“Architextures de paysage #1”, avec Carine Guimbard, au Château d’Oiron (P.1)

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L’invitation pour cette exposition, c’était vraiment de créer des liens entre le lieu, le territoire, l’histoire du lieu, les habitants, et les visiteurs, qui viennent se poser en dialogue, qui viennent questionner. Là, dans l’ensemble de l’exposition, on a une densité en fait…


Le 10 mai dernier, je suis allé renconter Carine Guimbard, administratrice du Château d’Oiron. Pour l’occasion, je suis venu en compagnie de Rémi Uchéda, qui faisait partie des artistes commissionnés par Marie Cantos et Maryline Robalo (PA | Plateforme de création contemporaine). Je remercie Mme Guimbard pour son temps et sa disponibilité, ainsi que Samuel Quenault, chargé des collections, pour son aide relative aux photos envoyées et sa patience. L’exposition “Architextures de paysage #1” s’est tenue du 25 mars au 04 juin 2017.

Entretien audio

Léon Mychkine : Donc vous êtes ?
Carine Guimbard : Carine Guimbard, administratrice du Château d’Oiron, pour le Centre des Monuments Nationaux.
M : Très bien 
G : Et là, nous sommes au niveau du comble central, qui est un des éléments constitutifs de l’exposition [i.e., “Architextures de paysage #1”] dans laquelle Rémi Uchéda a des œuvres présentes. J’ai souhaité commencer par ici parce que je trouve qu’on est directement en lien avec la charpente apparente, on a la structure du bâtiment ; donc on a déjà une partie ancienne. Et ces œuvres, issues de problématique de dessins pour la plupart, commencent à dialoguer avec l’espace, ici. Et ça se stratifie avec toute une série de rapports, de correspondances, de liens qui se sont créés dans tout le château. On est déjà à l’intérieur sans s’en rendre compte, on a la pièce, le parcours odorant de Julie C. Fortier. Sur ces petites languettes blanches, on a tout un parcours — on est déjà au milieu —, peut-être que l’on ne s’en est pas encore rendu compte, au milieu de son parcours.  
 

[P1] Marie-Jeanne Hoffner, ”Models”, 2017. 4 ensembles de maquettes en balsa peint sur miroirs sur plaques de MDF 120 x 80 x 30 cm et 120 x 80 x 30 cm. Courtesy de l’artiste (avec des reflets des languettes de Fortier). (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 

À l’intérieur du château, on a toute une sorte de de promenade, de circuit, avec des odeurs qui viennent relier les différents espaces. Donc on démarre par cette pièce, et puis ces sortes de languettes, qui font comme une crête, ou une ligne, mettent en dialogue aussi d’autres espaces dans le château — ça peut être le grand escalier —, on les retrouve à différents endroits, avec ces parties odorantes.

 
[P2] Julie Fortier, “Horizon”, 2017, ligne de touches de parfum, 6 parfums différents, dimensions variables. Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 
 
M : D’accord
G : L’invitation pour cette exposition, c’était vraiment de créer des liens entre le lieu, le territoire ; l’histoire du lieu, les habitants, et les visiteurs, qui viennent se poser en dialogue, qui viennent questionner l’histoire du lieu. suite entretien audio 2. Là, dans l’ensemble de l’exposition, on a une densité en fait, ici dans ce comble. On a comme ça quelque chose qui vient se mettre en dialogue avec plusieurs œuvres, avec une continuité. On a traversé la salle de Sol LeWitt, puis on redescendra dans le château par l’autre escalier. Et ensuite, on a, dans le cadre de cette exposition, des œuvres qui dialoguent avec le lieu, mais aussi avec la collection historique ; mais à l’étage inférieur.
M : D’accord
[Rémi Uchéda intervient pour parler d’une de ses oeuvres]
Rémi Uchéda : On est sur un plancher, on est sur le sol, et du coup ce sont des découpes d’une vue de dessus du porte-avions Clémenceau, de ces deux pistes d’envol, et qui, après un travail où je les ai disposées à la verticale, mais avec les deux commissaires d’exposition Maryline Robalo et Marie Cantos, on est arrivé naturellement à ce côté allongé… et du coup cette vue de dessus, mise sur le champ, et allongé à nouveau, correspond assez à cette histoire de plateau, d’horizon assez plat [Uchéda fait référence au paysage qui entoure le château d’Oiron, et qui est très plat, donc doté d’un très vaste horizon]. Voilà, c’est un point de départ pour s’envoler vers quelque chose, vers l’art. Il y a plusieurs matériaux, il y a du médium, de l’aluminium, ce ne sont que des matériaux composés aussi. Même le bois qui n’est pas du bois, c’est de l’OSB, et des bois même qui ont trempé dans de l’encre.
 
