Emmanuelle Amsellem ne peint qu’à la peinture à l’huile, car pour elle, le pigment, pour ainsi dire, est vivant. Autant dire qu’elle ne peindra jamais à l’acrylique, considérant qu’il ne s’agit là que d’une matière inerte, morte, c’est-à-dire du plastique, en fait un polymère, ce qui est bien vrai. Le pigment est organique, il est issu de substances d’origine animale ou végétale, tandis que le liant acrylique est un dérivé du pétrole, et même si elle peut contenir des pigments naturels, sa mixité avec l’huile de roche la rend morte pour encore un certain nombre de peintres, et ceux et celles qui peignent à l’acrylique reconnaissent souvent volontiers que la peinture à l’huile est bien plus riche et capacitaire en terme de tons, et donc de “vie”, que l’acrylique ; mais l’argument du temps entrant souvent en ligne de compte, on sacrifie la subtilité inégalable propre à la peinture à l’huile (on en parle ici). Par là, je ne jette pas la pierre aux “acrylistes”, car chacun voit midi à sa porte et peint comme il l’entend.
Autodidacte, Amsellem a commencé de peindre sans le faire savoir, et il lui a fallu longtemps pour admettre, pour elle-même, qu’elle était une véritable artiste. Et c’est une affaire de modestie, tout simplement.
On le voit, avec cette image de tableau, Amsellem n’a pas, comme d’autres, renoncé à l’illusionnisme, en l’occurrence de la troisième dimension, soit la profondeur, source toujours étonnante et merveilleuse pour l’œil neuronal. C’est plat, et on jurerait que c’est plein, c’est-à-dire profond ; en perspective, si on osait. D’aucuns jugeront le motif assez banal ; soit, mais si une peinture demande du temps pour être peinte, il faut peut-être lui accorder du temps pour la regarder, n’est-ce pas ? On pourrait appeler cela la Patience. Et le philosophe Alfred North Whitehead parlait de « la patience des objets éternels », soit par exemple celle de simples objets tels que le son, la couleur, le mot. Ces objets sont tous dotés de patience, et ils expectent, du côté nôtre, une vertu idoine, soit l’actualisation, entre la sensation et la pensée.
Au premier regard, des formes géométriques. En se rapprochant, en prenant le temps, justement, on se rend compte que la “froide” géométrie est chaude, sensible même ;
on n’est pas chez Mondrian 1930
Estimez ce carré (détail) chez Mondrian. On ne voit rien ; je veux dire par là, on ne voit pas de geste. Vous me direz : “C’est voulu. C’est la pureté, l’absolu, l’idéal”. Oui, et alors ? Il ne s’agit pas de contrebalancer l’importance de Mondrian, eu égard à la canonique Histoire de l’art, avec l’œuvre d’Amsellem, mais et pourquoi pas d’ailleurs ? Non, disons, pour l’argument de cet article, qu’il s’agit de simplement se demander où se trouve le sensible, la vie, la palpitation du peint ? Eh bien, la réponse, enfin la mienne, c’est qu’elle se trouve chez Amsellem. Revenez donc au détail de “Figure 3DlBc 2”, et regardez de nouveau. Voyez ces arrêtes plus ou moins tremblées, droites ; ces parements et faces plus ou moins granuleuses ; ça bouge, ça chemine, ça respire. Et rien que trois tons suffisent pour cela, blanc de titane, blanc d’argent (ou céruse, ou blanc de Saturne ou encore blanc de plomb, car il s’agit justement de carbonate de plomb), et blanc de zinc.
D’après la légende, c’est le philosophe présocratique Héraclite qui déposa dans le temple d’Artémis, à Éphèse, un ouvrage qui contenait cet aphorisme énigmatique : « Nature aime à se cacher », ‘Phusis kruptesthai philei’. J’ai l’impression qu’il y a un peu de cet adage dans la peinture d’Amsellem. Non pas qu’il s’y trouve des secrets (quoique, de la main assurément) mais, encore une fois, quelque temps requis de révélation — dans le sens photographique argentique du terme. C’est qu’une photographie ne rend pas justice aux tableaux d’Amsellem, c’est vraiment un pis-aller, c’est pourquoi il faut absolument voir ces toiles dans le monde réel, afin de vérifier la chatoyance et les variations qui les habitent. Comme elle le dit :« le pointillisme au couteau à palette, permet de travailler l’huile en relief, d’accrocher la lumière sur les crêtes de pigment et de faire chatoyer à l’infini la matière picturale, qui prend véritablement vie.» (Lire les Questions et Réponses, hyperlien plus bas).
Amsellem peint donc au couteau suivant une technique qu’elle a mis 20 ans à élaborer (excusez du peu). Il faut se trouver en leur présence, et même y revenir à plusieurs moments de la journée pour constater de visu les variations chromatiques, variations qui, encore une fois, implémentent la vie dans la toile ; le but recherché par l’artiste.
Peut-être qu’à l’aide de plans rapprochés nous aurons ici une petite idée de la variation…
On le voit (tout de même), la technique au couteau permet bien d’accrocher la lumière, comme le souhaite — et le réalise — l’artiste ; ce qui rend le tableau en partie “sculpté”, finalement, si l’on pousse un peu l’idée réalisée. Et l’on se demande combien de peintres tiennent-ils tant que cela encore à accrocher la lumière, tandis que beaucoup de travaux sont bien plats (c’est un constat, pas un jugement de valeur. Bien sûr, le cas du vieil Anselm se pose un peu là, mais nous en avons déjà traité ailleurs…).
La gamme chromatique est parcimonieuse chez Amsellem ; bleu, noir, blanc, mais tout cela est associé, varié, et donc relativement démultiplié ; al-chimiqué. Ensuite, à regarder ses tableaux, il ne faudrait pas croire que l’artiste se limite à des questions de métier et d’esthétique ; ou alors il faut insister sur l’origine de ce dernier mot, et se rappeler qu’il concerne les sens, au sens large, et pas seulement le rétinien. Ainsi, notre artiste est convaincue qu’une œuvre d’art doit être capable de dégager des vertus ; des vertus actives qui englobent le regardeur et, surtout, celui qui vit avec l’œuvre. L’œuvre d’art amsellemienne a donc une fonction et une visée cathartique.
Pour en savoir davantage sur la vie et l’œuvre, c’est ici :
Léon Mychkine,
écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France
Nouveau ! Léon Mychkine ouvre sa galerie virtuelle (avec aussi deux tableaux d’Emmanuelle Amsellem !)