Van Gogh et les Pokémon !

Les lecteurs fidèlent le savent, je ne goutte guère Van Gogh, et ne comprends toujours pas ce qu’on trouve de tellement génial à sa peinture. Toutefois, comme tout artiste sincère qui a connu son lot de souffrances et d’incompréhension dans un monde qui, dans sa plus grande envergure, n’accorde de crédit aux “dérangés” et aux “neuro-atypiques” artistes et écrivains, qu’un intérêt et/ou une fascination toujours que posthume (ni Derrida ni Deleuze n’eussent passé même une demi-journée avec Antonin Artaud), j’estime qu’il est nécessaire de laver l’honneur, si tant est que cela soit même possible en rêve, du cher Vincent. Figure-toi, lecteur, que, par une concordance des planètes hallucinogènes, le Musée Van Gogh d’Amsterdam, pour fêter dignement ses 50 années d’existence, a eu l’idée très honorable d’une exposition Van Gogh/Pokémon, plutôt, “Pokémon x Van Gogh Museum”:         

Le motif, assez profond, de l’exposition, s’énonce ainsi : 

« Le 27 septembre 2023, l’événement de lancement officiel a eu lieu au musée en présence de membres de la presse, d’influenceurs et du personnel du musée. Du 28 septembre 2023 au 7 janvier 2024, les enfants ont pu profiter de diverses activités sur le thème de Pokémon au musée. 

Le partenariat était basé sur le lien commun avec l’art et la culture japonaise : Pokémon est une icône de la culture pop japonaise, et les estampes japonaises ont été une source d’inspiration importante pour Vincent van Gogh.» (Dixit le site Internet du Musée).

L’événement fut tant attendu, il y eut tellement de monde, que cela engendra des émeutes, et des licenciements. Tout le monde voulait acquérir sa carte Pokémon(déma)Gogh ! Comme nous l’apprend un article d’ARTnews

« Quatre employés suspendus par le musée Van Gogh pour inconduite liée aux Pokémon

Quatre employés ont été suspendus par le musée Van Gogh d’Amsterdam à la mi-décembre pour avoir eu un comportement inapproprié lors de l’exposition Pokémon de l’institution, ont rapporté plusieurs employés au journal néerlandais Parool.

Les employés auraient fourni aux visiteurs potentiels des informations privilégiées sur la manière d’obtenir des billets limités pour l’exposition Pokémon. Un employé aurait même détourné une boîte de cartes Pokémon produites pour l’exposition.

L’exposition collaborative Van Gogh Pokémon présentait six peintures de Pokémon dans le style célèbre de l’artiste néerlandais. Des cartes à jouer représentant Pikachu à la manière d’un autoportrait de Van Gogh étaient disponibles à l’achat au musée. Initialement destinées à attirer un public plus jeune, ces cartes ont fini par provoquer des émeutes qui ont mis fin à leur distribution dès le début. (Malgré les informations selon lesquelles les cartes reviendraient finalement, le Musée a déclaré qu’elles ne reviendraient pas).

L’identité des employés suspendus n’est pas claire, mais l’un d’entre eux aurait travaillé au musée pendant 25 ans.

Les sources de Parool ont demandé à rester anonymes parce qu’elles travaillent toujours au musée. Le musée Van Gogh n’a pas répondu à la demande de commentaire d’ARTnews.

L’exposition a fermé ses portes le 7 janvier.» 

