Zurbaràn, l’Agnus Dei

Comment en vient-on a animaliser le Christ ? Quand Jeshua est baptisé dans les eaux du Jourdain par Jean, ce dernier, légendairement, déclare : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29). Il s ‘agit d’une prophétie, car Jésus n’a pas encore entamé son ministère, et, bien entendu, il n’est pas encore mort pour, comme Jean le dit, “racheter les péchés”. Mais pourquoi l’inventeur et promoteur — à son insu —, du christianisme, se trouve-t-il baptisé par Jean ? Pour montrer l’exemple. Mais revenons à notre image. Voir un agneau, dans le contexte iconographique chrétien, ou dans l’Histoire de l’art, c’est voir le Christ. Ainsi  

Francisco de Zurbaràn, “Agnus Dei”, circa 1635-40, huile sur toile, 37.3 x 62 cm, Museo del Prado, Madrid

j’ai vu de mes yeux ce tableau dans la belle exposition “Les Choses. Une histoire de la nature morte”, conçue par Mme Bertrand-Dorléac, avec la collaboration de Thibault Boulvin et Dimitri Salmon qui, il faut néanmoins le constater, connaît une certaine baisse de régime iconique à mi-parcours, après avoir commencé très fort dès les premières œuvres, notamment avec des “natures mortes” de l’an 50 AC et un squelette incroyable en mosaïque. Mais il y a de véritables chef-d’œuvres dans cette proposition, et l’Agnus Dei de Zurbaràn en fait partie. Pour les incultes galopants, on devra supposer que la vue d’un agneau mort au pattes liées n’aura que peu d’impact. Mais y a-t-il des incultes dans le public ? C’est une question. Et pourquoi peindre un agneau mort ? Mais, justement, est-il mort, cet agneau ? Le peintre ne nous donne aucun indice sacrificiel, nulle trace de sang, rien. On le dirait endormi. Mais s’il dort, pourquoi lui avoir lié les pattes ? S’il est bien mort, il ne va pas s’échapper. Mais, on l’a dit en introït, cet agneau est le symbole métonymique du Christ, Jeshua, de son nom. Or nous savons bien que le Christ, d’après la légende chrétienne, est mort et ressuscité ! Qu’évoquent, alors, les liens de l’agneau ? Ceux justement du Christ sur la croix, pieds et poignets encordés, car il n’a pas été que cloué, sinon il eut chu ; les chairs sous le poids se déchirant. Il fut donc solidement attaché. Bien. Maintenant, posons-nous la question : un agneau mort a-t-il les yeux ouverts ? Tout bêtement, on pense que toute créature morte a les yeux fermés. Mais c’est loin d’être le cas. Dans le doute, on dira que nous ne savons pas.

Certes, il n’est pas bien vif cet œil ovin. En sus, dans la dite exposition, on peut admirer une magnifique tête de vache coupée, dont l’œil, ma foi, est bien grand ouvert, comme si la vache, même bien morte, nous regardait, et d’un air défiant qui plus est !

Andres Serrano, « Cabeza De Vaca (Early Works) », 1984. © Coll. Antoine de Galbert/ Arthur Toqué © Andres Serrano
 

Cependant qu’il a l’air bien marri

L’éclairage de l’exposition, quand nécessaire, est très diffus, presque confidentiel, ce qui a pour effet de faire ressortir la peinture comme aucune image capturée sur l’Internet ne le pourrait. D’un autre côté, les fameuses “asperges” de Manet ne sont pas diffuses, mais en pleine lumière, et les pointes brilles comme du minerai ! C’est tout à fait extraordinaire.

Un mot sur le support. On peut se demander sur quoi repose notre agneau. Mais à peine l’image agrandie, on comprend : c’est un établi billot de boucher. À force de couper la viande au mêmes endroits, le bois se creuse, et peu à peu l’établi forme une grande ondulation concave. J’ai déjà vu un parfait exemple d’une tel établi dans une boucherie qui datait du début du XXe siècle. L’agneau est bien mort, il va être mis en pièces.

 

 

Léon Mychkine

écrivain, critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant

 

 


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