Les “portes-avions” d’Uchéda, techniques mixtes . Sur le mur à droite, on voit la pièce “Déversoirs d’orage”, de Dove Allouche1, 2009, 14 héliogravures encadrées, 60 x 50 cm  chacune. Courtesy de l’artiste et galerie Peter Freeman, New York. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 
 
1. [On peut apprécier ces oeuvres d’Allouche ici]  
 
M : D’accord 
G : Là on a une réalisation de Mélanie Berger, qui à réaccroché une série de dessins dans la chambre du roi, à l’étage inférieur, à partir d’un travail qu’elle avait fait lors d’une résidence d’artiste, où elle avait dessiné, avec un protocole assez particulier tout le temps le même espace, en évinçant un endroit du dessin. Et là on retrouve tout ce tracé mouvant, qui peut faire penser à l’eau, au vent. Il y a quelque chose de l’ordre du flux, mais avec une certaine densité. Et puis on retrouve ces zones, ces zones blanches, ces zones de retrait, de réserve, qui pourraient correspondre à une sorte d’empêchement, ou un élément sur lequel on peut se trouver, qui à la fois est dans le dessin et qui limite la personne. Ce sont de très très grands dessins, qui font plus de deux mètres de haut.
 
Mélanie Berger, dessin. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 
 
Et autour, on a toujours ce dialogue créé par Julie Fortier, avec son parcours et ses odeurs.  
M : C’est typiquement des languettes de parfum…
G : Oui oui, ça reprend tout à fait la forme, et puis elle les a collées une par une, avec deux assistants. […] On arrive dans la salle d’arme. Avec une difficulté pour Isabelle Ferreira, de s’emparer de cet espace, qui est extrêmement grand, avec les corps en morceaux de
M : de Spoerri
G : de Daniel Spoerri. Donc, ce n’est pas évident de venir trouver l’équilibre. Il y avait vraiment une forme de risque, à venir éprouver ces réalisations ; avec la fragilité des choses juste déposées, des agrafes, des arrachements, quelque chose comme ça… du geste répétitif. Et puis ce jeu de formes colorées. Réussir à trouver l’équilibre avec les plafonds peints, les différentes oeuvres. Donc là si on s’écarte un peu, on voit que cette pièce a trouvé sa place. On a l’impression qu’elle a presque toujours été là. On a vraiment presque une problématique de peintre, avec ces à-plats, qui viennent poser qui viennent rééquilibrer l’ensemble, et puis ces bois trouvés, sur lesquels elle réintervient, avec ces agrafes et ces arrachements, qui forment cette matière.
 
 Isabelle Ferreira, “Éléments de perspective”, 12 socles peints, 5 fragments de bois glanés, acrylique sur papier, agrafes, dimensions variables. Co-production Château d’Oison. Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 
 
M : Oui oui, ça tient bien
G : Alors là, Guillaume Constantin est venu, délicatement se poser sur un crochet qui soutient normalement un décor en morceaux de Daniel Spoerri, qui se trouve en ce moment aux Abattoirs, à Toulouse. Il nous propose une de ses Cartes de Tendre. Il y a plusieurs œuvres qui viennent jalonner l’exposition, et là on a une de ces pièces.
 
 Guillaume Constantin, “Folio 399”, 2014. Découpe laser sur papier Edition, collection de l’artiste. Reprise de la “Carte de Tendre” de Madeleine de Scudéry,  76 x 95 cm. Courtesy Galerie Bertrand Grimont, Paris. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)  [On trouve la Carte de Tendre dans Clélie]

G : Là c’est la suite de l’installation, qui correspond à la série de dessins de Mélanie [i.e. Berger]. Donc on voit vraiment ce flux d’eau, et tout le travail de la lumière, à partir de pontons, qui viennent en réserve. Des sortes de pontons sur lesquels elle était pour dessiner ; des sortes de pontons qui viennent en réserve de blanc.

