La conception écologiste de la Culture, à travers le prisme de la Biennale de Lyon. #1

Nota Bene. L’origine de cet article est latente, depuis que j’ai eu vent de certains propos d’élus écologistes, dans telles municipalités, pour qui l’art contemporain doit être « populaire » et « accessible ». Rien que ce genre de recommandations auprès des “acteurs de terrain” contient son lot d’impéritie, d’ignorance, ou de haine de l’art, c’est selon. Mais ce qui l’a déclenché c’est le fait d’apprendre la retentissante démission de François Bordry, de son poste de Président de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon, qu’il dirigeait depuis décembre 2018. Je l’ai contacté, pour lui proposer un entretien, mais il m’a aimablement répondu qu’il jugeait s’être déjà suffisamment exprimé à ce sujet dans diverses colonnes, et je comprends parfaitement sa position. Je vais donc m’appuyer sur certains de ses dires dans la presse récente. De fait, il est évident que l’avenir de la Biennale de Lyon est maintenant incertain, elle n’a plus de lieu dédié dès la fin 2022 ; et il appert assez patent que ce futur trouble a été provoqué par la gestion métropolitaine écologiste. Et justement, à ce titre, il m’a semblé loisible de faire d’une pierre deux coups : l’occasion de déceler, dans le programme écologiste (“Le Projet 2022”, ici), la visée culturelle qu’elle entend défendre et appliquer. En lisant et cherchant dans ledit programme, on trouve d’édifiants éclairages. À titre de cas d’espèce, la Biennale de Lyon et le témoignage de M. Bordry, parmi d’autres, arriveront dans l’article pour éclairer in vivo à quelle sauce la Culture est agrémentée par les écologistes, et ce n’est pas râgoutant.

Quand on lit le Projet-2022 d’Europe Écologie Les Verts (EELV), de 89 pages, le mot « culture » apparaît souvent associé au sport, ou avec d’autres notions ; il est rarement pris en compte dans sa nature propre. Symptomatiquement, on y parle d’« écosystèmes culturels et associatifs.» Le mot « écosystème » n’a rien à voir avec la Culture au sens propre, car, rappelons-le, un écosystème c’est l’Unité écologique de base formée par le milieu (biotope) et les organismes qui y vivent (biocénose). Il n’y a ici rien de culturel, cependant, ce n’est pas un hasard si le terme est associé à la culture, nous allons nous en rendre compte. Considérons cela comme un premier indice du rapport qu’entretiennent les écologistes avec la culture, rapport quasi biologique, macrobiotique (on mange ce qui est proche de soi, c’est-à-dire de son habitat). Je vais prélever maintenant dans le Programme écologiste quelques instantiations plus franches du mot « culture » afin de tenter de dresser une esquisse de la cartographie de la politique culturelle écologiste.

1) « La culture est essentielle. Elle nous a manqué quand nous avons été privés de partage collectif. Pendant le premier confinement, elle s’est réduite à un accès en ligne, interrogeant le modèle des géants privés du numérique (GAFAM). Pour la diversité de la culture, nous soutiendrons la création, l’exception culturelle, nous prendrons en compte l’héritage légué par toutes et tous au long de notre histoire. C’est un élément consubstantiel du projet écologiste et aussi la condition pour faire et faire changer la société”. La culture doit être porteuse d’inclusion sociale, être source d’émancipation personnelle et collective, et garantir une participation active de toutes et tous à la vie culturelle.»

