Apostille à Van Gogh

Dans mon dernier article j’ai manqué quelque chose, ce quelque chose que je subsumerais sous cette formule : “Van Gogh l’Indien”.     

On supposera que Van Gogh a vu des photographies d’“Indiens d’Amérique”… On cherche des équivalents, bien entendu, on n’est pas spécialiste (pour ma part, en art, spécialiste de rien), et par exemple, on regarde ce que faisait notre bon Claude Monet, et, franchement, je dirais, Van Gogh 1 – Monet 0, entendons-nous, sis en la date 1887. Nous y reviendrons. Pour le moment, attardons-nous à cette manière de peindre. Une manière tout à fait incroyable. Mais dire “incroyable” ce n’est pas dire grand’chose. Il faut se creuser le chef. Allons y ! Disons-le, il y a quelque chose d’interstellaire dans ce tableau ; de cosmique. Il arrive que l’artiste sente l’univers, à savoir sa force cosmique. L’astrophysicien André Brahic (ici) écrit :  

« Sommes-nous les enfants du Soleil? Non, l’étoile Soleil est notre grande sœur. Nous sommes plutôt les enfants des étoiles et du temps. À l’exception de l’hydrogène et de l’hélium de notre corps qui datent du début de l’Univers, les atomes, dont notre corps est fait, ont été fabriqués par plusieurs générations d’étoiles au cours des 10 milliards d’années qui ont précédé la naissance du Soleil. Il a fallu ensuite près de 5 milliards d’années pour que l’Homme apparaisse. »

On peut, d’un point de vue philosophique, interroger le caractère semble-t-il téléologique induit dans la dernière phrase. Car il est tendancieux d’écrire qu’il a fallu 5 milliards d’années pour que l’Homme apparaisse. Comme si tout cela était soumis à ce que les pseudo-scientifiques chrétiens qualifient d’“intelligent design”. On peut tout à fait juger que rien ne prédisposait quelque planète que ce soit à produire la vie, encore moins l’espèce humaine. (Je ne m’attarde pas sur la niaiserie “familiale” entre êtres humains, soleil, et étoiles…). Ceci dit, dans notre corps, indéniablement, il y a de l’histoire moléculaire active du cosmos — hydrogène, hélium, atomes, etc. On pourrait subsumer tout cela sous le signe vectoriel de la force. D’un certain point de vue, il ne s’agit que de cela ; de forces. Et ce n’est pas du galvaudage. En effet, l’Univers est gouverné par quatre forces fondamentales : la force forte, la force faible, la force électromagnétique et la force gravitationnelle (la suite ici). À sa manière, Van Gogh traduit ces forces. D’un point de vue profane (je ne crois pas qu’il fût astronome), Van Gogh a bien compris qu’il ne s’agit que de forces. On pourrait s’attendre alors à une certaine isomorphie chromatique. Or tel n’est pas le cas. Mais justement, les spécialistes vous diront qu’il n’existe rien de plus complexe, dans tout l’univers, qu’un cerveau humain ! On devrait apprendre cela à l’école, afin de magnifier la merveille qu’est tout être humain, et, partant, de cultiver ce petit être au maximum du meilleur de la civilisation (on peut toujours rêver). Pour le dire ainsi : visage cérébral 2 – cosmos 1. Et je crois savoir qu’avec de savant calcul, on peut rendre le chiffre 2 exponentiel (je n’en dirais pas plus, mes compétences y sont inexistantes), mais il est un fait que c’est bien l’être humain qui questionne l’univers, depuis le début multi-millénaire de ces réflexions (d’une manière tardive, n’est-ce pas ? L’homme de Toumaï ne devait pas se poser des questions métaphysiques, pas plus que la fameuse Lucy, il faudra encore attendre un peu…), tandis que, de son côté, l’univers continue, de son côté, ses happenings dans tous les confins, tout à sa jeune joie d’enfant cosmologique. Or tout cela, Van Gogh, en septembre-octobre 1887, à Paris, il le sent. Notez qu’il sent dans cet intervalle de temps ; il ne va pas en faire une nouvelle méthode. Cela implique-t-il qu’il s’agit d’un hapax ? Non. On retrouvera à mi-corps ce genre d’indices, mais avec parcimonie, dans “nuit étoilée” (1889), mais même là, la synesthésie formelle que l’on voit et trouve dans “Autoportrait au chapeau de feutre gris” ne s’y trouve pas. Autrement dit, l’“Autoportrait au chapeau de feutre gris” est exemplaire, et, de ce point de vue, presque entièrement harmonique ; “harmonique” veut dire que c’est l’ensemble du tableau qui est dépicté d’une manière unie, si l’on peut dire avec ce technicolor insensé, à savoir des touches non-fondues. Rappel (depuis le Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure, 1757, d’Antoine-Joseph Pernety): 

Avec l »“Autoportrait au chapeau de feutre gris”, Van Gogh eut pu avoir trouvé là un gimmick de peintre, se dire qu’il allait peindre toujours ses portraits de cette manière cosmique (on aura compris que le terme n’est pas fumeux ou délirant), mais non, Van Gogh ne fonctionne pas ainsi. En novembre 1887, il peint ce portrait :

Vincent van Gogh, “Portrait d’Étienne-Lucien Martin”, Paris, novembre 1887, huile sur toile, 65.8 x 54.5 cm, Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)

Van Gogh reprend-il sa touche dynamique intégrale ? Non.

On verrait presque une esquisse de touches façon fauve (au sens animal-indien-cosmique plus haut), mais ça reste tout de même bien sage, même si, d’un pur point de vue “académique”, en 1887, on peut se demander ce qui arrive à ce visage… Bien entendu, il est des peintres, en 2023, qui peignent encore ainsi. Mais il s’agit là d’un problème déjà traité, de zombification (ici, ici, et ici).

En vue de cette harmonie synesthésique, irions-nous jusqu’à dire, conséquemment, qu’“Autoportrait au chapeau de feutre gris” est un chef d’œuvre ? Cela nous tente. Mais l’expression n’est-elle pas galvaudée ? Qu’est-ce qui n’est pas un “chef d’œuvre” ? N’est-ce pas subjectif ? Quand on cherche “chef d’œuvre” sur l’Internet, on trouve des résultats assez… comment dire ? Par exemple, le Musée de Bordeaux vous présente les “100 chef-d’œuvre du musée” (!). C’est impressionnant. Le Centre Pompidou est beaucoup plus modeste ; il en montre 22, mais sur ces 22, on voit des “choses” discutables, dont la nature de chef-d’œuvre ne saute pas aux yeux (ici), par exemple, on voit très mal comment l’hideux rhinocéros rouge de Veilhan pourrait bénéficier d’un tel statut. Mais c’est une autre histoire.   

Léon Mychkine 

écrivain, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

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