Entretien Joëlle Bondil avec Léon Mychkine

NB. Cet entretien était resté enfoui dans le disque dur de mon vieil Imac qui a lâché le 30 mars. J’ai récemment pu en récupérer quelques contenus, et voici donc ce document historique. Malheureusement, mon logiciel (craqué) de traitement photo ne veut plus s’ouvrir, et donc je ne peux pas insérer ici toutes les images que j’ai faites ce fameux jour. Les photographies ci-dessous ont donc été fournies par Joëlle Bondil. Cet entretien devait accompagner donc à l’origine un texte afférent, ici

Léon Mychkine : Nous sommes avec

Joëlle Bondil : Joëlle Bondil

LM : qui est artiste, et nous sommes dans l’espace

JB : Le Château de l’Étang, Maison des Arts et du Patrimoine de Bagnolet

LM : et tu y exposes tes œuvres récentes,

JB : la plupart, et sur le maillage. Il y aussi les oeuvres d’origine. “Maillage 1”, c’est la première série.

Joëlle Bondil, Mailage Série 1, encre, 20 x 30 cm, 2013

JB : Ce sont des pages de carnet de croquis. Ensuite, Maillage 2. [ici], sur papier logarithmique. Maillage 3, [ici] sur papier millimétré. Et ensuite Maillage 6 [ici, p.3]. Il manque les intermédiaires.

Joëlle Bondil, vue de l’exposition au Château de l’Étang, Maison des Arts et du Patrimoine, Bagnolet

LM : Très très beau ça (je pointe les maillages bleus, comme des méduses).

Joëlle Bondil, “Maillage 6”, 2018, encre sur papier de riz,  33 x 24 cm, vue de l’exposition au Château de l’Étang, Maison des Arts et du Patrimoine, Bagnolet. (On remarquera en bas à droite la signature matérielle de Bondil, un fil passant entre deux ouvertures.)

LM : Et ça, au loin, au mur près des maquettes au sol?

JB : C’est la dernière série autour du maillage.

Joëlle Bondil,  dernière Série “Maillage”. Vue de l’exposition au Château de l’Étang, Maison des Arts et du Patrimoine, Bagnolet

 

Joëlle Bondil, Installation. Vue de l’exposition au Château de l’Étang, Maison des Arts et du Patrimoine, Bagnolet. Légende actualisée : « Pour la photo des petits livres au sol il s’agit plutôt d’un essai. Je fais cela pour marquer un début de travail sans savoir si cela va continuer ou pas. C’était aussi le but de cette résidence : poser des possibles et voir… Je n’ai pas pu développer ce projet faute de temps … » (Message de l’artiste ce jour, afin de préciser le contexte de l’image ci-dessus). Pour en savoir plus, sur le travail de résidence, cliquer ici.

LM : Alors quelle est cette obstination à faire du maillage ? Il y a une raison, un lien ?

JB : Alors ça, ce n’est pas une question facile, parce que ça fait plusieurs fois qu’on me la pose.

LM : Ah oui ! désolé…

JB : Non, mais ça m’oblige à réfléchir [rire]. Disons que, comme je suis beaucoup dans le dessin et la graphie, c’est venu comme un vocabulaire graphique.

LM : Oui

JB : Ce qu’on ne voit pas ici, c’est le premier dessin que j’ai fait avec le maillage, qui est à la fois vraiment l’originel et qui est extrêmement décoratif. Ça ressemblait plus à quelque chose de pseudo-végétal. Et puis le lendemain, ça a commencé à prendre forme ; point-trait, point-trait. Et, je crois que je n’ai même pas réfléchi, et ça a commencé à s’étendre ; et c’est ensuite que j’ai fait des recherches, que j’ai trouvé aussi toutes ces relations avec le maillage. Je connaissais le terme par la 3D, même si je ne la pratique pas. J’ai découvert le logiciel de maillage Mathis, qui permet une représentation des flux marins et des débordements d’eau. Et les représentations graphiques sont très belles, voire assez émouvantes. Et j’ai trouvé vraiment le lien avec ce que je faisais. Parce qu’en fait c’est très organique