La culture est essentielle. Mais elle est consubstantielle à l’être humain (et à beaucoup d’espèces vivantes, même). Il n’existe pas d’être humain dénué de culture. Notez le saut d’obstacle entre confinement et l’Internet. C’est à croire que les rédacteurs du Projet n’ont pas de livres à disposition, obligés qu’ils sont de se rendre sur l’Internet dès qu’ils sont retenus à domicile… Poursuivons. « La culture doit être porteuse d’inclusion sociale ». On peut se poser beaucoup de questions sur les rapport entre culture et “social” (je n’écris pas “sociétal”, qui n’ajoute rien et ne veut rien dire), et on peut se demander en quoi, telle ou telle culture, devrait être porteuse d’inclusion sociale, à moins, par exemple, de penser à la Langue française, qui est bien mal en point notamment dans son Enseignement (combien d’étudiants en première année bénéficient de cours de soutien pour rattraper les lacunes ?). Mais prenons cet exemple : Marcel Proust est le plus grand écrivain français du début du XXe siècle. Quel est le ratio d’inclusion sociale de La Recherche du Temps Perdu ? On voit bien qu’un telle question est absurde. Prenons un autre exemple. Du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015, la rétrospective Jeff Koons du Centre Pompidou aura reçu 650.045 visiteurs. Quelle est la part d’inclusion sociale de l’œuvre de Koons vis-à-vis de ces milliers de visiteurs ? C’est encore une question impossible. Quant à l’affirmation que la culture est la condition pour changer la société, de quelle culture parle-t-on ? D’une culture officielle ? La société est-elle un bloc monolithique ?

2) « Nous aiderons les équipes artistiques, les lieux de production, de communication et de diffusion à mettre en œuvre un diagnostic responsabilité sociétale d’entreprise (RSE). Nous favoriserons la diffusion des bonnes pratiques au sein des différents secteurs et réseaux artistiques et culturels, et nous soutiendrons les associations et collectifs qui portent spécifiquement ces missions, par l’accès à des formations en éco-conception, matériaux biosourcés, recyclage, circuit court, sobriété numérique. La libre circulation des œuvres et des artistes est primordiale. Pour la rendre durable, nous encouragerons l’usage et le développement d’outils d’optimisation des transports, des décors et des publics à l’international, et réaliserons une cartographie des lieux et modes d’hébergement les plus engagés écologiquement pour des tournées plus respectueuses de l’environnement.»

On peut trouver surprenant, inattendu, que la politique écologiste veuille faire entrer dans le domaine de la Culture le RSE, qui, rappelons-le, se définit ainsi : « La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) également appelée responsabilité sociale des entreprises est définie par la commission européenne comme l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes.

La norme ISO 26000, standard international définit le périmètre de la RSE autour de sept thématiques centrales :

  1. la gouvernance de l’organisation
  2. les droits de l’homme
  3. les relations et conditions de travail
  4. l’environnement
  5. la loyauté des pratiques
  6. les questions relatives aux consommateurs
  7. les communautés et le développement local.»  (Source ici).

On constate que la notion de Culture est absente des sept “thématiques”. Néanmoins, pour les écologistes, une entité culturelle devra néanmoins se soucier de son impact « social et environnemental » (c’est, pour eux, logique). On gage que cette invitation sera suivie d’un contrôle, par le Pouvoir écologiste, car il est précisé que les « bonnes pratiques » seront « favorisées »… Sous-entendu, celles (i.e., « les équipes ») qui n’auront pas validé la norme ISO 26000, ne le seront pas. Le soutien sera aussi actif auprès des structures qui auront à cœur l’« éco-conception, matériaux biosourcés, recyclage, circuit court, sobriété numérique.» On va donc demander aux structures qui accueillent des artistes, par exemple, de veiller à la qualité écologique des matériaux utilisés ; les artistes devront rendre des comptes sur la nature écologique de leurs projets, et, on le suppose, leurs œuvres devront s’accompagner d’une sobriété numérique (contrôle des connexions ? Adresses IP vérifiées ?…). Mais là, déjà, on se gratte la tête : Que signifient ces obligations intrusives dans une sphère qui, par définition, n’a pas à devoir porter ou supporter quelconque idéologie que ce soit ? En quoi une œuvre d’art, ou une production culturelle, devrait-elle être modélisée à partir d’injonctions écologiques ? Le mot « art » occurre deux fois dans le Projet, et l’adjectif « artistique » huit fois, ce qui est tout de même assez chiche. Maintenant, qu’arrivera-t-il aux artistes qui refuseront de se soumettre aux encouragements plus ou moins coercitifs des municipalités écologistes ? Devront-ils rentrer chez eux ? Le point 2) évoque un « circuit court », et on retrouve cette expression dans la bouche de l’ancien Président de la Biennale de Lyon, François Bordry, sur le site Lyon décideurs :

