Réparation de Sandro

NB. Cet article a été entamé et presque terminé le 31 juillet 2021, suite à celui sur une exposition en Italie (article ici) qui entendait re-contextualiser le célèbre tableau de Botticelli La Naissance de Vénus, jusque aujourd’hui (Musée d’Art Moderne et Contemporain de Trente et Rovereto : “Botticelli. Il suo tempo. Et il nostro tempo”), ce qui a donné l’occasion aux deux commissaires de délivrer leur mauvais goût, doublé d’un penchant pour le quasi-porno chic. En effet, la plupart des œuvres qui entendaient, d’après les “commissaires”, surtout aux XX et XXIe siècles, faire honneur au tableau, étaient pour la plupart consternantes de nullité (nul besoin de s’y rendre, sur photo cela suffisait). Le lecteur curieux pourra ouvrir ce lien ici pour avoir un aperçu des œuvres mises en regard de Sandro, et constatera la grande indigence et parfois profonde vulgarité du propos. Je n’y redonne pas la photo de LaChappelle, se trouvant dans l’article indiqué en hyperlien plus haut. Après cet article donc, j’ai donc voulu honorer, à ma modeste mesure, Sandro Botticelli, comme pour réparer les affronts esthétiques subis. En même temps, cela faisait longtemps que je tournais autour la Nascita di Venere, sans bien savoir qu’en dire ; et c’est en l’observant, au plus près possible d’après les possibilités offertes par l’Internet, et probablement même plus proche encore que si j’étais (par chance), dans la Gallerie degli Uffizi, à Florence, que je contribue ici — à ma mesure —, de rehausser s’il en était besoin la sublimité dudit tableau, en détail, donc. 

 

La nature a horreur du vide, horror vacui, ou kasmaphobie. Est-ce pour cette raison que Sandro emplit ainsi l’espace entre Flore, déesse du printemps, et la forêt succincte ?

Voyez, rien que ce détail (si l’on peut dire), eh bien, je trouve cela extraordinaire. Cette folle complication, ce faux entremêlement, cette tresse tendue comme une corde et les ondulations autour, les motifs de fleurs sur la cape transparaissant, les interruptions inexplicables des mèches et leur reconnexion plus loin dans l’espace, elles qui ondulent comme des vagues, alors dans l’océan de l’air (?), les rubans de couleur semblable, achevant de produire une illusion de chaos,

— je m’interromps un instant car surgit ce nouveau détail, qui me laisse d’abord sans mot… Le bord ourlé de la cape apprêtée pour Vénus, avec (description pseudo-technique) touches de pinceau ou que sais-je ? comme, encore, des traces d’or sur le monde visible et sensible ? Contamination, plutôt, essaimage de l’adoration pour Vénus ? Désintégration d’une partie du réel sous… la gloire ?

des mèches finales comme des flammèches, touchant presque la végétation en amont, et, à un moment, formant tête d’oiseau avec bec :

De quoi sont irisés végétaux et arbres ? D’or ? Si l’on dit : « rayons lumineux », expliquez pourquoi leur éclairage est si parcimonieux et, pour tout dire, capricieux (capriccioso) ? Je ne sais pas. Je m’interroge. De toutes façons, à un certain moment, interroger l’esprit d’un super grand artiste du Primo Rinascimento, c’est comme questionner celui d’un peintre de Lascaux : in com men su ra ble (incommensurabile). On pourra toujours exégétiser sur ce que l’on veut, on ne retrouvera pas l’esprit de l’époque, ni des esprits ; oui, l’esprit de l’esprit (‘spirito’/‘mente’) afférent. [Après, peut-être que je m’avance, et qu’il est possible de “retrouver” cet esprit (mente), et que, même, quelqu’un a réussi à l’expliciter dans un récit convaincant. J’en serais ravi, et ne demanderais qu’à en prendre connaissance.]

Culture et Nature glorifiée ; feuilles dorées à l’or, Nature en gloire, généreuse, pourvoyeuse de vie et beauté. En même temps, nature aussi sombre et mystérieuse, cacheuse de secrets. Maintenant, comparez cette tonalité “forestière” avec les ailes de Zéphyr…

N’est-ce pas étonnant ? Botticelli a eu recours aux mêmes pigments pour le petit bosquet et les ailes de Zéphyr. Qu’en dire de plus ? Je ne sais. Si ce n’est qu’il y a quelque chose, ici, de concordant, une sympathie, une résonance. Dans un monde divin — tel que l’était l’écoumène grec antique pour toute personne —, ne doit-on pas s’attendre à ce qu’il se révèle, ou montre, des correspondances ? Et, à l’évidence, le monde est redevenu super-divin, dopé par l’esprit grec, durant les Trecento, Primo Rinascimento, et Rinascimento ; ce que, à l’évidence, nous ne connaissons ni ne pouvons connaître anymore (haine i mort, il s’agit bien d’une transcription italo-française d’une inculte mais bien réelle période d’une histoire s’épiloguant, vers un effroyable néant d’ignorance et d’aboiements ; et, à force d’aboyer, nul doute qu’on se retrouvera face au Premier des chiens, Cerbère ; c’est pour après, mais bientôt — presto lo stesso). En attendant, on peut admirer, encore, ce mouvement de bras de Flore, quasi dynamiquement identique aux mouvements de la cape sous les assauts de l’air exfiltré par Zéphyr :