                                         Mélanie Berger, “Entre deux eaux”, 2014. Série de dessins, crayon de couleur recto sur papier Fabriano Artistico 300g, 35,5 x 25,5 cm.                                                                      Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 

M : Donc si je comprends bien, elle dessine de l’eau, là
G : Voilà, à l’origine, c’était de l’eau. Ici, ils sont plutôt présentés sur le mur ; ici avec les œuvres de Claude Rutault, et le plafond peint du château. Les dessins sont posés sur des petits socles en bois, et ils sont posés au sol.
M : C’est beau
G : Alors avec la lumière aujourd’hui c’est parfait. La lumière change, vient dialoguer avec les pièces. […] Là dans le Cabinet des Muses, on a un travail qui n’a cessé d’évoluer, qui est sur du papier photosensible, et une table avec différents papiers de différents formats, qui ont pris la lumière tout le temps de l’exposition, et qui sont soutenus par des pierres qui sont juste posées, disposées sur ces papiers. Et les papiers, que ce soit avec les éléments, que ce soit la lumière ou l’humidité, certaines fois dans le château, ont acquis une certaine résistance. Certains sont un peu bombés, et la pièce, depuis le début, est arrivée quasiment blanche, et puis là elle se teinte, on a certains papiers qui sont devenus quasiment violet
M : C’était blanc au départ, tout était blanc ?
G : Avec un léger ton blanc.
M : Mais tout était uni, au départ… ?
G : Il y avait déjà des différences dans les tons blancs.
M : Donc c’est la lumière qui peint le matériau.
G : C’est ça. La lumière, le temps, le temps de l’exposition.
M : C’est extraordinaire
G : … qui construit en fait la pièce
 
Bianca Casas Brullet, “Table sensible”, 2015-2017, tréteaux en bois, plateau en contreplaqué, divers films et papiers 
photosensibles voilés, diverses pierres, 75 x 90 x 150 cm. Production Château d’Oison. Courtesy galerie Frannçoise Paviot, Paris. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 
 
M : Et c’est de qui ça ?
G : Bianca Casas Brullet.
M : Ça c’est le porte-avions paillasson ?
U : Voilà, c’est exactement le porte-avions paillasson, on s’essuie un peu les pieds
M : En fait on pourrait dire que tu t’essuies sur l’armée française, c’est ça ?
U : Non, je m’essuie sur une œuvre d’art
 
Le “porte-avions paillasson” de Rémi Uchéda.  (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 
                                                            
G : Du coup il y une espèce de valeur d’usage de la pièce, puisqu’elle est là la fois “oeuvre”, elle participe, elle vient en résonance avec les œuvres que l’on a au-dessus, et elle est aussi “oeuvre d’usage”, puisqu’elle a une utilité dans la gestion du monument.
U : On arrive dans une salle, la Salle Harlequin, qui a un très très beau plafond. Et dans cette salle il y a une alcôve, qui est un espace qui mène à une grande fenêtre. Et du coup dans cette alcôve, j’ai inséré donc des cannes à pêche. Et donc du coup c’était d’insérer une pièce, assez flexible, qu’on coince, entre le plafond et le sol, et qui est beaucoup plus grand que l’espace qui l’accueille. Donc là on est sur une hauteur de 5,70 mètres, et on a des cannes de six mètres. Il y en a un  de sept. Et elles sont donc contraintes, par le plafond, par l’architecture, et le sol. Et il y en a une vingtaine, c’est plutôt un bois : pour revenir à l’Architexture, c’est plutôt un petit bois de canne, et qui vient, au plafond, dans les commissures, suivre l’angle du plafond, en partant d’un diamètre plus élevé en bas, et en finissant finement en haut. Il y a la question — qui traverse mon travail —, c’est l’histoire de “tenue”, de “maintien”, de “posture”, de caryatide. Comment, avec un geste assez simple, on peut courber les choses, et en même temps, les faire tenir ? Donc c’est peut-être parce que parfois on se courbe un peu, qu’on arrive à tenir plus longtemps…
M et G [rires]
M : Il y a un message politique… ?
U : Ben, l’art est politique, non ?
G : Ce qui est intéressant dans le tracé, c’est que les pointes des cannes qui sont les plus souples elles viennent épouser complètement l’architecture, on le voit avec celle du fond, qui vient en appui sur le rebord. Elles viennent tracer, soit au plafond, soit sur certains rebords… et certaines ont déjà un peu bougé. Certaines viennent faire des arcs de cercle, elles viennent vraiment en appui, sans forcer, puisque c’est quelque chose d’assez léger, elles viennent se poser sur le lieu, et du coup on a une échelle et un rapport à l’espace qui n’est pas forcément simple à l’échelle du château, mais qui est assez intéressant dans la pièce.
M : Mais oui c’est très joli ça, c’est très fin.
 
