Un tableau de Francisco José de Goya y Lucientes, et des questions

Pour P.S, S.M, et C.N

 

 

Francisco Goya, ‘Garçon sur un bélier’ (El niño del carnero), 1786-87, huile sur toile, 1,272 x 1,121 mm, Art Institute of Chicago

 

Quand j’étais enfant, ma mère, que je ne voyais que sporadiquement, m’avait offert le poster d’une reproduction d’un Arlequin, de Picasso (plus exactement, « Paul en Arlequin », 1924)

 

Je l’avais fixé au mur, face à mon lit, à gauche de la fenêtre, et je le regardais. J’ai gardé très longtemps ce poster. Et maintenant, des décennies passées, je me demande ce qu’il est devenu. J’ai envie de le retrouver. Mais je sais qu’il est perdu ; à jamais. Eh bien !, cette reproduction de Goya me fait un effet similaire. Là, depuis des heures, oui, c’est vrai, je me demande d’où vient la lumière chez Goya, et, plus précisément, dans ce tableau ? Nous sommes en 1786. À cette date, ou époque, qui peint comme cela ? Bien sûr, à travers cette interrogation, on sent percer la question de l’origine : à quel moment la peinture devient-elle moderne ? Difficile question, ou problème ; que je postpone, pour le moment. Concentrons-nous, si possible, sur cette image, pâle reflet du tableau. D’abord, le paysage. Complètement hallucinant. Oui, mais on dira, avant, « il y a eu El Greco », et il est vrai qu’en matière de lumière (luz), El Greco a ouvert les vannes. Oui. Mais, je dois le dire, il y a quelque chose qui me met mal à l’aise chez le Greco ; et puis, franchement, je trouve qu’ici et là, il commet des erreurs de traitement, entre les masses, et le détaché, comme disait Pernety. Mais je suis en train de traiter de Goya, donc tout va bien. De fait, j’y reviens. Et je disais : la lumière. Regardez le paysage environnant el niño ; c’est un paysage que je qualifie d’impossible. Non pas impossible en fonction de sa topologie, mais de sa répartition lumineuse, et des masses réelles. Nous sommes dans la fiction, certes permise par le Greco. La grande différence, à mon sens, c’est que chez le Greco, les ruptures chromatiques sont liées à un profond malaise, quelque chose de psychologique, disons, même, de pathologique ; tandis que, chez Goya, c’est la joie. Or, vu mon ressenti, il est impossible que j’aie recours à ce terme (joie), pour qualifier la peinture d’El Greco. Donc, regardez ce ciel, et, aussi, à gauche, remontez le flanc du remblai. Tout à coup, on passe du gris olive au bleu turquoise et turquoise pastel, dans la même masse ; comme si du ciel liquide coulait sur le contrefort… Déjà, rien que cela, c’est étonnant. C’est étonnant parce que nous sommes hors-réalisme. Mais on dira, peut-être : Il s’agit d’une chute d’eau, qui se trouve derrière, et plus loin. Peut-être. Mais non (je ne le pense pas). L’effet est très curieux, et renforce la grande luminosité du tableau. Mais observons de plus près.

 

Qu’est-ce que c’est ? Le cerveau, qui possède une capacité naturelle à abstraire, va conclure — afin de permettre la formulation d’une pensée sémantisée : « feuillage ». Oui. En 2020, on peut dire aussi : « touches de pinceau, pures et simples ». Moi, j’appelle cela un fantôme de feuillage, avec un fantôme de branche principale, entre les deux lignes noires ci-dessous (pardon Francisco José !) :

Un lit de couleur (généralement en bas), agrémenté de touches de pinceau. Je trouve cela très moderne, très contemporain. À un point tel que je suppute que ce tableau pourrait très bien dater de notre époque. Je pense même que certains peintres contemporains pourraient en être les auteurs, tant, finalement, la facture est moderne. Et pourtant, nous sommes là en 1786… Passons à ce jeune garçon. Il est déguisé, et monte un bélier. Apparemment, le bélier est habitué, puisque le garçon tient en main des rênes rudimentaires faites d’une cordelette enroulée autour des cornes. Et on peut bien sûr ajouter à cela la badine, tenue haute, afin de mener la bête. Ensuite, ce visage… Je dois ici être influencé par un article en chantier portant sur Musée National, un projet de Marc Lathuillière, dans lequel tous les personnages principaux de ses photographies portent un même masque, fourni par l’artiste. Or, regardant ce garçon, m’est venue la supputation qu’il arborait un masque. Mais pourquoi pas, puisqu’il est déguisé ? Je trouve en effet que son visage est un peu disproportionné par rapport à son corps, et, surtout, que dire de ces énormes yeux ? Et regardez un peu les contours même… C’est louche.

Je trouve très épaisse cette peau autour des globes… Pas vous ? Et puis, où sont donc les cils et sourcils de ce garçon ? Mais, du coup, l’occasion de ce questionnement (masque ou visage) ne pourrait-elle poser la question du masquage, soit, de la peinture ? Tout ce tableau ne serait-il pas, aussi, une démonstration de la “recouvrance” de la peinture, ou, plutôt, du recouvrement de la peinture. Goya peint un garçon dans la nature, montant un bélier, portant un masque. Mais puisque ce visage est alors fictif, le reste ne le serait-il pas ?

Pour le plaisir du geste, la joie et la douceur, le “ressemblant” et le dire pur du pinceau. À partir de ci-dessous, tout est suggéré.

 

Léon Mychkine

 


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