L’invitation pour cette exposition, c’était vraiment de créer des liens entre le lieu, le territoire, l’histoire du lieu, les habitants, et les visiteurs, qui viennent se poser en dialogue, qui viennent questionner. Là, dans l’ensemble de l’exposition, on a une densité en fait…
Le 10 mai dernier, je suis allé renconter Carine Guimbard, administratrice du Château d’Oiron. Pour l’occasion, je suis venu en compagnie de Rémi Uchéda, qui faisait partie des artistes commissionnés par Marie Cantos et Maryline Robalo (PA | Plateforme de création contemporaine). Je remercie Mme Guimbard pour son temps et sa disponibilité, ainsi que Samuel Quenault, chargé des collections, pour son aide relative aux photos envoyées et sa patience. L’exposition “Architextures de paysage #1” s’est tenue du 25 mars au 04 juin 2017.
[P1] Marie-Jeanne Hoffner, ”Models”, 2017. 4 ensembles de maquettes en balsa peint sur miroirs sur plaques de MDF 120 x 80 x 30 cm et 120 x 80 x 30 cm. Courtesy de l’artiste (avec des reflets des languettes de Fortier). (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
À l’intérieur du château, on a toute une sorte de de promenade, de circuit, avec des odeurs qui viennent relier les différents espaces. Donc on démarre par cette pièce, et puis ces sortes de languettes, qui font comme une crête, ou une ligne, mettent en dialogue aussi d’autres espaces dans le château — ça peut être le grand escalier —, on les retrouve à différents endroits, avec ces parties odorantes.
G : Là c’est la suite de l’installation, qui correspond à la série de dessins de Mélanie [i.e. Berger]. Donc on voit vraiment ce flux d’eau, et tout le travail de la lumière, à partir de pontons, qui viennent en réserve. Des sortes de pontons sur lesquels elle était pour dessiner ; des sortes de pontons qui viennent en réserve de blanc.
Mélanie Berger, “Entre deux eaux”, 2014. Série de dessins, crayon de couleur recto sur papier Fabriano Artistico 300g, 35,5 x 25,5 cm. Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
Guillaume Constantin, ”Fantôme du Quartz XXXIII (A conversation piece)”, 2017, MDF teinté, contreplaqué, pieds en hêtre, objets trouvés, moulage, maquette sur miroir de Marie-Jeanne Hoffner, 5,70 de diamètre par 1,35 de haut. Production Château d’Oison. Courtesy galerie Bertrand Grimont, Paris.(Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
Et on retrouve le travail de Marie-Jeanne Hoffner, puisqu’on a une impression de pierre qui est collée sur le mur en pierre existant.
Marie-Jeanne Hoffner, “Échantillons”, 2017. 5 impressions N&B sur papier à affiche disséminés dans tout le château. Production du Château d’Oison. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
Et là, juste derrière nous, on a une pièce d’Isabelle Ferreira. Tout à l’heure on a abordé le fait qu’il y avait des arrachements… là on a un rappel à ces arrachements, avec des papiers qui sont libres à l’intérieur d’un cadre, et qui peuvent se positionner différemment s’ils sont manipulés et à chaque fois proposer une image qui est aussi dans l’idée du tracé, de la couleur, qui fait référence à une ligne paysagère aussi, peut-être, ou qui peut évoquer tout autre chose, de l’ordre du caillou, ou une libre évocation, mais en tout cas qui peut se rejouer indéfiniment en étant toujours un peu différent.
Isabelle Ferreira, “Pétales”, 2017, acrylique sur papier, 120 x 80 cm. Production Château d’Oison. Courtesy galerie Florent Maubert, Paris. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
Bianca Casas Brullet, “Paysage sur rue”, 2010. Livre d’artiste, tirage d’artiste jet d’encre, 20 pages, 58 x 45 cm (58 x 900 cm déplié). Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
U : [suite entretien audio 4] Ce pont d’envol [ci-dessous], c’est un bateau qui flotte et qui permet aux choses de décoller, aux gens de décoller, aux idées, de décoller peut-être. Et du coup c’est toujours des glissements de sens et de fonction, et c’est aussi l’espace terrestre, le bout de route. Donc là il est posé à cheval, avec une articulation des superpositions, avec du bois recomposé et de la résine, et il est en équilibre, un peu précaire, entre le vrai sol et ce ponton.