LM : Exactement

JB : et le lien est très intéressant, entre art, science, organique. Et puis, plus tard, j’ai vu une expo à Annecy, qui était sur l’art et la science. Et il y avait un ou une artiste, qui a travaillé en vidéo, sur la généalogie mort et naissance. Donc, ça faisait « traits – points, traits – points ». Ça avançait, et en même temps, ça s’éteignait de l’autre côté. Et il y avait aussi ce rapport au mouvement, sur le principe du maillage. Ça faisait disparaître les personnes décédées et apparaître celles qui naissaient ; comme des réseaux. Je me suis rendu compte que ce principe était utilisé dans beaucoup de domaines, et que je pouvais le développer en dessin. Et ce qui est très intéressant, c’est la réaction de gens aussi : ça parle à énormément de gens, chirurgien, cartographe, enfants… C’est presque un cercle vertueux, parce que je fais du maillage, ça fait du maillage avec les gens, et les gens se parlent ; en évoquant ce à quoi mon travail leur fait penser. Et j’ai aussi pensé aux connexions nerveuse, en commençant ce travail. Et comme je suis aussi scénographe, la rapport à l’espace, la représentation du micro, du macro, c’est pour moi extrêmement important. J’ai besoin de la notion d’espace, de sculpture de l’espace sur le papier, de la transparence, des différences de niveau, les vibrations

LM : C’est vrai qu’en regardant tes œuvres, on est assez frappé par la minutie du travail, et puis, il y a des endroits où on se mettrait presque à ta place, en se disant que tu as dû te faire mal aux yeux. Et tu me disais que ça fatigue…

JB : Oui, ça fatigue. Il y a une forme de tension, assez forte. D’ailleurs, il y a des personne qui le ressentent comme tel.

LM : Tout à l’heure, tu me disais, par exemple, qu’après dix minutes, tu dois t’arrêter

JB : Ah oui ! c’est possible. C’est même très courant. Je suis obligé de m’arrêter, de me lever, de respirer. Et ça me permet aussi de prendre de la distance ; cette fameuse distance que j’appelle la distance mécanique, qui va enlever de l’affect, pour remettre du sensible.

LM : Et qu’est-ce que c’est le sensible, pour toi ?

JB : Ça peut être de différents ordres. Ça peut être de l’ordre de la matière, de l’ordre de l’espace, de la suggestion, ça peut être très conceptuel aussi. Pour moi le sensible arrive quand on trouvé la distance, la bonne distance et la transformation. Arriver à trouver cette transformation qui fait qu’on va produire quelque chose, en écrit, en dessin, ou autre chose. Moi ce qui me touche beaucoup, dans tous les domaines, mais artistiques en particulier, c’est ce sensible et cette distance, et quand on utilise des outils, que l’on a à notre disposition, pour créer quelque chose de sensible, mais qu’on va jouer de ces outils. Et quand on va être dans l’intention, le geste, le projet, parce que le dessin, c’est aussi le dessein dans le sens E I N. Le dessein c’est le projet. Et on va aller puiser chez soi autre chose que — cette espèce de truc —, on va être dans le chemin ; et c’est là que ça commence à être très intéressant, et on va lâcher des choses très intéressantes, mais de l’ordre de l’artistique et du dessin, pas d’autre chose 

LM : Pas juste la tripe

JB : Non, voilà, exactement !

[Bondil explique qu’elle est très attachée à son nom, provenant des Gorges du Verdon, et remarque que ce n’est que depuis qu’elle vit en région parisienne que l’on écorche régulièrement ce dernier. Elle ajoute que sa création est aussi dirigée vers eux, vers ces paysans très pauvres, qu’elle n’oublie pas. Et elle en vient à décrire les paysages de cette région] :

— Ça fait partie des paysages, la montagne, que j’évoque, et qui ne me sont pas inconnus. Les gorges, les trous, les creux, les bosses, c’est aussi des promenades dans ces espaces-là. Après, chacun peut y voir, comme tu me le disais, ou d’autres personnes : un corps, un nombril…

Joëlle Bondil, “Maillage 3”, encre sur papier de riz,  33 x 24 cm, vue de l’exposition au Château de l’Étang, Maison des Arts et du Patrimoine, Bagnolet.

 

 

 

Joëlle Bondil, vue de l’exposition au Château de l’Étang, Maison des Arts et du Patrimoine, Bagnolet.

 

Joëlle Bondil, travaux récents

 

 

Joëlle Bondil, travaux récents
Joëlle Bondil, travaux récents