Éric Provenchère. Marges de la peinture. Saison 1, épisodes 1 & 2

Wahrlich, ein schmutziger Strom ist der Mensch

Partie 1, épisode 1

 

Postulat : La plupart des théories artistiques sont des fictions. Certaines sont vraies pendant longtemps, d’autres meurent avec leurs créateurs. J’aime les théories, c’est un feu d’artifice mental dans une seule fusée, et je n’en suis pas avare. Lift off!

La peinture est une vieille affaire. Comment encore la faire “tenir” ? La plupart des artistes contemporains, bien qu’ils s’en défendent, sont toujours dans l’illusionnisme, censé pourtant être décédé avec Manet et son “Déjeuner”. Cent cinquante-huit ans plus tard, finalement, personne n’en est sorti. Personne ? Si, bien sûr — mais ils ne sont pas si nombreux —, et, proche de nous, nous avons Provenchère. Regardez-moi ça :

Tel quel sur le site de Provenchère. Pas de légende, rien ; excepté le titre de la série : Margelles. Ça me plaît bien. C’est la fin du blabla, sauf pour moi. La peinture est une vieille affaire, notre ami Jean de la Bruyère a écrit : « Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes. »  Et les habiles d’entre les modernes… Vous me direz : La Bruyère ne parle pas de peinture. Pas loin, dirai-je. Mœurs, ce n’est pas loin. Que tout a été peint et que l’on vient trop tard, je gage, que certains le pensent chaque matin. Peut-être (théorie suite), que Provenchère sait que la peinture est partie ; que, pour retrouver du nouveau, il faut arrêter, déjà et une bonne fois pour toute, avec l’illusionnisme. Ce qu’il fait, d’ailleurs, à l’exception peut-être de deux séries (“Concession”, “Gessy”), qui ne résistent pas à l’absence de tout bouquet. Mais qui peut en dire autant ? Bien. Donc, Provenchère sait que la peinture est partie, et il nous montre, à sa manière (voire, ses manières), comment elle s’en va, à reculons, comme par dépit. Mais peut-être tout l’inverse. Ainsi, cette première image ↑, ou premier exemple de l’exil. Déjà, plus de toile, mais une surface de type contreplaqué peint. Ensuite. La peinture part par le haut (tant qu’à faire) ; voyez, elle déborde sur la tranche, elle s’accumule, comme poussée par la matière d’en dessous, et comme si elle s’attardait encore un peu, avant quoi ? De tomber ? De re-tomber ? En attendant, elle laisse le support de plus en plus nu, vide, blanc, mort. Car, il ne faut pas se leurrer ; ici, le blanc du support ne joue pas avec les couleurs, ni la matière. Chacun son affaire ! Il est patent que cet état de l’amas doit être compris comme celui au moment t, c’est un état de la matière picturale. Sans date. L’impermanence du moment t.

 

 

Partie 1, épisode 2

 

Les contradictions nous composent, nous, les hommes-fleuves (Nietzsche).

 

Exemplum :

Éric Provenchère, Série Folioles, « Grande Foliole », acrylique/toile, 140 x 200 cm

En apparence. Rien. Tout de même. Une surface de repentirs, petimenti. “Qu’aurais-je voulu peindre ?” Finalement. Rien.

Éric Provenchère, Détail « Grande Foliole

C’est magnifique.

Ici, la peinture est passée, par la bande, le milieu, comme une horde de Huns bicolores (reste un peu d’herbe et de l’aurore figée par les atomes). Ce passage, qui vaut presque fuite, s’est transformé en exil aux bords. Gauche et droite. On peut méditer sur la grande surface vaguement indistincte comparativement aux bandes ondulées rose verte jaune rouge. Ceci dit, je m’interroge sur la bande blanche. (Entre temps, l’artiste m’a répondu : c’est le châssis. Bon, alors appelons-cela une concession, ou un compromis, parce que cela continue de m’interroger. Je me demande comment Provenchère considère ce blanc… L’ignore-t-il ? Non, cela me paraît improbable. Bref, passons !).

Éric Provenchère, Détail « Grande Foliole

À la vérité, le plein champ du tableau est le résultat du séchage, issu d’un mélange premier de trois couleurs pour finir par un ajout au liant mélangé. Ainsi, et de fait, Provenchère ne sait pas quelles couleurs vont émerger, car le temps du séchage ajouté à l’action du liant vont altérer l’ensemble. C’est intéressant. Parce que, finalement, seule l’affirmation est aux extrêmes. Et, en guise de petimenti, alors c’est un repentir non-intentionnel. On ne connaissait pas. Mais le terme est-il approprié ? Peut-on produire des repentirs retardés, comme le ready-made est/était retardé. Apparemment oui. Un repentir autonome, sans tournemain. À basse température.

Du champ de petites batailles de repentirs. L’Hun sans dit. Provenchère, ici, dans sa pièce, joue de deux temporalités ; ou deux moments. Mais, en fait, ni « temporalité » ni « moment » ne constituent les bons mots. Il s’agit, bien plutôt, de deux procédures ; l’une manualisée, à terme ; et l’autre pas (peinture intentionnelle d’un côté et processuelle de l’autre). Au centre, ce que je j’appelle le plein-champ, est un geste très Gutai (processuel donc, c’est-à-dire presque non-geste), mais non sur les bords. Résultat : Deux gestes radicalement différents dans un même espace, a priori, qui “disent” quelques choses. Preuves en sont.

 

Bonus tracks

Série “Qu’est-ce que l’Art contemporain ?” Avec Éric Provenchère (#1)

Entretien avec Éric Provenchère

 

 

Léon Mychkine


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