« Ainsi la Bien­nale, qui jusqu’à main­te­nant porte l’image de Lyon bien au-delà des fron­tières régio­nales et mêmes natio­nales (en offrant au public de la Métro­pole et de la Région un grand nombre de créa­tions mondiales dans le domaine de la danse et, en art contem­po­rain, ce qu’il y a de meilleur dans la créa­tion d’aujourd’­hui) sera priée, si les autres tutelles laissent faire, de limi­ter ses ambi­tions à l’ani­ma­tion locale. En ce domaine aussi, prio­rité au circuit court !» Dans cet extrait, on retrouve deux concepts fondamentaux de la politique idéologique de la Culture chez les écologistes : le Local (67 occurrences du mot dans le Projet) et le Circuit court. On en trouve un exemple ici :

3) « La notion de droit culturel a été introduite dans la loi, mais elle peine à irriguer les politiques publiques culturelles. Nous déclinerons cette notion en co-construisant les politiques culturelles entre l’État, les collectivités territoriales, les professionnel.les et les acteurs de la culture, les habitant.es, en valorisant une diversité pour toutes les esthétiques et pratiques artistiques, professionnelles comme amateures, en formant les agents des services publics à cette notion. Il est indispensable de mieux accompagner les territoires dans le financement des structures locales permettant de développer les représentations et les pratiques culturelles.»

Il y a quelque chose de décidément étrangement communiste dans cette vision-volonté d’intégrer tout un chacun dans les processus culturels, dans cette manière d’impliquer tout le monde dans la culture, de prendre dans le grand Tout pour faire du commun. Enfin !, invite-t-on la population a participer à l’élaboration des plats dans un restaurant ? Convie-t-on des habitants à contribuer à l’élaboration des plans architecturaux ? Des citoyens tirés au sort permettent-ils de faire avancer les théories scientifiques ? Non, bien entendu. Cependant, pour les écologistes, et depuis l’État jusqu’aux habitants, il faut co-construire les politiques culturelles. Comment ça marche ? Quand un artiste propose une exposition, on la soumet à un référendum populaire, pour vérifier si la proposition est inclusive ? On fait participer des habitants à l’élaboration de son œuvre ? Combien de volontaires pour aider à terminer une partition de musique contemporaine ? Ces questions sont absurdes, mais pas pour les rédacteurs du Projet, car ils s’en réfèrent à l’expression de « droit culturel », votée aux Nations Unies, sous la forme officielle d’un Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (source ici). L’article 15 dudit Pacte énonce que

« 1. Les Etats [sic] parties au présent Pacte reconnaissent à chacun le droit:

a) De participer à la vie culturelle…»

cependant que l’article premier aura énoncé :

« 1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.»

Si on comprend bien les sous-entendus et intentions du Projet, on a l’impression qu’une politique écologiste culturelle ne se contentera pas de rappeler aux citoyens qu’ils ont des droits culturels (généralement ils le savent) mais invitera activement ces derniers à contribuer à l’élaboration de la dite Culture. Il semble y avoir une logique écologiste quant à leur conception de la Culture, dont tout indique que la volonté est de rendre les habitants comme participants à la construction de la Culture, pendant qu’une partie de celle-ci doit être rejetée comme trop élitiste. On trouve un bon exemple de cette volonté rien moins que démagogique dans le journal Le Monde (du 05 01 2022), qui nous apprend que le maire écologiste de Bordeaux, Pierre Hurmic, ne renouvellera pas le contrat du Directeur de l’Opéra de Bordeaux (ONB), Marc Minkowski, trouvant sa « programmation trop élitiste ». Que l’on se rassure, la programmation musicale n’offre, en ce début d’année 2022, aucune œuvre de musique contemporaine. Du Mozart, du Wagner, de l’Arvo Pärt (beurk !)… rien que de l’écoutable, que l’on soit dans la salle ou l’ascenseur. Le nouveau directeur de l’ONB, Emmanuel Hondré, semble ravi : « L’attente d’un opéra citoyen était une demande de la ville …» (Le Monde idem).

