Vous reprendrez bien un peu de vulve magdalénienne ? (Une approche comparative, avec Leroi-Gourhan)

N’étant, ni archéologue ni gynécologue, je me demande : Comment les archéologues savent-ils que sur la « plaquette » ci-dessous une vulve y est gravée ? Mais attention, les chercheurs de l’INRAP ne voient pas ici qu’une vulve ; comme l’indique la légende dans leur article :     

Extrait : « Dans un niveau plus récent (Magdalénien moyen, – 16 000), une gravure exceptionnelle est interprétée comme une vulve, figurée de manière exagérée et disproportionnée, encadrée par le haut des jambes. Des représentations de vulves isolées sont connues sur des plaques et des blocs dans quelques sites plus anciens (Aurignacien) en Dordogne. Au Magdalénien, les exemples documentés jusqu’alors étaient le plus souvent des œuvres pariétales, que ce soit en Espagne ou dans le Sud-Ouest de la France. L’agencement incluant un triangle pubien rattaché à deux jambes est exceptionnel et n’a qu’un seul équivalent connu, sur une paroi de la grotte de Cazelle, en Dordogne.»                

On aura bien noté — non sans gratitude — le verbe « interpréter ». Nous sommes reconnaissants, ce qui, au passage, permet l’énoncé refoulé et donc alternatif : Nous n’en savons, peu ou prou, rien.         

Sur cette plaquette retrouvée lors des fouilles réalisées à Bellegarde (Gard), figure un motif de vulve, encadrée par le haut des jambes. Cette exceptionnelle représentation féminine date de Magdalénien moyen (-16 000). Étude : Oscar Fuentes, Centre National de la Préhistoire (CNP). © Denis Gliksman, Inrap.

Il faut le reconnaître, ou bien le savoir : dénicher un motif sur un morceau de pierre n’est pas donné à tout le monde ; c’est un métier. Ce pourquoi il existe des archéologues. Exemple :

« Figure 4 – Plaquette calcaire (1.) recto et (2.) verso, IIg, grotte du Taillis des Coteaux (Antigny, Vienne). SRA de Poitiers. Photographies et relevés P. Gaussein (2012). » [Ref plus bas, Gaussein…]

On peut aisément admettre que reconnaître, identifier, dans la Figure 1, une moitié de cheval nécessite une expertise oculaire qui n’est pas à la portée du premier venu. Je me demande tout de même comment “ils” font pour obtenir un tel rendu détaillé. À titre expérimental, en toute modestie protocolaire, j’ai retravaillé l’image, très primitivement, afin d’en obtenir un effet plus éclairci que ce qui nous est offert dans la publication de l’Inrap, et voici mon rendu arrêté :

En dehors du fait que la photographie d’origine est un peu floue, on distingue, probablement, une tête équine. Je dis bien « possiblement ». Après tout, il s’agit peut-être d’un déguisement — on notera tout de même que la forme du profil du “visage” peut faire penser à un monstre, une figure de quelque sorte. Plus surprenants sont les ajouts du dessinateur, qui, appuyé depuis on ne sait quelle intuition, ajoute des éléments qu’on ne trouve pas directement sur la pierre, ne serait-ce que ce caractère définitivement hirsute de la bête, caractère que nous avons bien du mal à trouver sur la pierre. Sont-ce les points noirs qui ont suggéré au dessinateur-interprète qu’il s’agissait là de crinière et poils ?

 

 

Puisque remonter et redescendre la page est pénible et contre-intuitif, voici un collage plus parlant :

Clairement (sans oxymore) je me demande comment on passe de la gravure de gauche au dessin de droite ? Le “dessinateur” archéologue a-t-il été là un peu cavalier ? (sans jeu de mot), ne s’est-il pas laissé-t-il emporter par une surinterprétation ? Enfin, même la bouche et l’œil ne sont pas fidèles, tandis qu’on les voit très bien ! Regardez de vous-même, pas besoin de vous faire un dessin. Une fois que nous avons saisi l’idée qu’il pouvait y avoir une “légère” tendance non seulement à l’interprétation (l’Inrap nous en a averti), et même, d’après nous (je gage ne pas être seul), à la surinterprétation, revenons à cette fameuse vulve, si j’ose dire. Où est-elle repérée ? Ici :

Dans un magasine grand public, on trouve cette illustration… bienvenue ! Ce sont en ces endroits précis que les spécialistes ont décelé la gravure d’une vulve encadrée par le “haut des jambes”, donc les cuisses. On notera, au premier coup d’œil, que c’est une vulve absolument considérable en regard de la taille des cuisses. Mais peu importe, vous dira l’archéo-gynécologue, il s’agit bien de cela ! Soit !, puisque vous n’y connaissez rien en vulve magdalénienne, vous ne pouvez qu’acquiescer. Après tout, qui vous dit que les femmes du Magdalénien moyen n’étaient pas dotées de vulves extravagantes ? Peut-être était-ce même la mode ! De la même manière que d’aucunes se font élargir les lèvres, grossir seins et fesses, étrécir le vagin, reconstruire l’hymen, peut-être que les femmes magdaléniennes s’accrochaient tout un système de poids et d’écarteurs pour s’agrandir la vulve… Qui sait ? En tout cas, la science a parlé : il s’agit là, fait rarissime par ailleurs autant qu’exceptionnel, de la représentation d’une paire de cuisses sertie d’une vulve. Et peu importe l’échelle. Après tout, on est quand même dans la Préhistoire, c’est toujours le début (supposé) de l’Art, on n’est sûr de rien ; mais l’on se risque, sur de la pierre, à graver des cuisses et une vulve, sans se douter que 16 000 ans plus tard (a-t-on même idée de computer le temps ?), les spécialistes vulvaires reconnaîtront là un artefact quasi unique (vulve + cuisses) dixit l’Inrap, de l’anatomie préhistorique féminine, certes, comme ils l’admettent « manière exagérée et disproportionnée ». Oui, c’est énorme, mais bon, ça doit être ça quand même. Mais prenez par exemple cette autre image :

