Actualité de Michel Alexis. ‘Epigrams’ et ‘Rhizomes’

Sur le site électronique de Michel Alexis, sur le côté de sa page d’“Epigrams”, on peut lire :

« Une épigramme est un court poème ; elle vient d’un mot grec signifiant “inscrire” et était généralement gravée sur des statues, mais était aussi une forme précoce de graffiti sur les murs romains. 

Je tente de créer une poésie visuelle sur la toile ; j’utilise des signes, des symboles, des taches, des gravures, des effacements et des alphabets imaginaires.  

En bref, tout ce qui dépasse le mot lisible dans l’acte d’écrire, et qui a pratiquement disparu à l’ère du numérique.

Sur la surface de la toile, réglée comme un cahier, je construis une épaisse couche de gesso et de papier. Puis je trace des lignes à l’aide d’un outil de gravure, en glissant ou en déchirant la toile.   

Ma première impulsion est de faire des marques ; ensuite, la couleur s’insinue dans les plis et les déchirures, tout en laissant des voiles transparents entre les deux.   

Le champ sémantique devient un champ labouré, avec ses sillons, ses flaques d’eau, ses roches sombres et ses stries de prairies lumineuses.» 

Michel Alexis, “Epigram 20”, 122 x 122 cm, oil, gel, rice paper on canvas, 2017 (image fournie par l’artiste)

Sur le site, on peut aussi regarder des “Rhizomes”. À comparer les deux séries, on constate, chez l’une, une fragmentation, et, chez l’autre, une plus grande unité, disons, une plus patente unité de liaisons sémiques :  

Michel Alexis, “Rhizome 51”, 50 x 63 cm,oil,gesso on rice paper, 2021 (image fournie par l’artiste)

Voici ce qu’écrit l’artiste à-propos des “Rhizomes” :

« En botanique, un rhizome est une épaisse tige souterraine de plantes dont les bourgeons développent de nouvelles racines et pousses, comme le gingembre, le houblon ou le lotus.

Le rhizome est aussi une “image de la pensée” qui met l’accent sur la fluidité et la multiplicité. Le mouvement du rhizome résiste à l’organisation, favorisant plutôt un système nomade de croissance et de propagation.

Pour moi, l’idée du rhizome se traduit visuellement comme une association libre de signes, de mots, de couleurs, de symboles, donc comme une image de l’inconscient.

Un peu comme l’écriture automatique, mes peintures commencent par un processus presque aveugle : je trace de fines entailles avec un outil de gravure à travers une épaisse accumulation de toile, de papier et de colle ; puis la couleur liquide va couler à travers les plis et les déchirures et se répandre en taches et formes inattendues.

“Une racine est toujours une découverte. On la rêve plus qu’on ne la voit”
-G. Bachelard »

Quand Alexis parle d’« écriture », il est amusant, en zoomant ici et là, de rencontrer des spécimens graphiques qui y font vraiment penser :

 

Si l’on tient — un tantinet — compte de ce qu’écrit l’artiste, on constate qu’“Épigrammes” et “Rhizomes” représentent chacun des formes d’écriture (« champ sémantique labouré », « image de l’inconscient »), écriture ajoute-t-il, « automatique », ce qui nous fait rejoindre l’inconscient, et cette vieille théorie surréaliste qui espérait fracturer ses Portes en se mettant en position d’écrire ce qui passait instantanément dans la psyché, ou via l’hypnose…  Rappelons que l’expression « écriture automatique » ou encore d’« écriture mécanique » apparaît dans le Livre des Médiums, d’Allan Kardec, en 1861, pour qui il s’agissait de se mettre en connexion avec les “esprits”. Mais je suppose que quand il parle d’inconscient, Michel Alexis a plus en tête la notion freudienne que celle des Surréalistes. Aussi, si tel est le cas, je verrai davantage l’expression, bien sûr naïve, d’une des formes de l’inconscient dans les “Epigrams” plutôt que dans les “Rhizomes”. Pour ma bien modeste part interprétative à ce sujet, l’inconscient m’apparaît comme très compartimenté, avec certes des passerelles, des portes, des passages secrets, mais certainement pas comme une étendue de fluidité connective exprimée dans la plupart des “Rhizomes”; et cette connectivité hasardeuse pourrait très bien être représentée, dans l’“Epigram 20” (en haut d’article) par les boucles (de « rétroaction » et de « régulation », comme on dit en langage clinique) et les ondulations de ce trait rougeâtre que l’on retrouve partout, en différentes force et quantité. Seul ce ruban de sang mental a le loisir de passer par où il veut, ou par où il peut, il suffit de regarder :

Voyez les zones de diversités géographiques traversées par ce fil rouge, il semble ignorer toute frontière, et plonge et resurgit, ou traverse tout simplement.

Alexis parle de « poésie visuelle sur la toile ; de signes, de symboles, de taches, de gravures, d’effacements et d’alphabets imaginaires […] une association libre de signes, de mots, de couleurs, de symboles.» J’ai déjà écrit ailleurs (ici, ou encore ici, pour exemples) que le terme de « poésie » en art plastique, mais tout autant en cinéma, en photographie, me semble inapproprié ; donc je ne le reprends pas à mon compte, cependant qu’évidemment Michel Alexis a parfaitement le droit d’écrire ce qu’il entend ; et heureusement, il vient greffer d’autres mots qui, pour la plupart, entendent “faire signe” (le signe fait signe); ce qui me “parle” davantage, comme ici :

Nous avons là une forme, mais si travaillée qu’elle en devient signe, c’est-à-dire susceptiblement ouverte à interprétation (davantage que ne le serait un aplat gris, par exemple). Appelons cela une “clef de passage”, comme ici :

Il ne faut pas croire que tout cela est produit au hasard, même si une part d’inattendu peut surgir, ce qui n’est pas contradictoire.