Rémi Uchéda, 2015, Cannes à pêche, fibre de Kevlar, peinture noire. Dimensions variables. Courtesy de l’artiste. (Crédit photo [modifiée] © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 
 
U : Ce sont des cannes en résine ou en matériaux composites, rigides, et flexibles en même temps.
G : Alors après on n’a pas peut-être pas assez insisté, parce que Maryline Robalo et Marie Cantos n’ont pas pu être là aujourd’hui, ce sont les deux commissaires, et qui ont construit l’ensemble du propos en dialogue avec le château, le lieu, les artistes, les problématiques, et qui ont assisté à tout l’accrochage, assez millimétré, trouvé le bon espace pour chaque pièce, trouvé les résonances. […] Là on retrouve le travail de Guillaume [i.e. Constantin], avec un “display” qui permet de recevoir les œuvres d’autres artistes, comme celle par exemple de Marie-Jeanne Hoffner qu’on a vu là-haut ; on a un rappel de ce qu’on a vu dans le comble central. Et puis d’autres éléments, soit sculptural, soit en bois, soit sous forme de pierre qui viennent créer le dialogue avec l’espace, et qui sur cette sorte de support, on pourrait dire, un peu où se trouve le piètement de la table, et puis ces formes assez grandes, avec deux couleurs et un matériau brut, et qui viennent dialoguer avec ce salon, et un plafond magnifique.
 M : Extraordinaire.

Guillaume Constantin, ”Fantôme du Quartz XXXIII (A conversation piece)”, 2017, MDF teinté, contreplaqué, pieds en hêtre, objets trouvés, moulage, maquette sur miroir de Marie-Jeanne Hoffner, 5,70 de diamètre par 1,35 de haut. Production Château d’Oison. Courtesy galerie Bertrand Grimont, Paris.(Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 

Et on retrouve le travail de Marie-Jeanne Hoffner, puisqu’on a une impression de pierre qui est collée sur le mur en pierre existant.

Marie-Jeanne Hoffner, “Échantillons”, 2017. 5 impressions N&B sur papier à affiche disséminés dans tout le château. Production du Château d’Oison. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 

Et là, juste derrière nous, on a une pièce d’Isabelle Ferreira. Tout à l’heure on a abordé le fait qu’il y avait des arrachements… là on a un rappel à ces arrachements, avec des papiers qui sont libres à l’intérieur d’un cadre, et qui peuvent se positionner différemment s’ils sont manipulés et à chaque fois proposer une image qui est aussi dans l’idée du tracé, de la couleur, qui fait référence à une ligne paysagère aussi, peut-être, ou qui peut évoquer tout autre chose, de l’ordre du caillou, ou une libre évocation, mais en tout cas qui peut se rejouer indéfiniment en étant toujours un peu différent.

Isabelle Ferreira, “Pétales”, 2017, acrylique sur papier, 120 x 80 cm. Production Château d’Oison. Courtesy galerie Florent Maubert, Paris. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)

M : C’est très beau ça !  suite entretien audio 3 
G : Et là on a des photographies de fenêtre derrière lesquelles il y a des rideaux sur lesquels il y a des paysages. Et tout ça venant se rejouer avec les fenêtres.
 

