À propos de la “Surf-Sequence”, sur le site Internet de Christie’s : « Lors de la première visite de Nancy et Beaumont Newhall en Californie en 1940, Adams les a conduits à la maison d’Edward Weston à Carmel, en passant par Yosemite. Sur le chemin du retour vers San Francisco, “visuellement revigorés” par l’expérience, Adams et les Newhall se sont arrêtés à plusieurs reprises pour prendre des photos le long de la route côtière, ce qui a donné lieu à une série de cinq “abstractions” élégantes et distillées par Adams — la Surf Sequence. Pour réaliser cette séquence, Adams décrit comment il a photographié du haut d’une falaise, “en dirigeant mon appareil presque directement vers le bas, vers les vagues qui s’échouent sur la plage en contrebas, dans une séquence continue d’images magnifiques. Au fur et à mesure que je prenais conscience des relations entre la lumière changeante et le ressac, j’ai commencé à faire exposition après exposition. Bien que chaque photographie puisse être montrée séparément, c’est un groupe de cinq photos exposées ensemble qui a le plus d’effet.” (An Autobiography, p. 200) La Surf Sequence a été comparée aux peintures d’Arthur Dove, dont les œuvres étaient exposées à la 291 Gallery de Stieglitz lors de la visite d’Adams à New York en 1933. Les images semblent également avoir une dette envers Edward Weston, avec qui Adams a effectué deux expéditions dans la High Sierra en 1937. Entre ces deux voyages, Weston a créé une série de trois photographies, Surf, Orick, (1937), des études visuellement ambiguës de l’avancée des vagues prises d’un point de vue élevé. Lorsque Adams montra la séquence à Stieglitz, il ne reçut pas l’approbation qu’il espérait et supposa que Stieglitz les considérait comme trop décoratives et dépourvues de la composante spirituelle de ses propres Equivalents. Adams, quant à lui, exigeait que ses photographies — même les compositions les plus abstraites —, reflètent sa perception candide du monde réel. Minor White a compris cette approche pragmatique lorsqu’il a suggéré qu’Adams utilisait son appareil photo comme un instrument de musique pour interpréter une partition composée par quelqu’un d’autre, à savoir la nature.»
A priori, on serait tout à fait naturellement enclin à croire ce que disent les experts de chez Christie’s, souvent d’ailleurs issus des meilleurs Écoles d’Art, ne serait-ce que du très prestigieux et grand fournisseur de commissaires d’expositions internationaux, Courtauld Institute of Art, Londres, entre autres. Toutefois il est éclairant de comparer la teneur de la Notice de Christie’s avec ce qu’écrit exactement Adams dans son Autobiography, et pour cela nous commencerons par un premier extrait.
Extrait 1 :« Nous étions tous visuellement revigorés par le temps passé avec Edward, et nous nous sommes arrêtés fréquemment pour photographier sur le chemin du retour vers San Francisco. À un endroit, le long de la Highway One, j’ai photographié du haut d’une falaise, en dirigeant mon appareil presque directement vers le bas, vers les vagues qui déferlaient sur la plage en contrebas, dans une suite ininterrompue d’images magnifiques. Au fur et à mesure que je prenais conscience des relations entre la lumière changeante et le ressac, j’ai commencé à faire exposition après exposition. Bien que chaque photographie puisse être montrée séparément, c’est un groupe de cinq photos exposées ensemble qui a le plus d’effet. “Surf Sequence” est l’une de mes expressions photographiques les plus réussies.»
