Je n’ai pas étudié pendant des années les œuvres de Marfaing et Soulages, un article de critique d’art n’est pas le résultat d’années de recherches, même si c’est aussi le produit de recherches, et, surtout, d’intuitions. Ainsi donc, je pense que Marfaing était plus intéressant, plus puissant, que Soulages, jusqu’à sa mort, intervenue hélas bien trop tôt (né en 1925 et décédé en 1987), à l’âge de 61 ans — je donne l’âge précisément pour ceux qui ne savent pas compter, dont moi —, années 1980 où justement Soulages a “décollé”de ses aplats ou faux-aplats, pour commencer de creuser, et, par conséquent, de rehausser la peinture, lui redonnant un statut de “matière”, qui le conduira à produire des œuvres tout à fait extraordinaires. Il est des contempteurs de Soulages, c’est de bon ton, mais essayez donc d’inventer quelque chose en peinture ! Quelque chose de révolutionnaire, et, ici, le mot n’est pas galvaudé. Bien ! Revenons à Marfaing. Pour alimenter mon hypothèse, j’ai choisi deux fois deux tableaux pour chacun, à la même époque, afin de constater la puissance de l’un et la faiblesse de l’autre. Je précise que ces jugements n’entendent pas disqualifier toute une période chez l’un et exhausser toute l’une chez l’autre ; je propose ici des indices, comme d’une scène dramatique ; à charge pour le lecteur curieux d’aller regarder plus avant, dans les livres, et/ou sur l’Internet. Bien. Commençons.
Voici donc deux tableaux de l’année 1959 :
Que vous dirais-je ? Ceci : Le tableau de Marfaing est plus dynamique, plus dramatique, que celui de Soulages. Il est aussi plus complexe. C’est une structure ; tandis que chez S ce n’est pas vraiment structuré. Pour le dire crûment, il n’y a rien dans le tableau de S C’est sévère comme jugement, mais je le pense sincèrement. Mais « rien » ne veut pas dire « nullité », bien entendu, mais plutôt une absence, une absence de propos. Ce tableau, en quelque sorte, m’évoque un exercice, quelque chose d’assez scolaire. En regard, je le redis, le tableau de M est dynamique, il évoquerait presque une sorte d’animal fantastique, de science-fiction, si l’on cherche la paréidolie comme la musca domestica tape à la porte de l’inconscient, voire même, et pourquoi plus prosaïquement, un chien. Mais je penche pour le robot.
Il se passe des choses. Et chez S ?
On pourrait dire : C’est le même désordre, la même came. Eh bien je dirais que non. Encore une fois, il y a une structure chez M, tandis qu’il n’y en a pas chez S. Bien ! passons aux deux derniers tableaux (choisis par moi), de 1982 :
Là encore, je vais trouver la même différence, une dichotomie insistante. Il ne se passe rien dans le tableau de Soulages, tandis qu’il s’en passe chez Marfaing. J’ai envie de vous dire : Il suffit de regarder ! Je pousserais le bouchon jusqu’à oser dire qu’ici, Soulages, il ne se foule pas. On ne peut rien dire de cela. En revanche, encore une fois, chez Marfaing, c’est une autre musique. On sent qu’il se passe quelque chose (ou au pluriel). Par exemple ici :
Ça grouille, ça bouillonne, ou ça se prépare. Dans le bleu, bien entendu. Une faille, spatio-temporelle (osons les grands mots). Ce qui frappe, d’entrée, c’est la césure première, en haut ; voyez ?
Cette césure, ou faille, répond très prochement à celle, horizontale, sur le côté droit (regardez donc). Dans la suite de cette césure blanche, se poursuit et profile une ligne jusqu’en bas, qui semble signifier à la fois tant une sensation de volume que l’idée qu’elle ne fait qu’accompagner, conduire, à la faille plus béante du bleu que l’on qualifiera, ici, de cosmique (c.-à-d. en activité).
Bien sûr, comme déjà dit, Marfaing est mort jeune et Soulages a continué, et a explosé, comme en témoigne par exemple ce tableau :
En 1985, mais c’est une hypothèse (je n’ai pas tout l’œuvre de Soulages à disposition), Soulages commence à creuser la peinture, c’est-à-dire à la sculpter, ce qui, très bientôt, va donner de véritables sillons de peintures, de plus en plus épais, profonds, terrestres ; dans lesquels, ô miracle de l’inattendu !, la lumière va venir vibrionner d’une infinité de valeurs et tonalités, transmuant le matériau noir de départ en quelque chose d’autre, qui, jusque là, n’avait jamais été ni vu ni envisagé ; et là “commence” le vrai Soulages, c’est-à-dire, son génie — et je parle ici du génie de l’invention ; car c’est aussi cela, le génie.
Et ce sera tout pour aujourd’hui.
Léon Mychkine
écrivain, critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant
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