Fragment d’une grande dalle gravée, cassée sur place au sein d’une occupation du Magdalénien inférieur initial (- 20 000) fouillée par l’Inrap à Bellegarde (Gard) ; de fines incisions sont visibles mais demeurent d’interprétation délicates. Étude : Oscar Fuentes, Centre National de la Préhistoire (CNP). © Denis Gliksman, Inrap

Voyez cette forme ovoïde en haut du fragment. Pourquoi ne pas voir là une vulve ? Après tout, c’est possible, car on a répertorié plusieurs manières de graver ou peindre des vulves (supposément), comme celle-ci, indiquée par André Leroi-Gourhan (1965) :

Il serait outrecuidant de questionner l’immense savoir et l’extraordinaire intellection de Leroi-Gourhan, inventeur de l’Archéologie moderne ; donc et néanmoins, avec tout le respect dû, permettons-nous de remarquer que, là encore, il s’agit tout de même d’interprétation ; et la plus libre qui soit. L’image renvoie à la légende C, qui donne : «“Coccinelle”, de Laugerie-Basse, généralement considérée comme figurant une vulve.» Leroi-Gourhan ne prend pas position, cependant qu’il accepte la taxonomie “générale”. Mais qui en a décidé ainsi ? Et pourquoi surnommer “coccinelle” une vulve ? Nous sommes en pleine pataphysique !

Mais parmi ces très nombreux répertoires, Leroi-Gourhan nous donne une “Typologie des signes féminins” :

Tous ces signes sont féminins ! (On y retrouve d’ailleurs notre coccinelle). C’est extraordinaire. On ne peut être qu’ébahi face à un tel répertoire de formes, toutes désignant soit tout ou partie de la femme…En E première colonne, une femme debout de profil ? À côté — troisième case —, des fesses ?, des seins ? C’est vertigineux ; et les mots manquent. Revenons à notre dernier fragment, en rapproché :

Comment se fait-il qu’ici personne ne voit de vulve dans ce magnifique ovale ? N’est-elle pas évidente ? Après tout, il y a tellement de façons de “vulvariser”, pourquoi pas celle-ci ? Mais, plus surprenant, il faut noter le fait suivant : Tandis qu’il semble y avoir une infinité de façons de dépicter vulves et parties féminines, peut-on en dire autant du bestiaire ? Je veux dire, trouve-t-on une infinité de façons de représenter mammouths et bisons, par exemple ? Il ne semble pas. N’est-ce pas étrange ? Prenez cette peinture :

Détail du Grand Plafond de la grotte de Rouffignac (Dordogne), attribué au Magdalénien moyen. © J. Plassard.

Là, c’est facile ; même un enfant reconnaîtrait les animaux représentés, n’est-ce pas ? Maintenant, et encore une fois, connaît-on des dizaines de manières de peindre bouquetins et mammouths ? (Et nous sommes toujours au Magdalénien moyen). Malgré ma très modeste connaissance en iconologie préhistorique j’oserais avancer que la réponse est négative. Alors pourquoi diable y aurait-il des dizaines et des dizaines — 120 rien que dans le tableau de Leroi-Gourhan ! —, de dépicter des vulves ? 120 manières de dépicter les vulves, sans compter toutes les autres occurrences dans la littérature. Comment expliquer une telle explosion représentationnelle ? C’est inimaginable. Notez qu’ici la distinction entre « représentation » et « dépiction » semble bien à-propos. En effet, quand on écrit que dans l’image ci-dessus sont représentés bouquetins et mammouths, c’est une évidence que de le dire, car cela, littéralement, se voit ; en revanche, décider qu’en plus de 120 occurrences sont représentées des vulves, et ne serait-ce que celle illustrée en début d’article, ce n’est pas offrir à l’œil une représentation “évidente”, c’est produire un bond imaginaire, qui ne peut relever que de la catégorie de la dépiction ; à savoir, “vous” pouvez voir ici une vulve, mais c’est peut-être une vue de l’esprit. 

Alors à ton tour, lecteur, de jouer à l’anatomiste-archéo-gynécologue !

 

Refs. “L’origine du monde…magdalénien à Bellergarde (Gard)”, Inrap (ici) /// Clément Birouste, “Les images du Magdalénien, un naturalisme sans l’idée de Nature ?”, Hors-série | Décembre 2021, //// Pascaline Gaussein, Graver la pierre dans la vallée de la Vienne au Magdalénien moyen : le cas des chevaux sur supports mobiliers lithiques PALEO (ici) /// André Leroi-Gourhan, Préhistoire de l’art occidental, Mazenod, 1971 [1965]

 

La Préhistoire, l’abbé Breuil, et les vulves

Léon Mychkine

écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

 

           

Nouveau ! Léon Mychkine ouvre sa galerie virtuelle 

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