Je suppose que Van Gogh n’a pas d’héritier, car j’ose imaginer que si tel était le cas, il se serait opposé à cette opération lamentable, voire proprement honteuse. Rappelons que les cartes Pokémon, c’est un jeu, qui aura enflammé des centaines de millions d’enfants, et d’adultes, et ça continue. À l’inverse, peut-on dire que Van Gogh s’amusait bien avec ses pinceaux à peindre et à gambader dans la campagne, chevalet sous le bras ? Non. Van Gogh ne s’amusait pas ; mais il mettait, chaque jour, sa vie en jeu, au service de son art, vis-à-vis duquel on ne peut que prêter le plus profond respect. D’ailleurs, mettre sa vie en jeu, ce n’est pas jouer, c’est littéralement survivre chaque heure du jour, et, éventuellement, en mourir. Il est bien évident qu’il existe, depuis des décennies, des produits dérivés, tous ornés, sérigraphiés, floqués, d’une image, d’un tableau, de Van Gogh. Soit. Et ce, dès la boutique du Musée (des images insoutenables). Mais accrocher un “Pokémon à la Van Gogh” à côté d’un tableau de Van Gogh, c’est quelque chose de… triste et choquant. Cependant, nous sommes très intéressés d’apprendre, comme nous l’indique le Musée Van Gogh, que les artistes Naoyo Kimura, sowsow, et Tomokazu Komiya ont « réalisé des peintures de Pokémon inspirées d’œuvres célèbres de Vincent van Gogh, comme Pikachu inspiré de l’“Autoportrait” au chapeau de feutre gris, Munchlax et Snorlax inspirés de “La chambre à coucher”, et Sunflora inspiré des “Tournesols”», mais, en quelque sorte, Quel est le rapport ? Qu’est-ce qui justifie cet accrochage ? On connaît, bien évidemment, dans les histoires de l’art, des hommages, de tel peintre à tel autre (Manet envers Titien, Noland vers Cézanne, etc.), mais là, soyons sérieux, le motif est purement commercial ; il s’agit de vendre un maximum d’entrées, et bien sûr, de cartes “Pokémon-Van Gogh”, au détriment de quelque ferveur artistique que ce soit. Se rend-on compte ? Une image, peut-être ?  

En sus d’être affligeant, c’est d’une niaiserie abyssale. Tout bonnement innommable. Comment peut-on proposer une telle exposition ? Rien que ces deux illustrations devraient interroger n’importe quel amateur (à tout le moins), d’art. On peut regarder longtemps le tableau de Van Gogh, et tenter de comprendre ce que signifie cette espèce  de concentricité formelle, centripète ou centrifuge, au cœur de la dynamique, par exemple, mais que voulez-vous ressentir, voire, interroger, dans Pikachu ? Absolument rien. Il ne s’agit donc pas, on s’en doutait, d’une proposition artistique. Mais, d’un autre côté, on n’ose imaginer le discours, adressé aux parents et à leurs enfants : Regardez comme c’est facile et bête comme chou de faire de l’art !

Photo Musée Van Gogh, Amsterdam

Les enfants ne sont pas à blâmer, ce serait plutôt les parents… Mais le Musée Van Gogh a aussi un argument pour les fins connaisseurs : « Pokémon est une icône de la culture pop japonaise, et les estampes japonaises ont été une source d’inspiration importante pour Vincent van Gogh.» Si vous trouvez une suite logique dans cette phrase, je vous félicite. Que Van Gogh ait apprécié les estampes, quelques œuvres en témoignent (notamment “La Courtisane” 1887, assez épouvantable); mais Pikachu ? C’est de l’estampe traditionnelle ? Bref. Tentons de sauver le soldat Van Gogh :

Vincent van Gogh, “Autoportrait au chapeau de feutre gris”, Paris, septembre-octobre 1887, huile sur coton, 44,5 x 37,2 cm, Musée Van Gogh, Amsterdam (Fondation Vincent van Gogh)