À quel moment Adams parle-t-il d’“abstraction” ? Aucun. Adams décrit spécifiquement le sujet de ses photographies, rien d’absrait ici : le haut de la falaise, les vagues, la plage, le ressac, la lumière. Rien que de réel, et du réel méscopique (captable par les sens sans prothèse technologique), pas du réel grossit cinquante fois devenu non-identifiable : on voit parfaitement les items décrits et shootés par Adams. Et bien entendu, Adams est photographe, ce n’est pas un touriste avec son Kodak Instamatic qui s’arrête au bord de la route. Si bien qu’entre le réel et l’appareil photographique, il (n’)y a (que) monsieur Adams, son œil, et ses mains. Notez, il faut le savoir, qu’Adams était tout à fait contre cette appellation, comme il l’écrit dans une lettre adressée à John Szarkowski, le 14 octobre 1962 :
Extrait 2 :« Depuis de nombreuses années, le musée met l’accent sur les expositions thématiques. Même l’exposition sur l’abstraction était une exposition sur un sujet — la photographie abstraite ! À mon avis, ce type de photographie n’existe pas ; il s’agit d’une mauvaise utilisation du terme (à moins que vous ne souhaitiez qualifier TOUTE la photographie d’abstraite). Je ne sais pas ce que ces expositions prouvent. Elles sont censées prouver quelque chose, et peuvent montrer certaines relations entre les effets de surface de la photographie et d’autres arts graphiques. Mais il manque quelque chose — qui manque dans une intention vraiment claire.»
Adams fait ici référence à l’exposition The Sense of Abstraction, qui eut lieu au MoMa (février-avril 1960), dans laquelle on pouvait voir 75 photographes (!) pour certains encore célèbres aujourd’hui (Stieglitz, Callahan, Edgerton, Metyard, Moholy-Nagy, Siskind, etc.) mais tombés dans l’oubli pour la majeure partie des autre (O. Bailey, F. Bruguière, W. Bullock, F.R. Forth, etc.). Mais le point essentiel c’est que, pour Adams, la “photographie abstraite” n’existe pas (!). De deux choses l’une, comme il le dit : Soit la photographie abstraite n’existe pas, soit toute photographie est abstraite !, ce qui conduit à deux prémisses autant absurdes l’une que l’autre. Indéfendables. Mais voyez comme le pli fut pris. Le plus extraordinaire, c’est qu’Adams ne faisait pas partie de cette exposition ! Mais de toutes façons, même en regardant les œuvres des artistes imbriqués dans cette taxonomie (sauvage), il est certain que nombreux n’avaient rien à y faire… Mais alors, si Adams ne fut pas intégré dans l’exposition The Sense of Abstraction, cela veut donc dire qu’à l’époque, Adams n’était pas considéré comme un photographe abstractisant ! Ce qui rajoute encore un assaisonnement d’absurdité dans les champs erratiques de la taxonomie artistique.
Mais, bien entendu, cela a beau être réel, nous pouvons nous demander, à tel ou tel endroit, ce que nous voyons, si nous focalisons dans cette capture :
Voyez cette partie qui constitue comme un môle ; pourtant c’est bien certainement de l’eau. Mais Adams a dû opérer quelques réglages qui ont comme homogénéisé cet énorme rouleau, lui donnant une texture semble-t-il différente. Pour tout dire, on dirait un énorme tas de sable, une dune. Mais que ferait une dune interposée entre la mer la plage ? C’est donc le réglage d’Adams qui produit, indéniablement, de l’étrangeté, à tel point que l’on pouvait penser à un collage. Regardez à quel point tout est bien borduré, tout autour de la dune. Comme une découpe, oui, un collage.
Comme l’écrit Adams, « bien que chaque photographie puisse être montrée séparément, c’est un groupe de cinq photos exposées ensemble qui a le plus d’effet. “Surf Sequence” est l’une de mes expressions photographiques les plus réussies.» Certes. Ce qui est amusant, c’est que l’ordre choisi par Adams (première illustration en haut d’article) ne respecte pas la chronologie des vagues. Car, finalement, que nous montre cette série ? Le flux et le reflux. Mais dans le désordre, si la disposition affichée sur le site de Christie’s découle originellement de l’ordre défini par Adams…
Masses molaires, surréelles quasi, mais du plus banal pourtant
Léon Mychkine
écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France
Photographie et abstraction. Association vraie ou bien ou bien ?
Nouveau, Léon Mychkine ouvre sa galerie virtuelle !