Bianca Casas Brullet, “Paysage sur rue”, 2010. Livre d’artiste, tirage d’artiste jet d’encre, 20 pages, 58 x 45 cm (58 x 900 cm déplié). Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)

U : [suite entretien audio 4] Ce pont d’envol [ci-dessous], c’est un bateau qui flotte et qui permet aux choses de décoller, aux gens de décoller, aux idées, de décoller peut-être. Et du coup c’est toujours des glissements de sens et de fonction, et c’est aussi l’espace terrestre, le bout de route. Donc là il est posé à cheval, avec une articulation des superpositions, avec du bois recomposé et de la résine, et il est en équilibre, un peu précaire, entre le vrai sol et ce ponton.

Rémi Uchéda, “Pont d’envol”, 2017, 16 éléments disséminés à divers endroits du château. Bois, MDF teinté, aluminium, résine fibre de verre, paillasson, 200 x 40 cm chacun. Production Château d’Oison. Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)

G : Oui du coup on a l’impression que ça appelle à quelque chose, soit qui engage vers l’extérieur, ou qui pourrait être destiné aussi à accueillir quelque chose. [… Nous avons changé de salle et nous nous trouvons dans celle où est exposée l’oeuvre ci-dessous d’Edith Commissaire, qui, nous dit le cartel, et pour l’exposition d’Oiron, “a imaginé une action qui tient compte des éléments de ces paysages familiers que peuvent être pour l’artiste-architecte, l’atelier et la table de travail (couleurs, dimensions, formes, etc.) Face au public elle réinterprète quatre de ses ‘perform-cocktails-paysagers’ imaginés dans des contextes, des villes, des pays et paysages divers dont il est question dans chaque proposition liquide. Pour le Château d’Oiron, Edith Commissaire recompose et réécrit ces paysages naturels et imaginaires à travers lesquels, un moment elle a voyagé, dans lesquels un instant, elle s’est inscrite. Les deux tables et les paysages qu’elles révèlent à leurs surfaces nous reviennent comme les vestiges de ce moment où les paysages d’Edith nous ont été offerts à boire, sentir, contempler… comme les traces de vie d’une ville enfouie.]. Et là, on a, à l’issue de cette performance, un certain nombre d’éléments sont restés, avec des couleurs, avec des traces. Il y a des choses de l’ordre du dessin. Des éléments qui ont séché au fond du verre. Et puis tout le dessin de ces verres. On voit sur le papier les lignes de construction. Un travail très architecturé. C’est un travail qui bouge. Les couleurs changent, les masses changent.

 Edith Commissaire, “Sans titre”, matériaux divers, dimensions variables. Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN) 

Là on retrouve Ali Tnani, qui a une série de dessins qui étaient juste à côté de Mélanie, qui sont ces dessins extrêmement légers. Il a réalisé cette installation:

 Ali Tnani, “No posts to show”, 2016, installation vidéo, écran au sol, revêtement noir, Dimensions variables, Courtesy de l’artiste. (Crédit photo © Frédéric Pignoux, Studio LUDO pour le château d’Oiron, CMN)  

Ali Tnani m’a gracieusement indiqué son site pour visionner la vidéo ici.  Nous pouvons lire l’entretien dans ce lien ici, et écouter (L’enregistrement a été fait par téléphone, et donc le son est caractéristique.)

G : Donc là on retrouve cette volonté, dans l’accrochage de Marie et Maryline, d’avoir ce qu’elles nomment des “ponctuations”, et on retrouve les oeuvres à différents endroits. C’est tout à fait existant pour les pièces de Rémi, parce que l’on a on a croisé au pied de l’escalier, un profil paillasson. Ça marche aussi très bien avec le travail de Marie-Jeanne, puisqu’on a ces maquettes qui sont en haut sur les surfaces miroirs. 
[Nous sommes dehors, face au drapeau hissé d’Uchéda]
U : On est sur cette potence qui offrait une accroche à un drapeau, qui est juste un geste de passer du plus foncé au plus clair, qui est un dégradé du noir au blanc. Il y a un côté qui est imprimé, où j’ai fait appel à des imprimeurs sur tissus, et l’autre côté est peint.
 