La tendance culturo-collaborative du Projet est écrite, mais elle existe aussi dans les faits. Pour preuve, lisons ici les propos suivants de François Bordry dans La Tribune de l’Art : « “On m’a fait savoir qu’il fallait que je m’en aille” […] La nouvelle équipe serait “trop intrusive”, imposant des réunions mensuelles avec le cabinet du maire et un audit — en cours, par le cabinet conseil Kanju. Il la soupçonne de vouloir privilégier l’animation culturelle au détriment de la création…» Il faut dire que la municipalité de Lyon n’a rien trouvé de mieux que de signaler, via la presse (!), à M. Bordry, que la Biennale allait déménager en 2023 de son site, soit celui des anciennes usines Fagor-Brandt, sans garantir un nouveau lieu, si ce n’est l’hypothétique techni-centre SNCF d’Oullins, cependant que F. Bordry précise qu’en ce lieu « il n’y a ni tram ni métro et il faut dépenser des millions d’euros pour mettre le bâtiment aux normes.» Et que va devenir le site Fagor-Brandt ? Un site de maintenance pour les tramways…! Rien qu’avec ce geste de la Métropole, on peut voir ici un symbole qui n’augure rien de bon pour l’art contemporain en région lyonnaise, et pour le reste. Mais, encore une fois, il est très probable que les écologistes lyonnais doivent juger l’art contemporain bien trop élitiste ; il est temps de réveiller l’artiste qui est en chacun de nous ! Rappelons que la Biennale d’art contemporain de Lyon, l’une des plus anciennes biennales d’art contemporain au monde (tout de même) a été créée en 1991 par Thierry Raspail et Thierry Prat. Yves Robert, Directeur délégué de la Biennale (depuis fin 2019), a lui aussi démissionné, jugeant que « le départ des usines Fagor est “un non-sens […] Les biennales commençaient à peine à investir les lieux, après le départ de la Sucrière, et il faut maintenant tout reconstruire”.» (Journal de Arts). Quant à la prise en compte de ce que ce geste éminemment politique signifie, François Bordry constate, et annonce peut-être l’avenir :« La Métropole de Lyon conduit une politique marquée par l’absence totale de concertation avec les associations et institutions chargées de mettre en œuvre l’action culturelle […] les élus se réveilleront sans doute, mais il sera trop tard, le jour où ils s’apercevront que la capitale, toujours à l’affût d’une faiblesse en province, pourra rapatrier à Paris, enfin, “la grande Biennale française”.» (The Art Newspaper daily, 07 01 2002).

La politique culturelle écologiste, exemplifiée par la Ville de Bordeaux et surtout Lyon Métropole, nous fait craindre le pire en terme d’offre culturelle. Si, d’un côté, nous mettons le rejet de l’élitisme (prétexte grossier qui n’a jamais rien voulu dire) et, de l’autre, une invitation aux citoyens de faire valoir et actualiser leurs droits culturels jusque dans les processus d’élaboration publique de la culture, alors on doit s’attendre effectivement à un nivellement par le bas de ce qu’est la Culture dans une multitude d’événements qui seront tous plus “citoyens”, “locaux” et “éco-responsables” les uns que les autres, prophétie à peine pure, reprise en ces termes par François Bordry : «… la Métro­pole a comman­dité un audit de toutes les insti­tu­tions cultu­relles l’ayant comme tutelle prin­ci­pale, pratiquant l’in­tru­sion dans leur fonctionnement même, avec pour objec­tif essen­tiel (qui ne sera sûre­ment jamais avoué), de deman­der à ces struc­tures de mettre moins l’ac­cent sur la créa­tion artis­tique et sur le rayon­ne­ment au-delà des strictes limites du terri­toire, au profit d’une action se concen­trant essen­tiel­le­ment sur l’ani­ma­tion cultu­relle locale et, sans doute, la mise en valeur des seules pratiques d’ama­teurs… » (Lyon décideurs). Voilà ! Rappelons que la Métropole (ici) est un conglomérat de communes dont le Président est Bruno Bernard (élu EELV). Je me suis demandé si M. Bruno Bernard avait décidé, tout seul, de l’expulsion de la Biennale hors son site actuel. Et si tel est le cas, on peut s’étonner qu’un seul homme, sur un gigantesque tissu culturel, impliquant certainement des centaines de personnes — le site des usines Fagor abritait aussi d’autres manifestations culturelles, des festivals comme les Nuits sonores, et le Lyon Street Food Festival — puisse détenir un tel pouvoir d’abolition. J’ai donc cherché l’information, et une source, qui restera anonyme, m’a répondu ceci :

