Un exemple de Formalisme Zombi. Avec Rita Ackermann (Via Riopelle et Bing)

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Sur le site de la galerie Hauser & Wirth, nous pouvons voir de belles images de l’exposition à Monaco de la peintresse Rita Ackermann (née en 1968). Le site est assez aimable pour nous montrer de bien belles photos, avec des détails judicieux, pour bien nous faire comprendre que, sur la surface, l’artiste s’exprime partout, avec une nécessité grammaticale, qui, comme on dit maintenant, “coche toutes les cases”. Exemple d’abord global :

Rita Ackermann, “Yve’s Mask”, 2021, acrylic, oil, pigments and china marker sur toile, 188 x 172,7 cm, Hauser & Wirth

Nous avons déjà vu ce genre de tableau 500 fois… Le titre, peut-être, évoque seul quelque chose de tellement contemporain (le masque…). La première phrase qui nous accueille sur site est :« L’approche d’Ackermann par couches et complexité visible rend les œuvres au bout du compte inconnaissables, éludant tout effort pour les lire comme des histoires.» Oui, il ne s’agit pas d’une page de livre, mais de peinture ; ce n’est donc pas lisible comme des mots. Mais, ne tentez pas même l’expérience !, nous sommes ici dans l’“inconnaissable”. Bigre ! L’appareillage exégétique met moins de temps à quitter la stratosphère que la fusée Ariane ! Attention, détail !

Rita Ackermann, “Yve’s Mask”, 2021 [détail]

Voyez ? Comme dit sur site, « les couches épaisses d’impasto et d’huile sont aussi vigoureusement appliquées et grattées….» C’est typique ; des petites décharges orangées, pour symboliser l’énergie, la dépense bataillienne, i tutti quanti. Je le redis, nous avons vu 500 fois ce genre de tableau, mais pas nécessairement en 2021, mais dans les années 1950 et au-delà. Par exemple, et je m’antidate ; Riopelle 1945 :

Jean Paul Riopelle, “Ontario, 9 décembre”, 1945, émail sur toile, 86,5 x 106,1 cm ©Succession Jean Paul Riopelle / SOCAN (2019), Institut de l’Art Canadien

Voyez-vous ?

Jean Paul Riopelle, “Hibou-Jet Black”, 1970, huile sur toile, 72,4 x 59,7 cm. © Succession Jean Paul Riopelle / SOCAN (2019), Collection privée

Je ne fais pas honneur à Riopelle en le mettant en voisinage avec Ackermann, mais c’est pour montrer que, ce mélange, qualifié sur le site Hauser & Wirth de « composant visuel énigmatique qui oscille entre abstraction et figuration » est une tarte à la crème. Cela fait très longtemps que des artistes cabotent dans ces eaux, et nous n’avons pas attendu Ackermann. Total, j’aurais pu prendre d’autres exemples antérieurs, me rendant compte que Riopelle, c’est bien mieux qu’Ackermann. Et j’y reviendrai, car Riopelle, c’est un maître. Mais, à vrai dire, le Formalisme Zombi “tape” un peu partout, comme les crevards aux buffet des vernissages, et nous pourrions évoquer Bernice Bing, par exemple, encore, avec ceci :

Bernice Bing, “Velasquez Family”, 1961, Crocker Art Museum

Voyez ? Le tableau d’Ackermann, il vient du passé, d’un passé déjà ancien ; non pas obsolète, mais réglé : cela a déjà été fait et n’est plus à faire. Cette peinture d’Ackermann, elle a cinquante ans. Je ne sais pas si Ackermann a conscience ou non de “piocher” dans la peinture patrimoniale (et matrimoniale aussi, pour les fanatiques du langage sexué), et cela ne me regarde pas, nous ne sommes pas au tribunal, ni en cure psychanalytique. J’en veux ici davantage à la prestigieuse galerie Hauser & Wirth, qui elle, sait très bien de quoi il retourne, vendant de l’abstrait vintage made in XXI à des bourgeois ignares. (Il doit y avoir quelque chose de borgésien dans le fait d’acquérir une œuvre qui aurait pu être faite en 1950 mais sort tout juste de l’atelier — sorte aussi de baptême uchronique du “j’y étais”). Mais cela faisait un moment que je me disais que l’art contemporain et moderne est si riche d’œuvres patrimoniales (Francis, Fautrier, Pollock, De Staël, Sterne, Frankenthaler, Bing, et tant d’autres), qu’il fallait s’attendre à ce que des “artistes” se pointassent afin de faire, 50 ans plus tard, leurs petites affaires artistiques. Ackermann, de ce point de vue, n’est pas un cas isolé, et j’ai déjà abordé le formalisme zombi — heureuse expression de W. Robinson en traduisant son article, ici. Je suis bien certain que Robinson a été ici clairvoyant, et je ne mentionne même pas les quelques amis peintres qui, face à telle ou telle “nouveauté” française, par exemple, me disaient « cela fait penser à tel et tel…». Le formalisme zombi porte bien son nom : quelque chose que l’on croyait avoir disparu, resurgit avec insolence et virginité en kit. Or, c’est le formalisme zombi qui est mort-né, et non pas les œuvres dans lequel, éhontément, il pioche — le zombi a bien besoin du sang frais des autres. Je veux dire que les artistes patrimoniaux sont plus vivants même morts que les artistes zombi. Quel beau paradoxe !

Léon Mychkine

 

 


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