 G : Et en même temps, c’est une pièce qui à l’endroit où elle se trouve prend énormément le vent, donc du coup il y a quelque chose qui rythme les différents moments de la journée, et elle peut vraiment battre beaucoup, et on voit que ce dégradé, ce vent et ces claquages, la résistance du matériau au vent ou à la pluie à fait que le dégradé, par endroits, s’est modifié. Avec les papiers de Casas-Brullet, on a quelque chose qui a bougé.

U : Oui, il y a comme une craquelure du côté peint, une usure.

Rémi Uchéda, ”Flag”, 2017. Drapeau, dégradé du noir au blanc, sérigraphie, peinture à la bombe, 150 x 250 cm. Production Château d’Oison. Courtesy de l’artiste.                      (Une petite vidéo du drapeau mouvant est visible ici )

Quelques impressions…

C’est une très belle exposition que nous a proposé la plateforme dirigée par Marie Cantos et Maryline Robalo. Tout y est quasiment parfait. je dis bien « quasiment », parce que, nous allons le voir, il y a encore quelque chose qui peut donner du tracas, du souci. Je vais y revenir.

L’exposition ”Architexure de paysage #1” entend faire résonner (pardon pour le quasi pléonasme) le site physique avec l’oeuvre d’art transitoire, mais présente. Il y a beaucoup d’oeuvres, et je n’ai pas eu l’occasion de tout apprécier. Ce sont les aléas du temps et de la visite… Il y a des œuvres que je trouve explicites, et d’autres moins. C’est-à-dire que l’on peut avoir des difficultés à sentir ce qui s’en dégage, et j’emploie ici le verbe « sentir » dans le sens cartésien, c’est-à-dire polysémique (« il est très certain qu’il me semble que je vois, que j’ois, et que je m’échauffe ; et c’est proprement ce qui en moi s’appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n’est rien autre chose que penser », Méditations Métaphysiques, Descartes, 1641 [si le lecteur souhaite des explications sur cette phrase sublime de Descartes, qu’il se sente libre de me contacter…].

La deuxième photo (P2) nous montre trois œuvres, celles de Fortier, de Berger, et de Hoffner. C’est une vue d’ensemble, pour ainsi dire. Le mot qui me vient à l’esprit, en regardant ces trois œuvres, c’est celle de vaisseau, de vaisseau conducteur, du type, ici métaphorisé, de ceux qui, dans le monde végétal, transportent les nutriments et l’eau depuis le sol jusqu’au site photosynthétique. Les miroirs à sculptures de Hoffner nous font penser à des petites embarcations ; le dessin de Berger convoque l’idée de l’eau, et le parcours odoriférant de Fortier est une dérive (olfactive). Les héliogravures d’Allouche nous donnent des extraits de monde trans-temporels, en quelque sorte ; ils semble que, par exemple, l’aspect industriel de certaines structures, ou formes, a toujours été là. Les porte-avions d’Uchéda, eux-aussi, veulent nous transporter ailleurs. Les “Éléments de perspective” de Ferreira sont énigmatiques ; ils sont élégants, et associent une combinaison en l’usage des socles en tant que sculptures avec le caractère “trouvé” des « bois glanés ». Une association qui fonctionne bien. La pièce “Entre deux eaux” de Berger est très belle ; elle supporte ce qui, représenté, supporte conventionnellement : l’eau. La “Table sensible” de Bianca Casas-Brullet nous fait comme retourner sur une certaine enfance, ou préhistoire de l’art : Un support, une impression naturelle, des tons, avant la peinture. Les “Pétales” de Ferreira constituent un très beau dessin non fixé, aléatoire. La vidéo de Tnani, quand bien même issue des bugs informatiques, évoque la peinture et l’histoire mouvementée du noir et du blanc, ainsi que des lettres qui s’y accrochent.

