il envisagé de tissu ? Pour ne pas être reconnu ? A-t-il essayé de fuir ? Est-il acculé ? S’enfonce-t-il dans le mur comme s’il voulait y disparaître ? Attend-il quelque chose ? Mais l’on se pose autant de questions sur le garçon. Que fait-il ? Que dit-il ? Tout à coup, je constate que la position de ces bras s’explique par le fait qu’il tient un fil de fer, dont il semble montrer la longueur à un tiers. Mais pourquoi ? Pourquoi faire ? À quoi pourrait servir un fil de fer dans ce chaos où tout semble détruit (on note qu’on a commencé à empiler des gravas dans un bidon). Généralement, les photographies de reportage de guerre ne sont pas mystérieuses ; celle-ci l’est. Et voyez comme le jaune du tissu contraste avec le gris dominant. Tout à coup, je me dis que l’homme est mis en joue, et qu’il est (peut-être) sur le point d’être exécuté. Après tout, il n’a pas l’air de voir grand-chose à travers ne serait-ce que la déchirure vers le niveau de l’œil gauche. Et l’on se souvient que c’est aussi une tradition militaire que de bander les yeux à ceux que l’on va mettre à mort. 

Peloton d’exécution, armée française, Première Guerre Mondiale

Et là, si c’est le cas, pourquoi ne pas, comme cela, par pur plaisir ou dans le feu de l’action, shooter le photographe ? Quel métier plus fou, dangereux et sublime, que reporter de guerre ?

LM