« C’est la Métropole qui est propriétaire des usines Fagor. Bruno Bernard est Président de la Métropole et Président de TCL, le réseau de transports publics de la Métropole. C’est donc probablement lui qui a décidé l’affectation de Fagor comme établissement de maintenance des trams. Manifestement, Van Styvendael, vice-président de la Métropole en charge de la culture, n’a pas vraiment eu son mot à dire (ce qui montre qu’il a peu de poids au sein de la Métropole). D’ailleurs, il est membre du PS, minoritaire au sein de la majorité, alors que les Verts de B. Bernard sont plus nombreux. Le fait que les Verts aient laissé la culture à un PS est d’ailleurs un signe de plus que la culture ne figure pas parmi leurs objectifs prioritaires…»

Réactions politiques → À l’annonce de la démission de M. Bordry, le 18 décembre dernier, « les groupes politiques “Droite, centre & indépendants” (Ville de Lyon) et “Rassemblement de la droite, du centre et de la société civile” (Métropole de Lyon) ont réagi dans un communiqué de presse :Cette démission, tout comme le départ de Dominique Hervieu [i.e.de la Maison de la danse], traduit le malaise et l’inquiétude grandissante des acteurs culturels de Lyon et de la Métropole face aux exigences des élus écologistes qui, sous couvert de bilan carbone et de vérification de l’adéquation de leurs politiques culturelles, nous font craindre une volonté d’intervenir sur les choix artistiques puis de développer un modèle de culture loco-locale avec de moins en moins d’artistes étrangers et donc une perte de notre ouverture au monde”. Selon eux, cette démission est aussi révélatrice “du peu de poids politique du vice-président de la Métropole (ndlr : Cédric Van Styvendael) et de l’adjointe au maire de Lyon en charge de la culture (ndlr : Nathalie Perrin-Gilbert)”».

→ Sur le site Internet Lyon Capitale, on prend connaissance de la réaction de représentants LREM :« Une décision “incompréhensible” pour le parti En Marche dans la Métropole de Lyon. “Cette décision est en totale contradiction avec les promesses de campagne des écologistes, promettant de maintenir une activité sur le site et d’en faire un lieu dédié à l’artisanat local et au made in Lyon !”, s’étranglent les représentants locaux du parti présidentiel. “Quel symbole que de remplacer dans ce quartier en pleine mutation urbaine, un lieu de mixité et de médiation privilégié, dédié à la culture et aux festivals (Nuits sonores, Lyon street food festival, Biennale d’art contemporain) par un entrepôt fermé au public ! Par ailleurs, si le site était jusque là dédié à l’événementiel et à des activités temporaires, c’est parce qu’une grande partie des soles [sic] est polluée. Y installer une activité pérenne revient à renoncer à la dépollution du site, choix étrange de la part d’une majorité écologiste”, conclut le parti En Marche dans la Métropole de Lyon.»

→ «“Les groupes Lyon en commun et Métropole en commun demandent que le président de la Métropole (Bruno Bernard) révise sa position et permette au site de l’ancienne usine Fagor-Brandt de garder des espaces dédiés à la création et à l’expérimentation artistique”, a souligné Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe au maire en charge de la culture à la Ville de Lyon et dans la même majorité que Bruno Bernard à la Métropole de Lyon.» (Lyon Capitale).

→ La Métropole de Lyon ne semble pas connaître d’anicroches qu’avec les acteurs de l’art contemporain, on en jugera dans cet article de Lyon Capitale (ici).