Je vais maintenant me livrer à une critique d’une certaine forme de discours que l’on rencontre partout dans l’art contemporain; qu’il s’agisse d’un article, d’une brochure, ou… d’un cartel. Article aime l’art et les artistes. Mais comment en parle-t-on ? Il y a une certaine forme de discours dans l’art contemporain, qui s’ingénie à employer un vocabulaire et à produire des phrases qui ne font pas toujours sens, mais dont l’usage tend, pour ainsi dire, à en imposer. J’appellerais cela le dis-cours, pour marquer qu’il y a une interruption de sens dans le cours de la parole. Cette façon de couper le mot « discours » n’est pas conforme à l’étymologie, mais j’entends ici le préfixe « dis » comme on l’entend, par exemple, dans le mot « dis/proportion ». Le dis-cours est donc ce discours qui interrompt le cours de la pensée, qui le fige. Nous avons un exemple de dis-cours avec la lecture du cartel qui accompagne la première œuvre reproduite dans notre article (voir tout en haut “P1”) : « […] Marie- Jeanne Hoffner remet en question le concept d’espace tel qu’on l’aborde souvent en Occident ». On avouera que ce genre de phrases est très imposant. Comment des petites sculptures posées sur un miroir pourraient remettre en question « le concept d’espace en Occident » ? Dans cette première phrase, on trouve déjà deux présupposés. 1) L’oeuvre d’Hoffner remet en question le concept d’espace. 2) On sait comment on « aborde » le concept d’espace en Occident. J’ai beau me questionner, je dois avouer que je ne sais pas comment on aborde le concept d’espace en Occident. Je me demande ce que cela signifie. Et je suis encore davantage perplexe quand je lis que l’oeuvre d’Hoffner “remet en question” ce concept d’espace. J’aimerais qu’on m’explique. Il y a tellement de définitions qui peuvent entrer dans la notion d’“espace”. De surcroît, il est précisé qu’il s’agit non pas ici simplement du mot “espace”, mais du “concept d’espace”. Or un concept doit se rattacher à une théorie, par exemple à la géométrie ; ou à une “théorie naïve”, de celle qui nous fait croire, par exemple, que l’espace n’a que trois dimensions… Or nous devons nous contenter du fait que l’espace est un “concept”.

On peut lire ensuite que « si l’artiste s’empare des systèmes de représentation normés de l’architecture ou de la géographie (plans, cartes, maquettes, etc.), c’est pour les confronter à des lieux physiques réels, opérant ainsi de subtils changements de perspective. » Là encore, on nous dit beaucoup trop, ou pas assez. Mais pour dire quoi? Que les maquettes reprennent les codes normés de l’architecture à l’intérieur d’un espace construit lui-même sur des bases normatives très strictes? Soit. Mais cela n’explique pas forcément les “subtils changements de perspective”. Il semble que ces changements opèrent tout simplement parce que les maquettes sont posées sur un miroir, ce qui produit des anamorphoses. On lit encore que « la légèreté des petites constructions en balsa répond ici à l’imposante charpente des combles du château. Et ici encore, plus qu’ailleurs peut-être, les miroirs aspirent l’architecture environnante et la diffracte comme une image kaléidoscopique. » Peut-être ai-je mal vu, mais il ne m’est pas apparu que le reflet d’un miroir créerait un kaléidoscope. Enfin, la dernière phrase sonne le coup de grâce (c’est l’hallali artistique) : « L’installation entre également en résonance visuelle avec la salle des figures géométriques de Sol Lewitt [sic], dans l’axe de laquelle elle se trouve positionnée. » Était-il bien nécessaire de recouvrir l’oeuvre délicate d’Hoffner d’un tel lexique, de références civilisationnelles, et par surcroît de l’oeuvre de Sol LeWitt ? Je ne le crois pas. “Pourquoi donc”, se demande le lecteur, s’en prendre à un simple cartel? Parce qu’il est symptomatique d’un dis-cours proliférant qui, au bout du compte, ne peut que plonger le visiteur dans une certaine stupeur (du latin stupor : “engourdissement soit physique, soit mental”, dérivé de stupeo : “être engourdi, demeurer immobile”.) Cette stupeur qui, une fois passée, va lui faire dire soit qu’il ne comprend rien à l’art contemporain ; soit qu’il s’agit là de bien grands mots pour une oeuvre délicate et sensible. 

On aura aussi compris, je l’espère, que je n’ai aucune animosité à l’égard de celle ou celui qui a rédigé ce cartel ; non plus que j’entendrais me poser comme un donneur de leçon. Il s’est seulement agi ici de produire un avis sincère en regard d’un véritable habitus sociologique, qui consiste à complexifier ce qui pourrait être dit d’une manière plus simple, et non pas moins vraie

 


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