Rémi Uchéda, “Pont d’envol”, 2017, 16 éléments disséminés à divers endroits du château. Bois, MDF teinté, aluminium, résine fibre de verre, paillasson, 200 x 40 cm chacun. Production Château d’Oison. Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
G : Oui du coup on a l’impression que ça appelle à quelque chose, soit qui engage vers l’extérieur, ou qui pourrait être destiné aussi à accueillir quelque chose. [… Nous avons changé de salle et nous nous trouvons dans celle où est exposée l’oeuvre ci-dessous d’Edith Commissaire, qui, nous dit le cartel, et pour l’exposition d’Oiron, “a imaginé une action qui tient compte des éléments de ces paysages familiers que peuvent être pour l’artiste-architecte, l’atelier et la table de travail (couleurs, dimensions, formes, etc.) Face au public elle réinterprète quatre de ses ‘perform-cocktails-paysagers’ imaginés dans des contextes, des villes, des pays et paysages divers dont il est question dans chaque proposition liquide. Pour le Château d’Oiron, Edith Commissaire recompose et réécrit ces paysages naturels et imaginaires à travers lesquels, un moment elle a voyagé, dans lesquels un instant, elle s’est inscrite. Les deux tables et les paysages qu’elles révèlent à leurs surfaces nous reviennent comme les vestiges de ce moment où les paysages d’Edith nous ont été offerts à boire, sentir, contempler… comme les traces de vie d’une ville enfouie.]. Et là, on a, à l’issue de cette performance, un certain nombre d’éléments sont restés, avec des couleurs, avec des traces. Il y a des choses de l’ordre du dessin. Des éléments qui ont séché au fond du verre. Et puis tout le dessin de ces verres. On voit sur le papier les lignes de construction. Un travail très architecturé. C’est un travail qui bouge. Les couleurs changent, les masses changent.
Edith Commissaire, “Sans titre”, matériaux divers, dimensions variables. Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
Là on retrouve Ali Tnani, qui a une série de dessins qui étaient juste à côté de Mélanie, qui sont ces dessins extrêmement légers. Il a réalisé cette installation:
Ali Tnani, “No posts to show”, 2016, installation vidéo, écran au sol, revêtement noir, Dimensions variables, Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)
Ali Tnani m’a gracieusement indiqué son site pour visionner la vidéo ici. Nous pouvons lire l’entretien dans ce lien ici, et écouter là (L’enregistrement a été fait par téléphone, et donc le son est caractéristique.)
G : Et en même temps, c’est une pièce qui à l’endroit où elle se trouve prend énormément le vent, donc du coup il y a quelque chose qui rythme les différents moments de la journée, et elle peut vraiment battre beaucoup, et on voit que ce dégradé, ce vent et ces claquages, la résistance du matériau au vent ou à la pluie à fait que le dégradé, par endroits, s’est modifié. Avec les papiers de Casas-Brullet, on a quelque chose qui a bougé.
U : Oui, il y a comme une craquelure du côté peint, une usure.
Rémi Uchéda, ”Flag”, 2017. Drapeau, dégradé du noir au blanc, sérigraphie, peinture à la bombe, 150 x 250 cm. Production Château d’Oison. Courtesy de l’artiste. (Une petite vidéo du drapeau mouvant est visible ici )
Quelques impressions…
C’est une très belle exposition que nous a proposé la plateforme dirigée par Marie Cantos et Maryline Robalo. Tout y est quasiment parfait. je dis bien « quasiment », parce que, nous allons le voir, il y a encore quelque chose qui peut donner du tracas, du souci. Je vais y revenir.
L’exposition ”Architexure de paysage #1” entend faire résonner (pardon pour le quasi pléonasme) le site physique avec l’oeuvre d’art transitoire, mais présente. Il y a beaucoup d’oeuvres, et je n’ai pas eu l’occasion de tout apprécier. Ce sont les aléas du temps et de la visite… Il y a des œuvres que je trouve explicites, et d’autres moins. C’est-à-dire que l’on peut avoir des difficultés à sentir ce qui s’en dégage, et j’emploie ici le verbe « sentir » dans le sens cartésien, c’est-à-dire polysémique (« il est très certain qu’il me semble que je vois, que j’ois, et que je m’échauffe ; et c’est proprement ce qui en moi s’appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n’est rien autre chose que penser », Méditations Métaphysiques, Descartes, 1641 [si le lecteur souhaite des explications sur cette phrase sublime de Descartes, qu’il se sente libre de me contacter…].
La deuxième photo (P2) nous montre trois œuvres, celles de Fortier, de Berger, et de Hoffner. C’est une vue d’ensemble, pour ainsi dire. Le mot qui me vient à l’esprit, en regardant ces trois œuvres, c’est celle de vaisseau, de vaisseau conducteur, du type, ici métaphorisé, de ceux qui, dans le monde végétal, transportent les nutriments et l’eau depuis le sol jusqu’au site photosynthétique. Les miroirs à sculptures de Hoffner nous font penser à des petites embarcations ; le dessin de Berger convoque l’idée de l’eau, et le parcours odoriférant de Fortier est une dérive (olfactive). Les héliogravures d’Allouche nous donnent des extraits de monde trans-temporels, en quelque sorte ; ils semble que, par exemple, l’aspect industriel de certaines structures, ou formes, a toujours été là. Les porte-avions d’Uchéda, eux-aussi, veulent nous transporter ailleurs. Les “Éléments de perspective” de Ferreira sont énigmatiques ; ils sont élégants, et associent une combinaison en l’usage des socles en tant que sculptures avec le caractère “trouvé” des « bois glanés ». Une association qui fonctionne bien. La pièce “Entre deux eaux” de Berger est très belle ; elle supporte ce qui, représenté, supporte conventionnellement : l’eau. La “Table sensible” de Bianca Casas-Brullet nous fait comme retourner sur une certaine enfance, ou préhistoire de l’art : Un support, une impression naturelle, des tons, avant la peinture. Les “Pétales” de Ferreira constituent un très beau dessin non fixé, aléatoire. La vidéo de Tnani, quand bien même issue des bugs informatiques, évoque la peinture et l’histoire mouvementée du noir et du blanc, ainsi que des lettres qui s’y accrochent.