En guise de conclusion. / Les écologistes sont obsédés par le local, mus soit par une espèce de démagogie candide ou stupide, soit par une conception finalement inculte de la Culture. Dans leur acception, la culture, l’art, pourraient être le fait du premier quidam venu ; il suffit d’aller le chercher, ou de s’approcher de lui. La culture, pour les écologistes, c’est un peu comme les champignons : un peu d’ombre, de pluie, du soleil, et ça y est, ils ont éc(o)los ! C’est en 1866 qu’Ernst Haeckel, biologiste allemand, invente le néologisme « écologie », en s’inspirant de la théorie darwinienne de l’Évolution. L’écologie, littéralement, c’est le rapport qu’entretient le lieu (du grec οἶκος oîkos, i.e., « maison ») avec son milieu. S’il est tout à fait rationnel d’étudier de tels rapports, il devient délicat, voire irrationnel, de vouloir l’appliquer à la Culture. Quelle chance oïkologique (écologique) pour Arthur Rimbaud, fils d’une paysanne et d’un capitaine d’infanterie, de devenir, du fin fond des Ardennes, l’un des plus grands poètes français de la fin du XIXe siècle ? Aucune. Et Georges Izambard n’y suffira pas. Et l’on pourrait multiplier à l’infini les exemples. À lire le Projet 2022, on a aussi l’impression que la Culture, pour les écologistes, c’est une espèce de ratatouille ; tout le monde peut y mettre son ingrédient, n’importe qui : du politique, du quidam, de l’“habitant”, y jette son grain de sel, d’épice, de pavot… Mais la production de Culture, au sens propre, n’est pas à la portée de tous ; il faut là un engagement soit déterminé par le génie précoce — cela existe —, soit un engagement à vie, ce qui est bien plus fréquent. De la même manière qu’on ne produit pas un théorème scientifique le temps d’un week-end sans aucune formation, on ne crée pas de Culture le temps d’une invitation à venir “créer”. Ainsi, sous-entendre que n’importe qui pourrait, par l’opération du Saint-Esprit écologiste, devenir producteur de Culture dès lors que sollicité pour tel ou tel événement limité dans le temps, ne ressortit à rien d’autre qu’à une pauvre supercherie démagogique, qui, par ailleurs, est indigne de toute pensée politique digne de ce nom. Il existe, bien entendu, et depuis longtemps, des invitations de ce genre dans telle et telle Institution ; on convie le public à venir “créer”, mettre les mains dans la peinture, les enfants à dessiner, etc. Mais, dans la plupart des cas, c’est bien l’artiste qui guide ou sollicite la part “créative” chez le visiteur, mais jamais l’inverse ; et, dans ces situations, on parlera alors non pas de production de Culture mais de production culturelle, car, rappelons-le, si la Culture ne se consomme pas (elle dépasse toute vie humaine), le culturel est consommable, périssable (qui lira Houellebecq dans 50 ans ?), et c’est peut-être cela dont, finalement, parlent les écologistes dans leur Projet et actions publiques : Expulser la Culture et n’en garder que le culturel, le consommable-périssable à date limite, une sorte de “fast-culture”, au détriment du temps long de l’imprégnation — bien plus nutritive —, de la Culture. Mais il est aussi vrai que le champ de la Culture est assez écartelé en lignes de fronts par des artistes sincères et par d’autres qui, à l’avant-garde du commerce, dans tous les sens du terme, sont pourvoyeurs de projets toujours idoines pour telle municipalité, telle association, telle structure ou galerie. Ce sont les “artistes-culturels”. C’est assurément cette classe-là d’artistes qui sera choyée et favorisée par les écologistes, car elle répondra bien docilement à toutes leurs exigences. Mais un artiste sans liberté, qu’est-ce que c’est ?

 

Réfs : Article sur la gestion écologique dans les municipalités, journal Le Monde ici , article daily artnews paper ici, article sur démission de F. Bordry ici, article sur Usine-Fagor ici 

 En Une : Gustav Metzger, “Supportive”, Biennale de Lyon, 2019 (photo Blaise Adilon)

 

Léon Mychkine

 

 


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