Voyez ? Les tubulures des tissus, conjoints, entre cape et bras. Tout cela est exagéré, mais qu’importe, après tout, il y a du vent, non ? Mais ce vent permet à Sandro de faire gonfler harmonieusement la cape. Notez la temporalité dans la scène. Zéphyr a décapité des fleurs en soufflant, cependant qu’une branche est allée se ficher sous le bras de Flore, pendant, qu’au même moment, un oiseau s’en vient picorer on ne sait quoi :

 

« Botticelli a réussi là où Pollaiuolo a échoué. Son tableau forme, en fait, un motif parfaitement harmonieux. Mais Pollaiuolo aurait pu dire que Botticelli y était parvenu en sacrifiant certains des acquis qu’il s’était efforcé de préserver. Les figures de Botticelli semblent moins solides. Elles ne sont pas aussi correctement dessinées que celles de Pollaiuolo ou de Masaccio. Les mouvements gracieux et les lignes mélodieuses de sa composition rappellent la tradition gothique de Ghiberti et Fra Angelico, peut-être même l’art du XIVe siècle — des œuvres comme l’“Annonciation” de Simone Martini. La Vénus de Botticelli est si belle que nous ne remarquons pas la longueur anormale de son cou, la chute abrupte de ses épaules et la façon étrange dont son bras gauche est articulé sur le corps. Ou plutôt, nous devrions dire que ces libertés que Botticelli a prises avec la nature pour obtenir une silhouette gracieuse ajoutent à la beauté et à l’harmonie du dessin, car elles renforcent l’impression d’un être infiniment tendre et délicat, transporté sur nos rivages comme un cadeau du Ciel » (E.H. Gombrich, The Story of Art).

Oui, la Vénus botticellienne est belle, et ne semble pas hyper-conforme à l’anatomie…humaine. Mais, ce à quoi Gombrich ne pense à ce moment, c’est que Vénus n’est pas un être humain ; c’est une Déesse, soit la mère d’ Hermaphrodite et de Cupidon. Mais tout porte à croire que dans son tableau, Sandro pense bien davantage à la Mère de la mythologie, la Grecque, dans laquelle « Aphrodite [Vénus pour les Romains] est sortie d’une mer fécondée par les parties génitales coupées d’Uranus » (R. Graves, The Greek Myths). Et que voit-on Chez Sandro ? Un être supernaturel émerger d’une coquille Saint-Jacques.

« Aphrodite, déesse du désir, s’éleva nue de l’écume de la mer et, chevauchant une coquille Saint-Jacques, débarqua d’abord sur l’île de Cythère, mais ne trouvant là qu’une petite île, elle passa dans le Péloponnèse et finit par s’installer à Paphos, à Chypre, qui est encore le principal siège de son culte.
Mais, ne trouvant là qu’une petite île, elle passa dans le Péloponnèse et finit par s’installer à Paphos, à Chypre, qui est toujours le principal siège de son culte. Partout où elle passait, l’herbe et les fleurs jaillissaient du sol. À Paphos, les Saisons, filles de Thémis, s’empressaient de la vêtir et de la parer.
Certains prétendent qu’elle est née de l’écume qui s’est accumulée autour des organes génitaux d’Uranus, lorsque Cronos les jeta dans la mer ; d’autres, que Zeus l’a engendrée sur Dioné, fille soit d’Océanus et de Téthys la nymphe marine, soit de l’Air et de la Terre. Mais tous s’accordent à dire qu’elle s’envole dans les airs accompagnée de colombes et de moineaux.

Notes

. Aphrodite (« née de l’écume ») est la même déesse au pouvoir étendu qui est née du Chaos et a dansé sur la mer, et qui était adorée en Syrie et en Palestine sous le nom d’Ishtar ou d’Ashtaroth. Son centre de culte le plus célèbre était Paphos, où l’image aniconique [relatif à l’absence de la représentation d’un dieu] blanche originale de la déesse est encore exposée dans les ruines d’un temple romain grandiose ; là, chaque printemps, sa prêtresse se baignait dans la mer et en ressortait renouvelée.
ø. On l’appelle fille de Dione, parce que Dione était la déesse du chêne, dans lequel nichait la colombe amoureuse. Zeus prétendit être son père après s’être emparé de l’oracle de Dione à Dodone, et Dione devint donc sa mère. Téthys et Thétis sont les noms de la déesse en tant que créatrice (formée, comme Thémis et Thésée, de tithenai, “disposer” ou “ordonner”) et en tant que déesse de la mer, puisque la vie a commencé dans la mer. Les colombes et les moineaux étaient réputés pour leur lubricité, et la guède marine est toujours considérée comme un aphrodisiaque dans toute la Méditerranée.» (R. Graves).

 

Étonnant : le contour de la main de Vénus semble comme crayonné :

La ligne sur la main est continue, tout le long du tableau, indiquant, probablement, qu’à à un moment donné, la toile a été pliée en deux.

Botticelli trace (gros) les contours des ongles, du cou-de-pied

Et les fleurs soufflées, d’où viennent-elles ? Absentes de tout bouquet ?

La ligne d’horizon, Botticelli s’en fiche complètement. “Sa” mer “descend” d’ouest en est, avec hausse et creux. C’est étonnant

L’amour (fou) de la peinture. Rien que, dans ces traits d’écume. Départager, d’un trait de couleur différente, l’eau tranquille et l’agitée et

Zéphyr aura si fort soufflé qu’il a rompu les tiges de roseau massette

Au sein de l’eau :

 

Léon Mychkine

critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur (très) indépendant

 


Soutenez Article via PayPal


La grossièreté dans le kommissariat : LaChapelle versus Botticelli

Newsletter