Je vais maintenant me livrer à une critique d’une certaine forme de discours que l’on rencontre partout dans l’art contemporain; qu’il s’agisse d’un article, d’une brochure, ou… d’un cartel. Article aime l’art et les artistes. Mais comment en parle-t-on ? Il y a une certaine forme de discours dans l’art contemporain, qui s’ingénie à employer un vocabulaire et à produire des phrases qui ne font pas toujours sens, mais dont l’usage tend, pour ainsi dire, à en imposer. J’appellerais cela le dis-cours, pour marquer qu’il y a une interruption de sens dans le cours de la parole. Cette façon de couper le mot « discours » n’est pas conforme à l’étymologie, mais j’entends ici le préfixe « dis » comme on l’entend, par exemple, dans le mot « dis/proportion ». Le dis-cours est donc ce discours qui interrompt le cours de la pensée, qui le fige. Nous avons un exemple de dis-cours avec la lecture du cartel qui accompagne la première œuvre reproduite dans notre article (voir tout en haut “P1”) : « […] Marie- Jeanne Hoffner remet en question le concept d’espace tel qu’on l’aborde souvent en Occident ». On avouera que ce genre de phrases est très imposant. Comment des petites sculptures posées sur un miroir pourraient remettre en question « le concept d’espace en Occident » ? Dans cette première phrase, on trouve déjà deux présupposés. 1) L’oeuvre d’Hoffner remet en question le concept d’espace. 2) On sait comment on « aborde » le concept d’espace en Occident. J’ai beau me questionner, je dois avouer que je ne sais pas comment on aborde le concept d’espace en Occident. Je me demande ce que cela signifie. Et je suis encore davantage perplexe quand je lis que l’oeuvre d’Hoffner “remet en question” ce concept d’espace. J’aimerais qu’on m’explique. Il y a tellement de définitions qui peuvent entrer dans la notion d’“espace”. De surcroît, il est précisé qu’il s’agit non pas ici simplement du mot “espace”, mais du “concept d’espace”. Or un concept doit se rattacher à une théorie, par exemple à la géométrie ; ou à une “théorie naïve”, de celle qui nous fait croire, par exemple, que l’espace n’a que trois dimensions… Or nous devons nous contenter du fait que l’espace est un “concept”.
On peut lire ensuite que « si l’artiste s’empare des systèmes de représentation normés de l’architecture ou de la géographie (plans, cartes, maquettes, etc.), c’est pour les confronter à des lieux physiques réels, opérant ainsi de subtils changements de perspective. » Là encore, on nous dit beaucoup trop, ou pas assez. Mais pour dire quoi? Que les maquettes reprennent les codes normés de l’architecture à l’intérieur d’un espace construit lui-même sur des bases normatives très strictes? Soit. Mais cela n’explique pas forcément les “subtils changements de perspective”. Il semble que ces changements opèrent tout simplement parce que les maquettes sont posées sur un miroir, ce qui produit des anamorphoses. On lit encore que « la légèreté des petites constructions en balsa répond ici à l’imposante charpente des combles du château. Et ici encore, plus qu’ailleurs peut-être, les miroirs aspirent l’architecture environnante et la diffracte comme une image kaléidoscopique. » Peut-être ai-je mal vu, mais il ne m’est pas apparu que le reflet d’un miroir créerait un kaléidoscope. Enfin, la dernière phrase sonne le coup de grâce (c’est l’hallali artistique) : « L’installation entre également en résonance visuelle avec la salle des figures géométriques de Sol Lewitt [sic], dans l’axe de laquelle elle se trouve positionnée. » Était-il bien nécessaire de recouvrir l’oeuvre délicate d’Hoffner d’un tel lexique, de références civilisationnelles, et par surcroît de l’oeuvre de Sol LeWitt ? Je ne le crois pas. “Pourquoi donc”, se demande le lecteur, s’en prendre à un simple cartel? Parce qu’il est symptomatique d’un dis-cours proliférant qui, au bout du compte, ne peut que plonger le visiteur dans une certaine stupeur (du latin stupor : “engourdissement soit physique, soit mental”, dérivé de stupeo : “être engourdi, demeurer immobile”.) Cette stupeur qui, une fois passée, va lui faire dire soit qu’il ne comprend rien à l’art contemporain ; soit qu’il s’agit là de bien grands mots pour une oeuvre délicate et sensible.
On aura aussi compris, je l’espère, que je n’ai aucune animosité à l’égard de celle ou celui qui a rédigé ce cartel ; non plus que j’entendrais me poser comme un donneur de leçon. Il s’est seulement agi ici de produire un avis sincère en regard d’un véritable habitus sociologique, qui consiste à complexifier ce qui pourrait être dit d’une manière plus simple, et non pas moins vraie.
Léon Mychkine