Pour un « art modéré » (Groth, Lalanne, Beaucousin)

Soit un dessin de Jan Groth :

Jan Groth , Drawing, Untitled, 1971, Medium Crayon [Black crayon (Talens-Wasco, Dutch) on German 4 R Hammer paper and fixed with a fixative)] on paper, 625 × 879 mm, Collection Tate
C’est en écrivant sur les dessins de Christophe Lalanne et Élise Beaucousin, que m’est venue cette expression d’Art Modéré. Tout avait commencé avec Lalanne, quand je parlais de discrétion appuyée. C’est sûrement à cause ou du fait de ma formation de philosophe que j’ai un tropisme pour les commencements (un certain penchant obsessionnel n’arrangeant pas l’affaire). Après tout, pourquoi chercher dans un avant ce qui est là ? Curieux trait, à vrai dire ! Mais c’est ainsi, je n’y peux rien, et il m’est impossible de résister à l’appel du commencement, du « Il était une fois ». Vous imaginez, le jour où quelqu’un, sur Terre, a inventé la Première Histoire ? La première fiction ? C’est un peu ce qui m’anime, en précisant que, si premier trouvé, il n’en devient pas le Pape, ce commencement, mais un agent. On ne vas pas non plus lui ériger une statue colossale ; c’est un indice. Bien. De fait, je cherche sur l’Internet (je le redis, ‘Internet’ n’est pas un nom propre ; on ne dit pas « j’allume télévision », mais « j’allume la télévision », par exemple) je “tombe”, comme on dit, sur Jan Groth (artiste norvégien né en 1938) et ce dessin ↑, sur le site de la TATE (Londres). Je suis… scotché (comme on dit). Ça tombe bien, c’est aussi une histoire de fixatif (voir la légende). (Je m’amuse, je fais mon Damisch.) Donc, scotché je suis. Ça me plaît. Beaucoup. Et pourtant, c’est peu. Mais, en dehors de toute mystique, de tout fétichisme du geste, ça raconte quelque chose. C’est cela que je vois, dans cet espace du papier (62,5 × 87,9 cm), savamment — mais délicatement — investi, scindé, partagé, découpé. Le fait d’être tombé sur ce dessin, ça y est, je l’ai !, mon commencement.

Une histoire de rejoignement, d’équilibre des rythmes — vers où va mon crayon ?, et, ce vers où ?, à entendre comme le contraire de verrou, ou son risque.

Toute trace discrimine. Discriminer, avant que le sème soit envahi de politique, c’est mathématique ; ça se trouve en 1876, chez les français, dans les travaux scientifiques d’un L. Lalanne (! ça ne s’invente pas), [[[du latin lat. class.discriminans part. prés., discriminare « séparer, diviser, distinguer », l’anglais l’ayant utilisé bien avant les français (terme de math. dep. 1852, (NED) et to discriminate dep. 1628.]]]  C’est ça, avant tout, l’Art modéré :

« séparer, diviser, distinguer ».

Voyez, chez Groth ; devant ce dessin, on se demande : comment ça se joue, cette partie discriminante ? Qu’est-ce qui vient en premier, le trait de gauche ? Celui de droite ? L’un du haut, voire, celui qui est tout à fait proche du bord droit, et qui serait discret, donc moins distingué par rapport au reste, comme un petit avant-propos ? Parce que, voyez, même là, dans cet espace du papier, où l’on pourrait se dire qu’il n’y a pas grand’chose, à vrai dire, il se dit des choses ; mais sotto voce ; en douceur, ça ne crie pas. Ce n’est pas insolent, tape-à-l’œil. C’est discret, avec variations. C’est, oui, chère Élise, une partition. Mais une partition, là encore, au sens topologique, on remplit l’espace de touches, discontinues ou non, plus ou moins appuyées, espacées, proches. Voyez cette zone :

Ça cause. On a envie d’y voir des formes humaines, non ? Allez ! Avouez. Dites-le, que ces petites figures vous semblent bipèdes, mais bipèdes à la Giacometti, encore, peut-être, d’ailleurs, un artiste modéré… au fait. Mais si ce sont formes humaines, alors autour ce sont des routes, des chemins… Non… Ça met tout par terre. Je sais bien que cette tendance paréidolique, tous, nous la possédons, à notre insu. Mais, une fois reconnu ce tropisme, on peut peut-être tenter de, comme on dit, “rafraîchir” l’image. Ça y est ? Nous recommençons. Avec autre chose

Jan Groth, Drawing, Untitled, 1970, crayon on paper, 62,5 x 88 cm. Unique

Modérément nombreux, disons, les traits. Avec les “bons” artistes, les artistes es qualités, qui savent “placer”, “faire tenir”, “doser”, etc., c’est toujours la même histoire, mais jamais la même manière de raconter ; prendre place, faire tenir, occuper l’espace. Ici ↑, c’est, tout autant, l’esquisse et l’affirmation, le décidé et l’hésitant, le profus minimal, le minuscule embrouillamini, confluent ; la structure au centre et un départ vers le haut et à droite ; les appuis devenant graciles et s’effaçant presque.

En définitive (ouverte) : L’art modéré est cet art, généralement en noir et blanc, qui n’abuse pas de la matière, la laissant respirer, faisant toujours jeu avec l’espace, comme le font aussi Lalanne et Beaucousin, car il faut aussi interroger ce blanc (ou vide ?), car, sans lui, le dessin modéré ne tient plus. L’art modéré tient dans cet équilibre entre le dire et le murmure (du lat. murmurare), le posé et le toucher, l’appui et la caresse, le décidé et le tangible. Maintenant, je ne vais pas me répéter, ce serait ennuyeux. Je laisse le lecteur se faire une idée circonvolutive de ce que j’appelle l’“art modéré”. Il est bien probable que le club soit ouvert à davantage d’artistes. À suivre, donc. En attendant, on peut lier et visualiser ceci :

 

Christophe Lalanne. Discrétion appuyée (+ entretien)

Sur quelques dessins d’Élise Beaucousin

À bâtons rompus avec Élise Beaucousin (+ bonus)

 

Léon Mychkine


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