Voyez, ces deux entailles semi-circulaires ne sont sûrement pas l’effet du hasard, tandis que le pli juste en dessous formant un V avec celle de gauche, possiblement…

Portons notre attention vers un autre “Epigram” :

Michel Alexis, “Brooklyn Epigrams 2”, October 6”, 122 x 198 cm, oil, gesso, rice paper on canvas, 2018

C’est très étrange, les sentiers de la création. Comment en vient-on à disposer ceci ainsi et cela, de cette manière ? Un tableau, bien souvent, sauf chez les postmodernes en général, “cherche” souvent à unir, à proposer une seule forme ; ce qui permet une vue d’ensemble. Ce n’est pas le cas nécessairement chez Alexis. Il suffit de regarder ce “Brooklyn Eprigram 2” (Alexis vit entre New York et Paris). Bien entendu que l’œil cherche un lien totalisant. À regarder cette œuvre, et certains autres “Epigrams”, l’idée du collage peut venir à l’esprit. Mais ce n’en est pas. Alexis nous le (re)dit :

« Sur la surface de la toile, réglée comme un cahier, je construis une épaisse couche de gesso et de papier. Puis je trace des lignes à l’aide d’un outil de gravure, en glissant ou en déchirant la toile. Ma première impulsion est de faire des marques ; ensuite, la couleur s’insinue dans les plis et les déchirures, tout en laissant des voiles transparents entre les deux. »

Il semble qu’en quelque sorte Alexis trace une histoire en accéléré, une histoire pour le coup décélérée comme on en trouve dans les fouilles archéologiques, c’est-à-dire par couches, mais au lieu d’être horizontales, elles sont ici verticales ; et ce parallèle se trouverait d’autant plus pertinent que l’on doit se rappeler qu’en archéologie on parle de lecture de couches, et il a été signalé plus haut à quel point le thème de l’“écriture” est prégnant pour l’artiste et ses réalisations. Il semble donc que l’artiste nous invite à lire et relire un état des lieux qui, dirons-nous, est synonyme alors de tableau, et de dessin. Mais, pour suivre le fil de l’archéologie postmoderne, ses graphèmes picturaux, signes, symboles, me faisaient penser tout à l’heure (j’ai craint d’oublier) à ces insectes que l’on trouve dans le sol, figé dans l’ambre. Font-ils aussi signe vers cela, ces signes et symboles, vestiges d’une communication picturale dans une postmodernité déjà historicisée ?

Le travail du peintre. Dans ce détail, voyez, tout est mesuré, du moins, c’est mon sentiment, mon impression, ma pensée, tout combiné. Cela raconte quelque chose, ce n’est pas que plastique, séduisant, “esthétique”. Et il faut bien comprendre que je ne m’arrête pas uniquement à l’ekphrasis sémio-sémantique, critiquée par Gell (1998), Schaeffer (2004) et Descola (2021), qui veulent substituer à l’histoire de l’art occidental une mono-optique centrée sur les « relations sociales » (Gell), ce qui ne constitue qu’une forme détournée de nihilisme, teintée de décolonialisme bon ton… Je tiens à le préciser, parce qu’il me semble que nous somme loin d’avoir décrypté tout ce que l’art moderne et contemporain (ce dernier émergeant dans les années 1960) a à nous dire ; et il n’est pas question (‘over my dead body’) de dissoudre cet héritage vivant dans une horizontalité universaliste non-sensique constituée de « relations sociales ». Il est bien évident que l’artiste contemporain entretient des relations sociales au sein de son art — il est fait pour être perçu par autrui —, mais ce n’est pas d’abord ainsi que commence la digne vie d’artiste, c’est bien plus profond et riche qu’un signal communicationnel jakobsien.  

Terminons avec ce fragment d’une écriture hybride, indéchiffrable, au sein d’un zonage plastique géographique bien plus grand que lui ; seuil de résistance et/ou d’isolation ; amorce maintenue dans le champ des formes.

Ce qui est remarquable, je trouve, dans ce travail, c’est l’impossibilité du moindre centrage, nul repère axial ; l’œil rebondit de sème graphique en sème morphique, comme si l’on avait affaire à une sorte de puzzle dont seul le secret de l’agencement est détenu par son auteur. On “tombe” sur telle case, tel endroit, et on réfléchit, tout en regardant.

 

Refs. Alfred Gell, Art and Agency. An Anthropological Theory, Clarendon Press, Oxford, 1998 /// Jean Marie Schaeffer, “Objets esthétiques ?”, L’Homme. Revue française d’anthropologie, 170, 2004 /// Philippe Descola, Les Formes du visible, Seuil, Paris, 2021 /// Bruno Snell, La Découverte de l’esprit, Éditions de l’Éclat, 1994

Actualité (physique) de Michel Alexis et al :

 

Léon Mychkine

écrivain, critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant

 


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