Guillaume Masselin est un jeune photographe. En tant que tel, il chemine, affine, affirme, ses positions, sur le théâtre des opérations (la lumière). Ce qui me semble clair, c’est que Masselin a ”un œil”.

Il est assez trivial de le rappeler : une photographie réussie, c’est d’abord un cadre, plus exactement un cadrage. Évidemment, cela ne saurait compter pour le tout, entendez, l’entière bonification de la photographie en son ensemble, cependant que cette exigence est souvent ce qui permet à la photographie de “tenir”. Le cadrage serre l’image, c’est une discrimination qui élimine et qui valorise, c’est un geste décisif. L’image ci-dessus, me semble-t-il, possède ce critère ; elle est bien cadrée. Notez qu’elle l’est doublement, le personnage central se trouvant lui-même devant un cadre, façon caisson lumineux. Comme pour révéler cette figure, pour tout dire, assez massive autant qu’étrange. Que fait-elle là, cette personne ? Elle regarde quelque chose. À partir de là, en plan plus large, la scène est encadrée, à gauche et à droite. À gauche par une voiture avançant, prise façon manga, donc floue. À droite, des structures urbaines, relativement indéterminées, même si l’on semble reconnaître des formes familières (store, vitres, réverbère…).
Souvent, un artiste, quel que soit son medium, produit un “univers”, univers qui, comme tous, peut évoluer. Sur son site électronique (ici), Guillaume Masselin écrit qu’il est « né en 1989, et qu’il découvre la photographie en 2021. Depuis lors, il y consacre son temps personnel.»
Cependant, on trouve dans la série “Dialogues intérieurs” dont est présenté ici un choix tout personnel, une photographie prise à l’âge de 10 ans :

Interrogeant l’auteur sur cette précocité, voici sa réponse :
Ma mère avait l’habitude de me donner une ou deux pellicules quand nous partions en vacances quand j’étais jeune. Mais je pense n’avoir pas touché un appareil photo, entre approximativement, le début des années 2000, jusqu’à 2021, où je n’y voyais aucun intérêt. À partir de septembre 2021, j’ai commencé tout juste à prendre des photos dans une autre démarche.
Comment susciter une vocation (!) Sans vouloir spéculer de manière trop cavalière (hippotractée), on remarque déjà, mais fut-ce voulu ?, une diaphanéité dissymétrique dans l’image, qui saura se rappeler à son auteur quelques décennies plus tard :

À dire vrai, c’est une image complexe, pas si évidente. On dirait que flotte là une théière en émail, surmontée, on voit de quoi, n’est-ce pas ? Est-ce un reflet. Mais “quoi” reflète quoi ? Et puis ce cordon, au milieu, qu’est-ce que c’est ? Rejoint-il, comme on le suppose, la lampe ? Mais où est son pied ? Je me demande, à regarder certaines photographies, et ce depuis longtemps, si un peintre aurait l’idée de peindre cela ; mieux : s’il “saurait” le faire… Se poser des questions, cela veut dire : en stationnaire, graviter sur l’image. Masselin, constatons-nous, est décidément enclin au fantomatique, qui est l’une des origines de la photographie, comme on la trouve chez Niepce (l’inventeur français de la photographie) et chez Fox Talbot (l’inventeur anglais de la photographie).
Question : Y a-t-il une différence catégorielle entre “profondeur en peinture” et “profondeur en photographie” ? Quand le peintre dépicte une situation dans le monde quadri-dimensionnel, il tient (souvent) compte de la profondeur, notamment. Quand le photographe saisit une image dans le monde réel — quadri-dimensionnel — la profondeur du monde est là, et il peut, au développement (ou postproduction), atténuer ou tenir compte de celle-ci. Dans l’image ci-avant (pas le gros plan), la profondeur existe, Masselin ne l’a pas inventée, comme le fait le peintre, quand bien même il aurait eu recours à une camera obscura ou à une camera lucida (qui, comme l’a montré David Hockney dans un fameux livre, n’étaient pas toujours exemptes d’aberrations graphiques). Je cherche, depuis hier, dans la littérature sur la photographie, ce que l’on peut bien dire sur la « profondeur », mais je ne trouve pas grand chose, si ce ne sont ces deux citations :
Dans Painting as an Art, Wollheim associe l’aspect reconnaissable du « voir-dans » à l’expérience de percevoir la profondeur dans une surface plane. « Lorsque le « voir-dans » se produit, deux choses se produisent : je suis visuellement conscient de la surface que je regarde, et je discerne quelque chose qui se détache devant, ou (dans certains cas) qui s’éloigne derrière, quelque chose d’autre » (PA). L’expérience de voir de la profondeur dans une surface plane est assez familière, tout comme celle de voir une femme dans un dessin, mais être familier avec un phénomène n’est pas la même chose que le comprendre. (Kendall, 2008).
Comme Streuli le dit à Brittain, « Je ne crois pas que la photographie puisse aller au-delà de la surface. Comme vous le voyez, la profondeur n’est que superficielle dans les photographies. Au cœur de mon travail, il y a cet éternel va-et-vient entre le fait d’être confiné à sa propre individualité et ce désir d’appartenir à l’autre, au monde extérieur : l’impossibilité de pouvoir jamais pénétrer sous la peau d’une autre personne » (« The Crowd », p. 38). Ces propos ont été tenus en 1997, avant qu’il ne commence à réaliser des vidéos, mais il semble peu probable que son point de vue ait beaucoup évolué depuis. (Fried, 2009) [Cette citation est une Note de Fried, et précisons que Beat Streuli est photographe et vidéaste, et David Brittain est universitaire].
Ces deux citations n’ayant d’autre usage qu’informationnel (en terme halieutique), ne digressons point, et revenons-en à notre sujet, quelques images de Guillaume Masselin :

Des effets d’on ne sait où. Pousser le contraste n’expliquera pas la blancheur plasmatique au “premier plan”. Comment, en plein jour, obtenir des fantômes — en ombres positives ? Plutôt des ombres, des ombres qui se détachent devant.

Je disais, la photo, c’est le cadrage. Ici, je ne sais pas s’il faut le ramener, celui-ci. La vérité est ailleurs. (Trouver l’intérêt, c’est trouver la vérité, rien de plus, rien de moins). Au premier regard, rien à signaler. On serait tenter de passer. On est passé. Et puis on y revient. Jeux d’ombre et lumière, facétieux, qui réassemblent, façon puzzle, le corps du garçon. Je veux dire : Pourquoi l’ombre n’imprime-t-elle pas dans les grossiers joints sous les rotules, ni dans ceux plus sombres plus bas ni dans ceux plus clairs du haut (sur short, voyez ?). L’ombre s’annule dans le blanc. Mais pourquoi ? Depuis quand telle espèce de blanc se refuserait-elle à l’ombre ? Cela n’a-t-il lieu qu’en Catalogne, au Port de la Selva ? Et à telle heure précise ? (Phénomène qui déplace les foules.) Allez-y. Vous verrez. En attendant la nuit

Refs/ Kendal L. Walton, Marvelous Images. On Values and the Arts, Oxford, 2008 //// Michael Fried, Why photography matters as art as never before, Yale University Press and New Haven, 2nd printing, 2009