En 1887, chez Van Gogh, apparaissent les touches non-fondues, façon épis, pour dépicter quoi que ce soit, par exemple, mais non systématiquement après (loin s’en faut), dans “Portrait d’Alexandre Reid, assis dans un fauteuil”; personnage, tissus, décor. La même année, il aura peint de nombreux autoportraits, mais celui “au chapeau de feutre gris” semble le premier (sauf erreur) à dépicter quasi totalement de manière circulaire, que l’on retrouvera, d’une manière encore plus hallucinée, dans la fameuse “Nuit étoilée” (1889). Il faut prendre l’adjectif “halluciné” avec des pincettes, car, de nos jours, tout est hallucinant : « Augmentation des frais des députés : “C’est hallucinant”, selon Alba Ventura.» (RTL), « Mais là aussi, notamment tout près de Paris, les prix demandés étaient hallucinants. » (Le Parisien), « “C’est hallucinant”: la grosse colère de Valérie Pécresse après les critiques lors de son meeting. » (Le Figaro)…  

Note. Ce qui, proprement, est hallucinant, signifie quelque chose qui n’existe pas. Un ciel dépeint tel ci-dessus, un visage, la peau, un vêtement, par Van Gogh, dans ce même tableau ; cela n’existe pas, et ne peut exister. Autrement dit, quand on s’offusque d’une réalité soi-disant hallucinante, on ne s’offusque pas de ce qui n’existe pas, mais de ce qui existe (les députés, aux revenus très modestes, se sont effectivement augmentés, eux-mêmes, c’est bien pratique, et ce n’est pas hallucinant, c’est sûrement abject. Mais que voulez-vous, la Révolution Française n’a pas été faite par le peuple et pour le peuple, mais par les bourgeois qui voulaient prendre la place de l’aristocratie, et les titres héréditaires tombant, il a bien fallu réinventer des privilèges. Mais c’est un autre sujet…)

Dans l’“Autoportrait au chapeau de feutre gris”, le ciel est centrifuge et le visage est centripète. (Psychanalyse de comptoir) : l’identité s’éloigne, trois avant la mort (le suicide ayant été remis en cause, p.ex.; ici ou encore ici entre autres sources, pour des indices).

Mais le tigre n’a pas encore donné son dernier coup de griffe à poils : 

C’est quand même assez incroyable de près (il ne faut pas confondre “incroyable” et “hallucinant” ; ce qui est incroyable, c’est quelque chose qui existe, dont nous sommes témoins, même par ouï-dire, mais dont nous nous étonnons, radicalement.) 

On peut imaginer que, puisque tout est centripète, excepté le ciel, tout va partir et donc se dissoudre dans l’éther (ancienne formulation poétique), et qu’il ne restera, à la fin du tableau processuel, que le ciel, façon trou noir.

En guise de fin : 

Assurément, Vincent Van Gogh ne méritait pas tant d’ignominie. Mais je dois avoir l’esprit bien trop français, à souvent vouloir remettre en cause les choses ; pourquoi ne pas abonder, comme Connaissance des Arts (05 10 23), qui écrit :

« Le Van Gogh Museum a annoncé une collaboration exceptionnelle avec Pokémon à l’occasion des 50 ans du musée. Dès sa sortie, la collection en édition limitée a été prise d’assaut par les collectionneurs.

Tous les attraper. Tel était l’objectif des visiteurs venus dévaliser la boutique du Van Gogh Museum à Amsterdam (Pays-Bas) la semaine dernière. Depuis la publication du teaser vidéo par le musée et Pokémon, le 12 septembre dernier, les fans de la franchise japonais trépignaient d’impatience. Deux semaines plus tard, la collaboration exceptionnelle est dévoilée. Pour célébrer son 50e anniversaire, l’institution frappe fort avec une nouvelle opération marketing pour “faire connaître le peintre et son histoire auprès d’un public jeune ou peu familier”, explique un communiqué. Le 28 septembre, jour de lancement, le Van Gogh Museum a été pris d’assaut par les collectionneurs qui ont dévalisé la boutique (en ligne et sur place).»

Voilà ! Au lieu de voir le mal partout, comprenons qu’il ne s’agissait là que d’une bonne volonté pédagogique désintéressée ! En effet, il faut tout de même rappeler que quasiment personne ne connaît Van Gogh, et spécialement au Pays-Bas !

Apostille à Van Gogh

Léon Mychkine 

écrivain, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

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